Sortez les cotillons c'est le Nouvel An Belge à Paris. En cette fin de septembre, pas de frites ni de moules -fi des vieux

Sortez les cotillons c’est le Nouvel An Belge à Paris. En cette fin de septembre, pas de frites ni de moules -fi des vieux clichés wallons- mais un invité d’honneur au cinéma « Studio 28 » qui se nomme Jean-Jacques Rousseau. « Homonyme mais pas ancêtre » du genevois philosophe, précise l’intéressé, et surtout réalisateur aussi insaisissable que son identité. Si le freak belge se planque sous des cagoules, masques et autres subterfuges carnavalesques, son  cinéma low-budget méritait bien un hommage à visage découvert.

Dans la plus vieille salle de la capitale, inaugurée en 1928 par le Napoléon d’Abel Gance, où en 1930 Luis Bunuel scandalisait le bourgeois avec l’Age d’or, un autre subversif prend aujourd’hui le relais. Mais, réservant le cinéma de Rousseau comme un bon rôti qu’on laisse mitonner pour plus tard, on assiste en préambule à la projection d’un documentaire sur le « cinéaste de l’Absurde », comme Jean-Jacques se plait à se décrire.

Avec Furor Absurdus, les cousins Michel et Maxime Pasques présentent une sorte d’exégèse de l’univers rousseauiste. Chapitré par les messages téléphoniques laissés par le bonhomme aux deux réals’, le documentaire, tourné dans les coulisses des films de Rousseau, oscille sans cesse entre humour, intimité et humanité. L’homme masqué se révèle un gamin passionné qui a remplacé ses soldats de plomb par des acteurs amateurs et bénévoles (tels l’incroyable Johnny Cadillac sosie de Johnny ou Jean-Claude Botte, excellent viking pervers), qui imagine des scénarii improbables portés par des docteurs déviants et cruels, des infirmières bossues, des nazis russophones (ou l’inverse), bref une galerie de portraits totalement loufoques lâchés dans des histoires insolites.

Après cette mise en bouche alléchante, arrive (enfin !) un court-métrage de Rousseau, Le Docteur Loiseau et ses sinistres augures (mise en boîte par les mêmes cousins chargés du cadrage et du montage depuis leur rencontre). Des maris partent à la recherche de leurs épouses disparues mystérieusement, enlevées par le fameux Loiseau. On les retrouve, retenues dans une cave où elles subissent sévices et autres douceurs locales (la cave en Belgique étant devenue une marque de fabrique sordide, ça fleure bon la culture du sous-sol). Ça jacte de traite des blanches, de mafieux russes, d’avocats véreux…

Cinéma social aux antipodes des Dardennes, reniflant sur les terres humoristico- absurdes des Convoyeurs attendent, le film de Rousseau laisse pantois comme toute sa filmographie.

Pour saisir l’homme de Charleroi, il faut remonter le temps, jusqu’en 1964. Alors en service militaire en Allemagne, à la frontière russe, Rousseau a une épiphanie. « Pendant une nuit très froide, une nuit cosmique et étoilée, j’ai vu un Russe apparaître dans le ciel qui m’a fait une confidence, en russe. Il m’a révélé son nom, Igor Yaboutich, et m’a dit que je pouvais faire du cinéma ». Voilà la vocation, déjà largement initiée par sa mère passionnée du septième Art, ainsi que son personnage clé, interprétée par Noël Godin, le fameux entartreur. Son premier film sera L’Etrange histoire du professeur Igor Yaboutich, il passe ainsi « le cap entre spectateur et celui qui fait du cinéma ». Il touche alors à tout, 8mm, 16mm et aujourd’hui numérique.

« Le numérique, je l’ai redouté au début, je disais, la vidéo ça fait pourrir le cerveau de l’intérieur. Mais pourquoi refuser le progrès. »

Nouvelles technologies rimant avec nouvelles habitudes de tournage, Rousseau s’entoure de cadreurs et de monteurs (la plupart bénévoles dont les cousins Pasques), mais parfois la collaboration tourne au vinaigre; il se sent dépossédé de son travail, comme si son « œuvre était amputée». Pourtant, il ne se résout pas à la méthode Mocky, qui consisterait à terroriser ses collaborateurs pour obtenir ce qu’il veut. « Je suis un socialiste, on ne peut pas établir une dictature cinématographique sur un plateau ». Un réalisateur qui parvient à (en)cadrer sans problème, vu de France c’est peut-être encore une bonne blague belge.

Pas de dictature donc; pour autant les tournages de Rousseau sont rock’n roll. Pas d’assurance pour les acteurs, aucun accident mortel pour l’heure à signaler mais la prise de risques reste toujours de rigueur. Le Belge ne s’autocensurant jamais (exception faite du snuff movie qu’un acteur lui aurait tout de même proposé), il confirme lui-même passer « souvent par le chas de l’aiguille ». Mais ca veut dire quoi exactement?

Passionné de ciné jusqu’à l’extrême, citant aussi bien Kubrick (son maître), que Lautner, Mad Max ou Louis Feuillade, Rousseau lorgne sur un nouveau projet (il en a toujours plusieurs en route) avec Jan Kounen. Le réalisateur de Doberman, présent lors de cette soirée hommage, aimerait bien lui aussi mettre une cagoule (un masque de catch paraît-il), pour un film bicéphale où tous les acteurs seraient masqués sauf Rousseau himself, interprétant un personnage qui chercherait à entrer en contact avec…Jean-Jacques Rousseau ! La mise en abîme, au fin fond de l’absurde.

Après avoir créer sa mythologie par son invisibilité, peut-être la dernière pierre à l’incroyable carrière de Rousseau sera-t-elle de se démasquer. « J.J. Rousseau est habité par une force obscure » disait Noël Godin. Il a foutrement raison. De là à savoir qui de Kubrick, Ed Wood ou Johnny tient la caméra, seul ce bon vieux Yaboutich semble finalement le savoir.

Photos: Gaelle Riou-Kerangal

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