Peut-on avoir grandi avec Slash des Guns N Roses, Metallica et des écussons cousus sur des vestes en jean et malgré tout trahir le rock sur un album réunissant le gratin d’Instagram pour des reprises coupées à l’eau comme un mauvais Pastis ? Cet exploit, le guitariste Waxx le réussit sur « Étincelle », un disque qui en manque terriblement.

Sur le papier, le descriptif du projet laissait craindre une boucherie. Dans les faits, c’est encore pire. A côté de ça, demander à Jean-Pierre Palmade de vous ramener chez vous un samedi soir ou à Jul de relancer les dictées de Bernard Pivot ressemblerait presque à un acte responsable.

Plantons le décor : un guitariste ayant grandi dans les années 90 à l’époque où Axl Rose n’avait pas encore le faciès dévoré par le botox décide d’organiser une espèce de gouter anniversaire pour réunir la crème des artistes français à venir reprendre leur morceau préféré sur un album où les cotillons sont en option. Ca s’appelle « Etincelle », c’est certes cohérent avec l’amour de Waxx pour les reprises – voir son émission YouTube Fanzine proposant des covers souvent improbables – mais ça n’en rend pas l’exercice moins pénible qu’un séjour tous frais payés à Guantanamo.

« La reprise semble être devenue l’unique proposition artistique dans un monde digital où l’imitation semble devenue la norme ».

Le tracklisting, qui aurait parfaitement pu être imaginé par John Carpenter ou tout autre maitre de l’horreur, offre donc à l’auditeur d’entendre les couineuses professionnelles d’Ibeyi reprendre Jardin d’hiver d’Henri Salvador (avec Waxx à la guitare), Juliette Armanet chanter du Axelle Red (avec Waxx à la guitare), -M- massacrer le cadavre d’un Souchon même pas mort sur J’ai dix ans (avec Waxx à la guitare) ou encore Cœur de Pirate coveriser le I’m not okay de My chemical romance (avec qui vous savez, parce que vous avez compris le concept). L’objet du crime, démesurément généreux, comporte 17 titres. Soit 17 bonnes raisons de se demander pourquoi ce disque a réussi à voir le jour.

Waxx – Étincelle (LP) - Boutique tôt ou tard

Un double opportunisme

Si l’on a par principe rien contre les invités de ce goûter gé(n)ant, que Pomme, Ben Mazué ou KO KO MO ne s’en sortent finalement pas si pire avec leurs reprises respectives, on peut avoir un peu plus de mal avec cette sensation de surf sur une tendance qui hélas dure : la reprise, comme unique proposition artistique dans un monde digital où l’imitation semble devenue la norme. Porter un chignon et citer Cobain ne permet pas tout.

Jadis, à l’époque où Waxx n’était encore qu’un adolescent pré-internet, une ligne de démarcation existait entre les bons (les rockeurs) et les méchants (les stars de la variété française, ici majoritairement reprises). Aussi stupide fut cette division entre bon et mauvais goût supposé, elle permettait au moins à chacun de choisir son camp, et l’on n’imaginait pas Zazie reprenant Black hole sun de Soundgarden. La dématérialisation du monde et l’abolition des frontières par YouTube ont depuis permis à des pans de mur de s’écrouler. Parfois pour le meilleur. Parfois pour le pire, comme avec cet album où l’on ne voit pas trop quel est le public visé, ni qui pourra en terminer l’écoute sans avoir eu l’envie d’aller chercher un cutter au fond du tiroir.

Ce brouillage des lignes entre divertissement et musique, reprises « décalées » et disque original, maintenant que Julien Doré incarne sérieusement un policier nommé Panda, donne finalement plus à réfléchir qu’à entendre. Se placer dans une industrie désormais hermétique au rock est une chose, c’est même un axe de carrière LinkedIn plutôt logique passé un certain âge. Mais travestir ce avec quoi on a grandi en constituant une Dream Team de l’inclusivité composée d’invités vendant entre 5000 et 20 000 exemplaires, c’est un délit de l’époque contre elle-même.

On attend désormais avec une relative impatience l’album de reprises de Slayer par Henri Dès, afin que les gens qui « écoutent un peu de tout » puissent continuer de déjeuner en paix. Quant au passionné d’Epiphone à qui l’on doit ces 57 minutes de supplice, on préfèrerait que ce disque soit son épitaphe.

Waxx // Etincelle // Tôt ou Tard.

 

2 commentaires

  1. Et vlan! Rarement article de Gonzaï ne m’aura autant fait marrer! Qu’il est bon de savourer ces punchline revanchardes contre le mercantilisme musical qui produit de la daube! Merci Bester ça c’est du journalisme, en plus j’ignorais l’existence de ce Waxx, me voilà averti du danger.

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