En plus de dix ans de concessions et autres apitoiements envers l’ô combien subtil et souvent navrant monde de la musique classique, il arrive parfois qu'on sature.

En plus de dix ans de concessions et autres apitoiements envers l’ô combien subtil et souvent navrant monde de la musique classique, il arrive parfois qu’on sature. Marre de recevoir des machins has been qui n’ont de valeur que l’étiquette. Mais même au milieu de ce désastre industriel qu’est devenu la musique,  il existe encore des îlots de surprise qui font qu’on ne jette jamais complètement l’éponge même tout près du K.O.

Moi, j’aime les artistes qui se prennent par la peau du cul et qui avancent. A ceux qui passent leur temps à chialer auprès des labels pour vendre leur soupe ou refaire le monde sur les deux euros de droits SACEM qu’ils touchent sur leurs subtiles créations. Go to Hell !

Paris, XIVe arrondissement. Les fauteuils en rotin du café Les Artistes sont juste assez larges pour accueillir le grand corps pas du tout malade de Frédéric d’Oria-Nicolas. En face de lui, j’ai franchement l’air d’un sandwich SNCF narguant l’opulence d’une choucroute garnie façon Schmid. Lorsque le pianiste te sert la pince c’est plus que le poids du répertoire que tu ressens. Les années passées à l’école Gnessin à Moscou ont forgé un esprit, une santé de paysan russe, un corps solide et des mains de bûcheron dont les doigts puissants ne s’accordent qu’aux larges claviers des pianos modernes, Steinway en l’occurrence. Caprice mérité pour ce petit français qui n’a pas rechigné à se lever par -30, apprendre le russe et s’introduire dans les classes de l’héritage Stalinien à la recherche d’un piano pas trop usé pour y passer ses dix heures de pratique quotidienne. Dehors, il fait gris et froid, la neige fondue tombe sur le scooter du pianiste. Le temps d’enlever les gants et le casque en guise de chapka, le patron nous sert deux décas … sans vodka. La conversation embraye directement sur son premier opus consacré à Schubert, on est en pleine période promo. Puis nous en venons à son retour en France. Période de galère où l’artiste comprend qu’il ne peut compter que sur lui-même. Les majors et autres medias soumis et séniles sont tour à tour passés à tabac façon KGB, ça fait du bien ! Créer son label Fondamenta, superviser les prises de son, choisir sa programmation ou son photographe, proposer ses disques au téléchargement n’a rien de l’entreprise kolkhozienne.

Au contraire, l’action est noble et louable. Comme un caprice de Tsar.

Loin, très loin des sempiternelles rengaines servies par les majors dans la période glacée précédent le joyeux Noël, Frédéric me cause de son dernier disque comme pour conjurer le sort. Cette année nous n’aurons pas à farcir la dinde qu’avec des ritalitudes de banlieue d’un Alagna en tricot de corps ou les roucoulades de bigote de Liz McComb. On peut aussi opter pour un magnifique voyage musical à travers le temps et les grands espaces, des fjords de Norvège aux steppes d’Asie centrale. Pour cela, il fallait la complicité et le talent d’un vieux pote, russe de préférence, en la personne de Svetlin Roussev au violon. Les panoramiques s’ouvrent sur des paysages féériques et sauvages sculptés dans le froid des glaciers enneigés, la rudesse des rochers et la profondeur des lacs. Les fjords prennent leurs teintes musicales au travers de cette dernière sonate de Grieg qui puise dans la légende du folklore norvégien son caractère héroïque et fantastique. J’allume un bon feu de cheminée, me sers un double scotch et c’est parti pour plus d’une heure de frissons. Accolée à ce premier tableau, les espaces s’agrandissent encore. La sonate pour violon et piano de Medtner propose une escapade russe entre chants religieux et danses populaires. Le langage est plus compliqué : »Je ne voulais pas faire un disque entièrement Medtner parce que personne ne l’aurait écouté » … C’est clair mais c’est tellement bon !

Je regarde au travers de mon verre de scotch, les flammes s’exhibent en éclats kaléidoscopiques faisant danser la Russie toute entière dans 40 degrés d’alcool. J’ai bien chaud là … Frédéric me regarde d’un drôle d’air. Forcément, c’est l’heure de se quitter. Je rêvassais encore en buvant ses paroles. Ça m’a fait du bien, beaucoup de bien.

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