(C) Anna Elle

Installé à Bordeaux, capitale française du garage mais aussi des derniers fans de Bertrand Cantat, Drunk Meat vient de sortir « Diagonale du vide », un album qui ne sonne pas du tout comme du Noir Désir. Et c’est une bonne nouvelle. L’autre, c’est que le duo se prête ici au jeu de la promo avec un questionnaire anti-promotionnel. Réponses garanties en diagonale, mais jamais vides.

Il y a deux ou trois semaines, un soir de veille de jour férié, j’erre au CafK, un bar à Nantes auquel j’ai fini par m’attacher, une sorte de repère autoproclamé de l’indie locale mais pas que. Mes amies de l’association Willie Présente y organisent alors le concert d’un duo bordelais dont j’ignore encore l’existence mais qui a déjà sorti un deuxième album l’automne dernier (Diagonale du vide), Drunk Meat. Les corps et les pintes en mouvement au fond de la salle aidant, j’adhère progressivement à ce que j’écoute. Du nihilisme saturé, orné de synthés minimalistes et addictifs. Le live terminé, je rencontre Céline et Romain dans la nuit nantaise et leur propose de répondre à quelques questions anti-promotionnelles trois jours plus tard à distance, à la lumière d’un MacBook Pro fatigué.

Quelle serait la pire manière de vous présenter ?

Romain : Je vais partir d’une anecdote. On a joué à Marseille il y a quelques années et un mec à la fin du concert est venu me voir en me disant que ça lui faisait penser à un groupe sans me révéler lequel. Il voulait que je devine et à la fin il me lance « mais putain c’est évident, c’est Noir Désir ! ». Donc l’une des pires façons de nous décrire serait de nous comparer à un groupe de reprises de Noir Désir, avec de la poésie sombre et romantique. Ou bien comme un groupe de SMAC. Nous présenter comme un duo de rock français sonne aussi comme une sorte de reproche car beaucoup de gens ne supportent pas le chant dans notre langue…

Céline : Oui le chant en français, ça fait rock alternatif des années 1990 et pour beaucoup ça sonne mal, vulgaire.

Romain : Comme ce que disait John Lennon sur le rock français et le vin anglais. Je pense que des gens considèrent toujours le rock français comme mineur.

Quelle est la pire influence musicale qu’on vous ait jamais attribuée ? Du moins la plus à côté de la plaque…

Romain : Noir Désir, donc, plusieurs fois.

Céline : On nous a parlé de groupes qu’on ne connaissait même pas…

Romain : Un soir de concert, on nous a dit que ce qu’on faisait ressemblait à Godflesh, un groupe d’indus à la Ministry. Probablement à cause de la boîte à rythme. Mais évidemment ça n’a absolument rien à voir, c’était un raccourci improbable.

Céline : La boîte à rythme comme si c’était une boîte de Pandore des références cheloues.

Romain : Ah oui et puis Trust aussi !

Drunk Meat "Diagonale du vide" | A Tant Rêver Du Roi Records

Question de Nantaise : c’est quoi l’inconvénient d’être un groupe indé à Bordeaux ?

Céline : Ce n’est pas facile d’y trouver sa place. Il y a toujours des plus gros que soi auxquels on accorde plus d’espace de manière assez systématique. La question de la visibilité n’est pas évidente.

Romain : Je dirais que Bordeaux est une ville se reposant un peu sur ses acquis et qui a tendance à mettre toujours en avant le patrimoine et les gloires installées. C’est difficile d’être dans de la nouveauté, du moins dans quelque chose qui n’irait pas forcément dans le sens des canons de ce que les gens écoutent. On ne sait pas forcément comment ça se passe ailleurs mais j’ai l’impression que Bordeaux n’est pas une ville proposant de la fraicheur sur la scène française.

Céline : Il n’y a pas trop d’avant-garde.

Romain : Avec Drunk Meat, on n’est pas dans une scène dans le sens où il n’y a pas d’autres groupes qui font la même chose que nous. On est un peu isolés. Il y a quelques années, la caricature c’était un peu le garage bordelais mais aujourd’hui il n’y en a plus beaucoup. En ce moment c’est plutôt des groupes de pop et on n’est pas là-dedans. On avance en électrons libres, on va dire.

Céline : C’est assez cloisonné. Il y a des scènes et des collectifs, ou bien des groupes « isolés » qui arrivent à tirer leur épingle du jeu mais ça doit faire vingt-cinq ans qu’ils jouent.

Romain : Il y a eu une effervescence pendant quelques années et aujourd’hui avec l’intense gentrification, beaucoup de lieux ferment et les forces vives fuient la ville parce que c’est devenu très cher. Les jeunes n’ont pas les moyens et vont ailleurs. On voit par exemple à Marseille une scène foisonnante et c’est sûrement lié au fait que c’est plus simple de s’y installer.

Céline : C’est plus stimulant et la scène y est plus créative oui… A Bordeaux, on est sur le registre de la belle endormie.

Diagonale du vide, le nouveau Drunk Meat - Section26
(C) Anna Elle

En référence au titre de votre LP, Diagonale du vide, pourquoi ne pas rendre hommage aux métropoles ?

Romain : On vit dans un pays où les choses sont très centralisées dans la capitale. Sorti des métropoles on peut avoir l’impression qu’il n’existe pas grand chose.

Céline : On a vécu en Charente pendant quelques années et on a fait l’expérience d’un quotidien dans une ville un peu au milieu de rien et qui se meurt. Ça nous a marqués. C’est un peu un hommage à notre petit passif charentais.

Romain : On a le goût de la littérature des freaks, tout ce qui est nature writing, southern gothic. On aime Harry Crews, toute cette culture autour des marges et des périphéries, en contrepoint avec ce qui se passe en ville. On a aussi envie de parler de cette France laissée à l’abandon. J’ai eu peur à un moment donné que notre titre soit pris pour de l’ironie, du cynisme, qu’il soit mal pris, comme un vieux truc de citadin…

Céline : Et l’expression en elle-même est très belle. On peut y mettre plein de sens.

Romain : On écrit aussi pas mal de paroles tournant autour du vide, des apparences. Ce vide social qui pour le coup se retrouve en ville.

Céline : Le fait de se perdre facilement dans plein de choses.

Romain : On a une sorte de fascination-répulsion pour cette vie nocturne un peu stérile qu’on a aussi vécue…

De quoi n’auriez-vous surtout pas envie de parler dans vos morceaux ?

Romain : Je n’aurais pas envie d’évoquer des trucs totalement creux comme on pourrait le faire en anglais. Je n’aime pas trop non plus l’autofiction, c’est vite snob. J’ai du mal avec les artistes qui parlent d’eux-mêmes, de leurs petits problèmes de bobos blancs, pas si mal portants au final. Cette espèce de déprime de la ville, du showbiz… Je trouve ça un peu déplacé, socialement. On ne va pas non plus aborder des choses qui ne nous ressemblent pas, une fausse « street cred » par exemple. On ne va s’inventer des identités qui ne seraient pas du tout les nôtres. Après il n’y a pas vraiment de sujets qu’on s’interdit. Même de boulot on arrive à parler !

C’était où et quand votre pire concert ?

Céline : C’était notre premier concert à deux, dans notre salle de répèt’, et ça a été un vrai carnage. Le gars qui avait organisé le concert était absent, le groupe avec qui on devait jouer est arrivé très en retard. Ils ont fait des balances de quatre heures et n’en avaient rien à foutre, ils n’étaient pas sympa du tout.

Romain : Ils sont allés promener leur chien au moment où on devait monter sur scène !

Céline : Toute la soirée a été comme ça. Humainement c’était très dur.

Romain : Mon pire souvenir, c’est un concert à Pau dont je viens. J’ai toujours détesté jouer dans ma ville d’origine. Les gens qui te connaissent depuis longtemps n’arrivent pas à te prendre au sérieux. J’ai toujours fait des concerts de merde à Pau. Ce soir-là on n’avait pas si mal joué mais le public était froid et n’a pas du tout réagi. J’ai vécu des concerts bien plus foireux mais avec d’autres groupes !

(C) Anna Elle

Une opportunité intéressante que vous auriez loupée ?

Romain : On n’en a jamais !

Céline : Un ami organisait un concert pour la dernière soirée d’une salle à Bordeaux. Il organisait tous les ans un festival dans l’esprit More Women On Stage, donc avec au moins une fille par groupe. J’avais été bénévole un temps dans son asso et il nous avait proposé de jouer pour ce festival où étaient programmées les Vulves Assassines mais ça ne s’est pas fait… J’étais attachée à cette salle. Elle était un peu pourrie avec du carrelage, mais si cool.

Un truc dans votre parcours musical que vous n’assumez plus du tout aujourd’hui ?

Céline : J’ai joué de la flûte à bec pendant dix ans. Longtemps j’en ai eu honte, aujourd’hui ça va mieux !

Romain : Avec l’un de mes premiers groupes on répétait dans une MJC et on faisait du sous Deftones, c’était pas glorieux. On jouait comme des culs, le bassiste arrivait en mobylette et trimballait son ampli dessus. J’avais quinze ans quoi. Je portais des baggys et un bouc, comme Chino Moreno…

La pire question qu’on vous ait posée en interview ?

Romain : Ce sont souvent les mêmes qui sont nulles. Celles sur les influences sont toujours casse-gueule et très bateau. Donc toi tu as été originale pour le coup.

Céline : Pour moi, c’est de nous demander le mot de la fin.

Romain : La question ouverte… Pas faux, c’est chiant aussi. On n’a jamais eu droit à des questions franchement gênantes. Je n’aimerais pas qu’on nous interroge sur notre « processus de création ». Ce n’est pas qu’on n’en a pas, mais on ne se prend pas pour des artistes qui se regardent faire. En plus, quand tu es lecteur, ce n’est pas forcément si intéressant. Je préfèrerais qu’on nous demande comment on « fabrique » nos morceaux ou d’où on part pour écrire et composer. La formulation « processus de création », ça sacralise trop la chose à nos yeux.

https://thedrunkmeat.bandcamp.com/album/diagonale-du-vide

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