À l’automne dernier, à la faveur d’une vidéo TikTok montrant un père de famille de 37 ans faisant du skate sur l’autoroute, le tube Dreams s’est de nouveau retrouvé en tête des charts, 43 ans après sa sortie. L’occasion de revenir sur la genèse de cette chanson intemporelle, ainsi que de “Rumours”, l’album culte sur lequel elle figure.

Le 25 septembre 2020, Nathan Apodaca, magasinier dans un entrepôt de pommes de terre de l’Idaho, tombe en panne en se rendant au travail. Plutôt que se lamenter, ce moustachu au tempérament optimiste décide d’y aller en skateboard. Il attrape sa planche, son jus de cranberry, se met Dreams en fond sonore et roule, ma poule ! D’une main, il descend son jus de fruit, de l’autre il se filme avec son téléphone, chantant, tout sourire. Il poste cette feelgood vidéo sur la plateforme TikTok.

https://www.youtube.com/watch?v=mX4RFw3d7D8&ab_channel=IggyMartinez

Pour quelle raison cette séquence d’une trentaine de secondes a-t-elle fait le tour du monde, totalisant plus de 20 millions de vues en quelques jours ? Peut-être parce qu’elle offre un contrepied joyeux à une époque qui ne l’est guère… En revanche, on a une petite idée de pourquoi Dreams dépasse désormais le million d’écoutes quotidiennes – sur Spotify, celles-ci ont augmenté de 127 % et sur iTunes, de 221 %, d’après le magazine Rolling Stone. L’explication ? C’est une excellente chanson. Imparable. Simple, sur seulement deux accords, moins que les Ramones. Belle. Profonde. Et triste, contrairement à ce que laisse penser la vidéo. Ce qui ne l’a pas empêchée d’être le seul single de Fleetwood Mac à atteindre la première place des charts à l’époque de sa sortie, en 1977. 

Fleetwood Mac est sans doute le seul groupe de l’histoire à n’avoir pour membres permanents que sa section rythmique, et dont le leader est un batteur n’écrivant pas de chansons.

Pour nombre d’amateurs de rock, 1977 est l’année punk. Ce révisionnisme nous conduit à oublier que l’album le plus populaire cette année-la, des deux côtés de l’Atlantique, fut “Rumours”. Un disque au son léché, feutré, typiquement californien, fleurant la cocaïne, à écouter à bord d’une décapotable sur un boulevard bordé de palmiers. On nommera plus tard ce genre musical “rock FM”, sans que l’on sache si ces initiales se réfèrent au format radio ou à Fleetwood Mac. Ironie du sort, on doit ce son caractéristique de la côte Ouest des États-Unis à un groupe formé dans les brouillards de Londres, en 1967, par des puristes du blues.

Le groupe se composait, à l’origine, de trois anciens membres des Bluesbreakers de John Mayall (où officia également Eric Clapton) : le regretté Peter Green, flamboyant guitariste décédé en juillet dernier, le batteur Mick Fleetwood et le bassiste John McVie (les patronymes de ces derniers servant de nom au groupe, d’abord baptisé Peter Green’s Fleetwood Mac). Un second guitariste, Jeremy Spencer, complète la formation dont le premier album, homonyme, paru en 1968, connaît un vif succès, propulsant ses auteurs au rang de figure majeure du British Blues Boom.

Suivent “Mr. Wonderful” (1968) et “Then Play On” (1969), sur lequel le groupe s’est adjoint les services d’un troisième larron à la six-cordes, Danny Kirwan. Des disques de blues, certes, mais nuancé de mélodies sensibles, voire mélancoliques (Man Of The World ou Albatross).

Combustion spontanée

Premier coup dur en 1970 : le cerveau de Peter Green, trop abreuvé de LSD, commence à vriller. En pleine crise mystique, le frontman arbore barbe, robes longues et crucifix, et juge immoral de gagner beaucoup d’argent avec sa musique alors que des gens meurent de faim au Biafra. Lorsqu’il exige de ses collègues qu’ils versent, à son exemple, leurs bénéfices à des œuvres de charité, il essuie un refus. Peu après, il quitte le groupe, qu’il laisse dans l’embarras. Où retrouver un guitariste et songwriter capable de composer des choses aussi marquantes que Black Magic Woman ou Oh Well ?

Le nom de Fleetwood Mac devait se révéler prophétique : c’est sans doute le seul groupe de l’histoire à n’avoir pour membres permanents que sa section rythmique. Le seul groupe, aussi, dont le leader est un batteur n’écrivant pas de chansons. Mick Fleetwood et John McVie, brillants musiciens mais incapables de composer ou de chanter, passeront les années suivantes à recruter divers guitaristes-chanteurs-songwriters, avec plus ou moins de bonheur. Voire plutôt du malheur. L’album “Kiln House”, assemblage un peu fade de compos de Spencer, de Kirwan et de reprises, sort en septembre 1970. Ce sera le dernier avec Spencer. Lors d’une tournée américaine, ce dernier annonce qu’il va s’acheter un magazine au kiosque juste devant l’hôtel, il en a pour cinq minutes. Il ne reviendra jamais. Ni pour le concert du soir (qui, du coup, est annulé), ni plus tard. Porté disparu, il est retrouvé au bout de quelques semaines au sein de la secte des Enfants de Dieu, qu’il a volontairement rejoint et ne souhaite pas quitter. Il sortira, par la suite, un album enregistré avec d’autres musiciens membres de la secte.

Les départs de guitaristes de Fleetwood Mac dans des circonstances étranges n’ont rien à envier aux disparitions de batteurs dans Spinal Tap, si ce n’est qu’aucun n’est mort de combustion spontanée. L’année suivante, c’est au tour de Danny Kirwan d’être renvoyé : alcoolique au dernier degré (il lui arrive de ne se nourrir que de bière durant des semaines) et irritable, il se met à dos tout le monde. Un soir, avant un concert, il s’engueule avec Bob Welch (guitariste embauché pour remplacer Spencer), s’enfuit dans les toilettes et se frappe la tête contre le mur, avant d’exploser sa Les Paul en mille morceaux. Ambiance.

Peter Green: Fleetwood Mac co-founder dies aged 73 - BBC News

Les femmes s’en mêlent

Entre 1970 et 1975, des albums continuent de paraître régulièrement, avec un succès toujours moindre. Citons “Future Games” (1971) et “Bare Trees” (1972), qui voient l’épouse de John McVie intégrer le groupe, un peu par accident :

“Ils étaient assez désespérés avant d’entamer leur tournée américaine car ils s’étaient aperçus que leur son manquait d’ampleur. Sur scène, il leur fallait une guitare ou un clavier supplémentaire. Il était trop tard pour embaucher un guitariste, mais j’étais là, assise à ne rien faire, je connaissais toutes les chansons car je les avais vus répéter pendant trois mois. C’est comme ça que j’ai rejoint Fleetwood Mac, dix jours avant le début de la tournée”, raconte-t-elle.

Elle n’a pourtant rien d’une débutante. Née Christine Perfect, la dame fait honneur à son nom. Pianiste de formation classique, elle a étudié la sculpture en école d’art et passé son adolescence à traîner dans les clubs de blues. Son groupe Chicken Shack, également dans la mouvance British Blues Boom, avait souvent partagé l’affiche avec le Fleetwood Mac de Peter Green. Distinguée “meilleure chanteuse anglaise” en 1969 par les lecteurs du Melody Maker, c’est aussi une compositrice douée qui a sorti un album solo, “Christine Perfect”, impeccable mais passé inaperçue, en 1970. À Fleetwood Mac, elle apportera sa voix unique, son premier tube aux États-Unis (Over My Head, en 1975) et des compositions merveilleuses comme Songbird. À Bill Clinton, elle apportera son hymne de campagne présidentielle, Don’t Stop – nous y reviendrons.

Traversée de l’Atlantique

Le jeu de chaises musicales continue ; sont embauchés puis jetés, en vrac, les guitaristes Bob Welch, Dave Walker et Bob Weston, viré pour avoir couché avec la femme de Mick Fleetwood. L’incident interrompt une vaste tournée américaine. Le manager du groupe, Clifford Davis, effrayé par les pertes financières liées aux annulations, a alors l’idée de mettre sur pied un faux Fleetwood Mac. Il recrute des musiciens qu’il met sur scène à leur place. Pas dupe, le public hue les imposteurs. La supercherie ne tiendra pas plus de deux semaines, mais sera lourde de conséquences : lorsque la bande à Fleetwood attaque en justice son manager, ce dernier bloque l’argent du groupe, qui n’a plus le droit de travailler et ne reçoit plus un centime. Dans l’impasse, les musiciens britanniques décident d’émigrer aux États-Unis.

The Real Fleetwood Stands Up - Rolling Stone

Ils emménagent à Laurel Canyon, un quartier situé dans les collines de Los Angeles et où a vu le jour toute une scène folk-rock allant de Joni Mitchell aux Eagles, en passant par Jackson Browne. Un style musical qui influencera fortement le groupe, dont le blues avait déjà évolué vers quelque chose de plus doux.
Après la parution, en 1974, de “Heroes Are Hard To Find” (voulaient-ils dire par là “Guitar Heroes Are Hard To Find” ?), c’est au tour de Bob Welch de jeter l’éponge, cette fois-ci dans des circonstances banales : il en a marre et veut tenter sa chance en solo. Si ladite chance ne lui sourira guère, pour Fleetwood Mac elle va tourner. À la recherche d’un énième guitariste pour remplacer Welch, Mick est subjugué par le jeu en picking d’un certain Lindsey Buckingham. Ce dernier accepte d’intégrer le groupe, à une condition : sa petite amie Stevie doit être embauchée comme chanteuse. Ce sera les deux ou rien. Le duo a déjà enregistré, en 1973, un album prometteur bien qu’un peu brouillon, intitulé “Buckingham-Nicks” – utilisant la même méthode que Fleetwood Mac consistant à accoupler leurs patronymes. À contrecœur, le batteur et le bassiste acceptent de s’encombrer de cette ravissante petite demoiselle, qu’ils ne tiennent pas pour une musicienne très douée. Seule Christine McVie, à qui l’on a préalablement demandé si elle prendrait ombrage d’une seconde présence féminine dans le groupe, accueille à bras ouverts la nouvelle venue.

Christine McVie: inside the world of Fleetwood Mac, then and now

Renaissance west coast

L’arrivée du couple californien marque le début de la période la plus connue du groupe. Dès 1975 sort un disque sobrement intitulé “Fleetwood Mac”, comme pour symboliser un nouveau départ. Après des débuts timides, les singles Over My Head, Say You Love Me (signés Christine McVie) et Rhiannon (morceau de bravoure de Stevie Nicks) commencent à se hisser au sommet des charts, à la surprise générale.
Pour la maison de disques, Warner, le Mac n’était plus qu’un petit groupe qui vendait régulièrement un nombre raisonnable de disques à une poignée de fans fidèles. Buckingham et Nicks, après le flop de leur album en duo, vivotaient péniblement, hébergés dans la maison d’un ami où Stevie faisait office de femme de ménage, en plus de son job de serveuse. Quant aux trois Anglais, le sort s’acharnait contre eux depuis tant d’années qu’ils n’envisageaient même plus de connaître un jour un succès égalant celui de l’époque Peter Green. Pourtant, peut-être grâce à ce son west coast apporté par les nouveaux venus, aux riches harmonies vocales rappelant celles de Crosby, Stills & Nash, l’album s’écoule à plus de 5 millions d’exemplaires et restera plus d’un an dans le Top 10. Un succès qui pousse la Warner à investir massivement dans l’enregistrement du follow-up

Le projet prend des proportions titanesques, les sessions traînent en longueur. Au total, mettre en boîte “Rumours” prendra plus d’un an, dans trois studios différents.

Si vous avez bien suivi, Fleetwood Mac compte désormais deux couples, trois compositeurs (dont deux femmes), deux chanteuses et un chanteur – en plus de l’immuable section rythmique. Singulière configuration, qui n’est sans doute pas étrangère à l’engouement du public, la diversité des voix et des styles de composition conférant au disque une richesse peu commune. Mais ce curieux mic-mac n’est pas fait pour simplifier la vie des Mac, d’autant qu’en intégrant le groupe, Buckingham et Nicks ont omis de préciser qu’ils étaient en passe de se séparer. Depuis plus d’un an, ils alternaient coucheries, crises de jalousie, départs et réconciliations. En parallèle, l’alcoolisme de John McVie est devenu un trop lourd fardeau pour son épouse, qui le quitte. “John n’est pas des plus agréables lorsqu’il a bu, il devient agressif, belliqueux, raconte Christine. Il testait sans cesse mes limites, pour voir jusqu’où il pouvait aller. Et il est allé un pas trop loin.” Cerise sur ce triste gâteau, la femme de Mick Fleetwood, Jenny Boyd (la sœur de Pattie, qui fut Mrs George Harrison puis Mrs Eric Clapton – vous suivez toujours ?) demande, elle aussi, le divorce.

Fleetwood Mac photographed by Herbert Worthington for the back cover of the Rumours album - 1976. ” | Fleetwood mac rumors, Fleetwood mac, Rumours album

Huis clos infernal

Le groupe choisit d’enregistrer aux studios Record Plant de Sausalito, dans la baie de San Francisco. L’idée est de changer d’air, s’éloigner de L.A., se couper de leur entourage (maîtresses, amants et dealers compris) pour mieux se concentrer sur la création musicale. Mais ce huis-clos va se révéler infernal. Le soir de leur arrivée, les trois mâles font la tournée des bars locaux et en ramènent des filles, transformant les appartements attenants aux studios en lupanar. L’ingénieur du son Ken Caillat, qui logeait également là-bas, raconte qu’à plusieurs reprises, rentrant tard se coucher, il trouva des filles nues endormies dans son lit. Dès le lendemain, Christine et Stevie fuiront cet endroit et prendront des chambres d’hôtel en ville.

Le couple McVie ne s’adresse plus la parole, sauf lorsque Christine indique à son futur ex-mari la tonalité du morceau. Buckingham et Nicks, au contraire, passent leur temps à discuter de leur relation – ce qui se solde souvent par des volées d’insultes, voire des gifles. Quant au batteur, maussade, il enquille les bières dès 10 h du matin – il a un roadie attitré qui lui apporte une Heineken fraîche dès que la précédente est vide. Il n’est pas le seul à bitancher. Toujours selon Ken Caillat, les Anglais sont portés sur la bouteille (vin blanc pour Christine, cocktails pour John), quand les Américains préfèrent fumer des joints – ce qui n’empêche pas Stevie d’enquiller les verres de cognac Courvoisier, se prétendant incapable d’enregistrer une prise de chant correcte sans en avoir bu un certain nombre. Si chacun a sa boisson de prédilection, une substance fera l’unanimité : la cocaïne, qui fait son apparition en studio quelques semaines après le début des enregistrements. Les quantités consommées sont si énormes que la poudre est stockée dans un sac plastique posé sur la console de mix. Le facétieux ingé-son a un jour l’idée de remplir de farine un sac du même modèle ; au moment où les musiciens lui demandent de leur apporter la coke, il saisit le sac de farine et le laisse choir au sol. La colère des Mac est alors telle qu’ils lui hurlent qu’il est viré. Lorsqu’il se met à rire, révélant la supercherie, les musiciens trouvent cela moyennement drôle.

Fleetwood Mac's "Rumours" 10 Things You Didn't Know - LaurelCanyonRadio.com

Journal intime musical

L’enregistrement est difficile. Le succès de l’album précédent allant grandissant, les ambitions du groupe et de la maison de disques sont revues à la hausse, de même que le budget. Le projet prend des proportions titanesques, les sessions traînent en longueur. De nombreux overdubs sont ajoutés grâce à la console 24-pistes dernier cri. Si cette pratique est aujourd’hui devenue la norme, à l’époque la plupart des prises étaient jouées live (c’est-à-dire par tous les musiciens en même temps), et seuls certains arrangements étaient ajoutés ensuite ; il était rare que des morceaux soient presque entièrement des assemblages d’overdubs. Au total, mettre en boîte “Rumours” prendra plus d’un an (un record, en 1976) dans trois studios différents.

Fleetwood Mac News: Check these photos out! Fleetwood Mac September 5, 1976, Austin, TX at Sunday Break 2

C’est John McVie, vers le milieu des sessions, qui a l’idée d’intituler l’album “Rumours”. L’engouement du public pour le groupe ne cessant de progresser, la Warner ne lésine pas sur la pub, communiquant déjà sur l’album à venir. Un film promotionnel alliant documentaire et performances live des nouveaux morceaux encore inachevés est même réalisé. En conséquence, parmi les fans et dans la presse, les rumeurs vont bon train à propos des relations entre les musiciens, d’où le titre de l’album. Titre à double sens, quand on sait à quel point la jalousie tourmentait le bassiste, dont l’ex-femme vivait une romance avec le chef éclairagiste du groupe, Curry Grant. John McVie expliquera par la suite : “J’ai choisi ce titre car les membres du groupe écrivaient une sorte de journal intime les uns à propos des autres à travers la musique.”

En effet, à l’écoute des paroles, il semble que les ex-amants, ne parvenant plus à communiquer, s’adressaient leurs reproches par chansons interposées. Second Hand News, le morceau d’ouverture, en est un parfait exemple, ainsi que Go Your Own Way et Never Going Back Again. Trois compositions où Lindsey Buckingham lance à Stevie des horreurs telles que “One thing I think you should know/I ain’t gonna miss you when you go”, ou “Loving you isn’t the right thing to do (…) You can go your own way/You can call it another lonely day”. Guère courageux, le guitariste, lorsqu’il présentera ces morceaux au groupe, commencera par prétendre n’avoir pas encore écrit les parties vocales, car il sait que ces paroles vont offenser son ex-petite amie et provoquer une nouvelle dispute. Mais rien ne sert de repousser l’échéance. La dispute aura lieu plus tard, quand la chanteuse découvrira les paroles qu’il a couchées sur bande à la faveur de la nuit. Elle va élaborer une riposte bien plus poétique : Dreams.

Stevie Nicks signifie à Buckingham que s’il joue avec les femmes, il se retrouvera seul, regrettant ce qu’il a perdu.

Espoir et météorologie

Encore largement sous-estimée par l’ensemble du groupe, la chanteuse s’ennuie en studio pendant que les musiciens travaillent les morceaux. En outre, elle souffre de ne maîtriser aucun instrument, bien qu’elle possède assez de notions de guitare et de clavier pour composer ses chansons. Un jour, elle emporte un petit Fender Rhodes et part à la recherche d’un endroit calme où elle pourrait écrire. Un employé du Record Plant lui suggère d’utiliser la pièce spécialement aménagée pour Sly Stone, alors inutilisée. “Un vaste espace incroyable, se remémore Stevie. Il y avait un grand lit à baldaquins circulaire avec des draps noirs, style gothique. Je m’y suis installée avec mon piano miniature et j’ai écrit Dreams. Reposant entièrement sur deux accords basiques, fa et sol, le futur tube est une réponse au Go Your Own Way de Buckingham, lui disant, en gros : “Tu veux ta liberté, tu veux t’amuser avec d’autres femmes ? Qui suis-je pour t’en empêcher ? Mais bientôt tu souffriras d’une terrible solitude, et tu penseras à ce que tu as perdu.” Moins agressif, mais tout aussi cruel. La poésie de Nicks regorge de métaphores météorologiques (on en trouve également dans Landslide, Storms ou The Chain). Avec le vers “Thunder only happens when it’s raining”, on peut supposer qu’elle signifie à Lindsey que si elle explose souvent de colère, tel le tonnerre, c’est parce qu’il l’a fait pleurer – la pluie évoquant ici les larmes. Le refrain se conclut par “When the rain washes you clean you’ll know”, phrase que l’on peut interpréter comme un message d’espoir : après avoir longtemps coulé, les larmes de Stevie vont sécher et elle finira par pardonner, les deux musiciens pouvant alors avoir une relation amicale.

Un espoir que l’on retrouve dans The Chain, seul morceau de “Rumours” crédité à l’ensemble du groupe, et celui qui leur a donné le plus de fil à retordre, nécessitant 11 mois de travail ! Il s’agit de l’assemblage de deux composition, l’une de Stevie, l’autre de Christine, à laquelle John a ajouté un puissant riff de basse amorçant une partie instrumentale sur laquelle les trois chanteurs répètent en harmonie “Chain keep us together” : bien qu’ils ne s’aiment plus, ils ne briseront jamais la chaîne qui les lie les uns aux autres – cette chaîne étant très certainement la musique qu’ils créent ensemble (et l’argent qui en découle).

Hymne présidentiel

D’optimisme, il est également question dans les créations de Christine McVie, dont l’humour décapant éclaire les sessions. Elle est l’autrice du morceau le plus enjoué de l’album, You Make Loving Fun, l’une des rares chansons d’amour joyeuses de l’histoire – les songwriters ayant généralement tendance à ne chanter l’amour que lorsqu’il est perdu ou inaccessible. Inspirée par son idylle avec l’éclairagiste, McVie parle du sentiment euphorique des premiers instants d’une relation : “Sweet, wonderful you/You make me happy with the things you do (…) I never did believe in miracles/But I’ve the feeling it’s time to try”. Redoutant la réaction de John lorsqu’elle présente sa chanson au groupe, elle explique avoir écrit ces mots pour son chien, Duster, qu’elle trimballe partout. La première journée de travail sur ce morceau se passe bien, mais le lendemain, John est introuvable. Après avoir finalement compris que la chanson n’était pas destinée au chien, il est parti se prendre une cuite monumentale.

Peinée de voir son ex-mari si malheureux, l’Anglaise lui adresse un morceau d’abord intitulé Yesterday’s Gone, dans lequel elle lui conseille de ne plus regretter le passé et de regarder vers un avenir meilleur. “All I want is to see you smile”, chante-t-elle. Selon ses dires, “I never meant any harm to you” est le message central de la chanson, dont le refrain commence par “Don’t stop thinking about tomorrow”. Une fois chantés, les mots “Don’t stop” résonnent avec évidence, devenant le titre du morceau. Ses paroles, ne comportant aucune allusion à un divorce, ni même à une relation amoureuse, en font un chant d’espoir universel. Plus de dix ans plus tard, Bill Clinton, qui envisage alors d’entrer dans la course à la Maison-Blanche, l’entend à la radio dans un taxi. Le chauffeur lui conseille de l’utiliser comme hymne de campagne, ce que le candidat fera. Il réussira même à convaincre Fleetwood Mac, alors séparé, de se reformer pour une performance live en soutien à sa candidature – et remportera l’élection.

Succès monumental

Dès sa sortie, en février 1977, “Rumours” connaît un succès dépassant toutes les espérances, atteignant la première place des charts aux États-Unis, en Angleterre et dans de nombreux pays (mais pas en France, où Fleetwood Mac a, pour d’obscures raisons, toujours été boudé). Le disque est resté dans le hit-parade britannique pendant 478 semaines, soit presque 10 ans : un record ! Ayant remporté le Grammy Award de l’album de l’année, il est aujourd’hui vingt fois disque de platine, et est le huitième album le plus vendu au monde.

Suivra l’enregistrement – encore plus pénible, selon les protagonistes – du double album “Tusk” (1979), musicalement plus aventureux et comportant des petits chefs-d’œuvre (That’s All For Everyone, Storms, Think About Me…). Moins mainstream, trop long et foutraque, il décevra les fans et ses chiffres de vente seront ridicules en comparaison de “Rumours”.

Fleetwood Mac - Tusk | Rhino

La suite de l’histoire de Fleetwood Mac est une succession de séparations, d’albums solo (ceux de Stevie Nicks marcheront mieux que ceux du groupe et feront d’elle une superstar), de reformations et de disques au son très 80’s, aujourd’hui affreusement datés même si le talent des compositeurs parvient à surnager, illuminant certaines chansons (Little Lies, Gypsy). Reformé à la surprise générale en 2018, sans Buckingham (viré pour cause d’engueulades constantes avec Nicks, et remplacé par Neil Finn de Crowded House et Mike Campbell des Heartbreakers de Tom Petty), le groupe s’est lancé dans une gigantesque tournée mondiale célébrant son cinquantième anniversaire – tournée qui n’est, hélas, pas passée par l’Hexagone où la sauce Big Mac n’a jamais vraiment pris… Espérons que l’improbable buzz de Dreams sur TikTok puisse enfin ouvrir les oreilles des Français passés à côté de cette formation aussi atypique qu’excellente.

Aux dernières nouvelles, Mick Fleetwood, 73 ans, s’est ouvert un compte TikTok et y a posté une vidéo pastichant celle de Nathan Apodaca. “Dreams et du jus de cranberry, c’est vraiment quelque chose”, indique-t-il en légende. Manière de boucler la boucle, ou d’amorcer un énième rebondissement pour son groupe ?

3 commentaires

  1. Hé bien pas si inconnu en France, puisque j’avais cet album Rumours en 1981 et que je n’étais pas le seul à l’écouter. On avait 18 ans et on se passait plein d’infos !

    Joli texte sur ce groupe

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