Encore aujourd’hui, Jim Muro reste l’opérateur steadycam par excellence. Il a notamment travaillé aux cotés de James Cameron, Martin Scorsese ou Kevin Costner mais s’il est entré au panthéon de la contre-culture filmique, c’est pour son film réalisé à la fin de ses études, le toujours très culte Street Trash. Trente ans plus tard, on rembobine l’histoire de ce gore emblématique. 

Que faire un dimanche pluvieux d’octobre au lieu de rester dans son lit après un gros week-end festif ? Me rendre au Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris, avec un focus sur « l’esthétique du rebut”. Ca me semble être une bonne idée. À 19h30 la salle de projection du Shakirail (vestiaire et centre de formation de la SNCF désaffecté au milieu du quartier la Chapelle) est déjà pleine. Assise dans un vieux fauteuil de cinéma, j’entends « On a fait péter la jauge ! » Comme quoi, le thème du rebut ne rebute pas, bien au contraire.
Au beau milieu de 12 films tous plus hard les uns que les autres, on se prend notamment en pleine gueule le court métrage de fin d’étude de Jim Muro, Street Trash, qui sortira plus tard, en 1987, en version longue.

Le pitch

Street Trash, c’est l’histoire d’un caviste à Brooklyn qui trouve une caisse d’un alcool inconnu. Les clodos du quartier se l’arrachent, prêts à ingurgiter n’importe quoi pour assouvir leur soif. Sauf que le liquide fait fondre (littéralement) quiconque en boit une gorgée. Les corps explosent, implosent, ça dégouline et ça suinte de partout. Les fluides créés par les corps en liquéfaction giclent et sont de toutes les couleurs, jaunes, verts, bleus, violets; l’idée de base étant de déjouer la censure en évitant de montrer de l’hémoglobine. Celle qui supervise les effets spéciaux n’est autre que Jennifer Aspinall, l’une des pointures de l’écurie Troma, surtout reconnue pour son boulot sur les Toxic Avenger de Lloyd Kaufman.

« Avec ce script, je voulais choquer toutes les communautés de la planète. » (Roy Frumkes)

Le film nous renseigne sur un cinéma de genre, encore marginal à cette époque, fait d’expérimentations. Mais plus que d’avoir réalisé une prouesse cinématographique, Muro met en lumière l’état de la ville de New York à cette époque : une ville en crise, endettée et dangereuse. Il montre sous un angle grotesque l’existence d’une communauté en marge au milieu d’un paysage urbain crade : décharges, cimetières de voiture, terrains vagues, blocs d’immeubles en ruine. Comme le fera quelques mois plus tard John Carpenter avec They Live (Invasion Los Angeles), Jim Muro montre l’envers de l’Amérique reaganienne, celles des exclus et des plus pauvres.

Catalogue des pires incivilités et dépravations, le film réduit la nature humaine à sa représentation la plus sale. Tous les personnages sont présentés comme des rats des villes rampants en quête d’alcool et de sexe. Tout le monde est logé à la même enseigne, entre folie, bêtise et laideur morale.
Dans cet univers impitoyable, crasseux et violent, Muro fait tout pour bousculer l’ordre moral, mettant en scène viols, nécrophilie, bastons et meurtres du début à la fin du film. Le producteur et scénariste du film Roy Frumkes déclara lui-même : « Avec ce script, je voulais choquer toutes les communautés de la planète, et ce en toute démocratie. » C’est réussi.

Le plus étonnant dans toute cette histoire c’est que Street Trash est l’œuvre de jeunesse que Muro aurait bien aimé oublier. Très vite après sa sortie, il reniera littéralement le film et le considèrera comme “un péché de jeunesse”. Bizarre quand on connaît le succès de ce film toujours présent dans les esprits plus de trente ans après sa réalisation. Les raisons de l’aversion du New-Yorkais pour son premier vrai travail de réalisateur sont obscures; lui-même se refusant à toute explication quant à l’abandon de son propre film. Beaucoup de théories ont circulé pour justifier ce déshéritement; la plus répandue étant que Jim Muro aurait emprunté des fonds à la mafia de la ville pour produire son film. À sa sortie, le gang se serait rendu compte que Muro les humiliait en les faisant passer pour des demeurés grotesques. Néanmoins, ils finiront par admettre que ce film à petit budget est un chef-d’oeuvre et décideront de laisser Muro en vie à condition qu’il ne réalise plus jamais aucun autre film. Raison pour laquelle ce dernier serait par la suite devenu Steadycam pour des grands films hollywoodiens et aurait disparu des radars en tant que réalisateur.

Voilà une grosse réussite du cinéma d’horreur burlesque issue de la scène underground des années 80 devenue l’enfant-terrible du genre. Une œuvre à la fois nihiliste, punk, provocante et jouissive. Dommage que ce soit l’unique oeuvre de ce réalisateur de génie mort-né.

 Street Trash est disponible dans une édition collector (Blu-ray et DVD) en version restaurée, chez ESC distribution.

3 commentaires

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