(C) Alice Moitié

Depuis la fin de 2017, beaucoup de choses se sont passées pour Jacques. D’abord, un 26e anniversaire avec en cadeau un cambriolage. Ensuite, une retraite spirituelle au Maroc pour faire le point et du son, puis maintenant, un nouveau disque. Sur ce dernier, « L’importance du vide », le musicien se mue en chanteur lors de morceaux résolument plus pop et verbeux. On l’a rencontré à Paris, et voici ce que ça donne quand deux Jacques se parlent.

Retour en 2015. À ce moment de sa vie, Jacques Auberger a tout du parfait savant ; ce qui peut en décontenancer certains. En parallèle à ses essais sonores et la parution de son premier disque « Tout est magnifique », il vient de créer le Centre National du Vortex. Dans ce lieu, avec Alexandre Gain, ils mènent des expériences pluridisciplinaires dont le but est de trouver différents niveaux de lecture à des phénomènes situés dans le passé et le futur, dont l’intérêt se manifeste au moment de leur réalisation. Avec ses études, les compères analysent le rapport à la perplexité, qui, première constatation, provoque généralement le rire chez la plupart des gens. Lorsqu’on le rencontre, 7 ans plus tard, on se permet donc d’essayer ensemble une nouvelle idée pataphysique ; terme employé selon la définition de Boris Vian. Après avoir léché une langue, infusé un infuseur ou défenestré une fenêtre, Jacques allait se faire interviewer par… Jacques. Un concept quasi schizophrène, qui aurait eu toute sa place dans le Gonzaï 39, ce magazine consacré aux magazines.

L’importance de « L’importance du vide »

Paris XVIII, arrivé sur place chez son cousin, manager et meilleur ami Étienne Piketty, le ton est donné : « Bonjour Jacques — bonjour Jacques — oui, c’est ça — non, c’est moi — Ah… » La suite n’est pas mal non plus : « On se voit aujourd’hui pour parler de “L’importance du vide”… — Laisse-moi deviner, toi aussi tu sors un album ? — Euh, bah non ? — Ah… » Outre ces mots d’esprit, ce disque en question est une étape cruciale dans la carrière de ce fils d’artiste. Il marque un vrai tournant, une façon nouvelle de confectionner de la musique. Après en avoir créé à partir de choses du quotidien et d’avoir transformé cette technique en signature — aussi en un « atout marketing », nous y reviendrons — Jacques semble s’être rendu compte qu’il existait déjà des objets qui étaient spécialement conçus pour composer : les instruments. Cette affirmation le fait sourire.

Il ne faut pas non plus la prendre au pied de la lettre. Quand on connaît un brin son parcours, les souvenirs de son adolescence ressurgissent. Ceux de son Strasbourg natal et du groupe RSK (pour The Rural Serial Killer), qui n’avait rien à envier aux BB rockeurs de cette époque, si ce n’est sa localité, trop excentrée de l’effervescence parisienne. Un temps où l’homme pas encore « tonsé » ne pouvait s’arrêter d’étreindre sa guitare, de s’améliorer dans son maniement. Une madeleine de Proust que l’on retrouve logiquement aujourd’hui en fil rouge de son nouvel album. Elle traverse tous les morceaux et tisse une toile beaucoup plus pop, une direction que Jacques a volontairement empruntée.

Puzzles de mots et de pensées

Si certaines chansons mettent toujours en scène son amour pour les musiques répétitives et électroniques (Kick ce soit) — qu’il a développé pendant ses premières années à Paris ; de sa période squats à la création des soirées Pain Surprises —, ce long format montre une authentique mue. Après avoir chanté pour la première fois le fait qu’il chantait pour la première fois sur son morceau Dans La Radio (2017), Jacques s’exprime désormais tout au long des pistes. Véritable clef de voûte de cet album, la voix est mise en avant et les messages — ses obsessions, ses lubies et interrogations — sont distillés à travers le tutoiement, une manière d’apostropher directement les auditeurs.

Comme dans le rap, il débite. Les métaphores sont de rigueur (Qu’en avez-vous fait ?) et donnent cette sensation de clair/obscur (Partout) que Jacques résume ainsi : « à la fin du disque, tu te dis : “waouh, mais de quoi il m’a parlé ? Mais en même temps je vois ce que c’était”. » Une chose rare, et surtout réussie, à l’image de l’album dans son ensemble. Mais comment s’est-il construit ? Où ? Quoi ? Qui ? Quand ? Autant de questions qu’on lui a posées lors de cette longue interview entre Jacques.

(C) Alice Moitié

Je suis un peu obligé de commencer par là. Le 19 décembre 2017, j’écrivais un article sur toi dans Les Inrocks qui expliquait que tu t’étais fait piquer ton matos et que tu prenais momentanément tes distances avec le monde de la musique. Comment as-tu réagi à cette flopée de papiers qui annonçait que tu « arrêtais la musique » tout court ? 

Visiblement comme toi. J’ai plutôt l’impression que c’était une espèce de méga récupération d’une information qui n’est a priori pas si importante ni intéressante que ça, pour la transformer en une sorte de truc un peu « p*te à clics ». Ça permettait à des médias en crise d’avoir un post de plus, c’est-à-dire une tentative de plus — ce jour-ci —, de faire cliquer des gens sur un lien. J’ai servi à ça pour la première fois et je me suis dit : « ah, c’est marrant, je suis désormais suffisamment implanté dans le paysage musical pour qu’on puisse m’utiliser de cette façon ». Donc j’ai trouvé ça flatteur.

« Le milieu de la presse musicale est vraiment en détresse. »

J’ai relu le texte que tu avais écrit pour annoncer la nouvelle. Il y avait quelque chose d’assez émouvant en somme. 

Hum… Le titre que tu viens de me citer — « Dépouillé de tout son matos, Jacques arrête la musique jusqu’à nouvel ordre » — avait l’air assez fidèle à ce que je faisais : c’était ça. Je m’écartais pendant un temps de la musique. J’avais déjà relu mon post Facebook pour voir à quel moment ça avait buggé. Je me rappelle de m’être dit que les médias avaient craqué et que je n’avais rien écrit de la sorte… Quand même, la plupart des articles étaient en mode : « Jacques arrête la musique » … Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Je ne voyais pas bien… En fait, j’en ai appris beaucoup sur les médias ce jour-là. Comme le jour où un mec du nom de Jacques a publié un album sur Spotify et que ça s’est connecté à mon compte. Le lendemain, des magazines que je ne citerais pas, ont posté une review en titrant : « Jacques à sorti un album dans la nuit sans prévenir personne ». Donc je me dis qu’aujourd’hui, le milieu de la presse musicale est vraiment en détresse.


Peut-être que les médias ont pris la nouvelle de la sorte, parce qu’ils ont compris que tu étais à une étape de ta carrière où tu commençais à saturer ? Tu étais en pleine « tempête de hype » et tu enchaînais les concerts, tu voyageais aussi beaucoup.

C’est vrai… Puis j’étais saoulé. À un tel point que j’étais content que ça s’arrête. Après m’être fait cambrioler, j’étais consolé par le fait d’avoir une raison de lâcher. Ça m’a fait du bien et c’était la meilleure décision. Qu’est-ce que j’aurais fait sinon ? Continuer les shows avec des bruits d’objets jusqu’à mes 30 ans ?

Re-contextualisons un peu. Ce cambriolage intervenu le soir de ton 26e anniversaire a clôturé une période où tu enchaînais les concerts de façon frénétique. Tu te sentais « usé » en quelque sorte ?  

Oui, et puis tout s’est passé très vite. J’avais tellement envie de pénétrer le milieu de la musique qu’on a tapé très fort dans la porte. Mais en vrai, pour qu’elle s’ouvre, on n’avait pas besoin de le faire si fort. Donc je me suis retrouvé à basculer à l’intérieur de la pièce, et il fallait juste que je reprenne mon équilibre. Il fallait que je capte cette transition entre le mode où j’acceptais n’importe quoi et ce délire de sélection. Sinon j’aurai passé ma vie à effectivement faire n’importe quoi. Quand tu glisses de rien à tout, ou de 0 à 1, tu te dis que tu vas finir à « plus l’infini », et ce n’est pas forcément là où je désire aller. Donc il faut se « stratégiser » et réfléchir. Je recevais plein de mails : « tu veux jouer dans 1 an à tel endroit de Taiwan ? » Je répondais : « bah ouais carrément ! » Mais j’ai capté que c’était un truc sans fin et que même au moment où j’ai dit que je stoppais, j’avais encore un an de dates de prévu. La vérité, c’est que les Français ont tellement aimé penser que j’arrêtais tout — j’ai laissé croire ça —, alors qu’en fait, après avoir « arrêté », j’ai fait une tournée en Amérique du Sud et une autre en Chine. Personne n’a dit : « mais qu’est-ce que Jacques fout actuellement à Mexico ?! » Le pire, c’est que je postais toujours des trucs sur Facebook !

 

Comment as-tu pris ça ? Que personne n’en parle ?

Au moment où ça se renverse, c’est-à-dire quand on commence à dire non, c’était déjà avant que j’arrête. Ce qu’il se passe, c’est que les gens sont prêts à donner encore plus de fric pour te faire accepter des trucs. Ça te met dans une position de force pour la négociation. Ça nous a relancé dans un cycle en mode : « ah, mais il y a vraiment du blé… » Je me disais qu’on n’allait concrètement jamais s’arrêter. Et dans mon cas, on ne parle pas non plus d’un succès : je n’ai pas fait de télés, on ne me reconnaît pas dans la rue. Mais, quand même, dans le milieu consanguin des soirées parisiennes, si je m’étais laissé séduire par la flatterie, j’aurais très bien pu me prendre pour un ouf et me convaincre que j’étais une star. Je me suis senti potentiellement aller là-dedans, et je me disais que c’était pourri ! Puis il y a aussi un truc de parano quand on te reconnaît. Ça met dans des dispositions mentales qui ne sont pas favorables à la spontaneité. Tu as l’impression que, partout où tu vas, on va te reconnaître, et pour tout ce que tu vas faire, tu vas être interrompu par quelqu’un qui va te propulser dans une dimension de malaisance pendant 10 minutes… Peut-être qu’il y a des gens qui le vivent bien, mais moi, je trouve ça encombrant. J’ai un peu fui cette flatterie et cette hype en quittant Paris.

Tu as déménagé au Maroc. Tu avais ce besoin de t’isoler des autres ?

Oui. Je suis passé de « je prévois de rien faire » à « je n’ai rien de prévu ». Ce sont deux choses radicalement différentes. Avant, j’étais là à me dire qu’il fallait que je fasse une pause, donc on anticipait un temps de pause, tout en sachant que ça continuerait après. Ce qui n’a rien à voir avec : il n’y a rien de prévu, c’est le vide total. Ça, je ne l’avais pas expérimenté depuis 2012.

(C) Alice Moitié

2012, c’est le début de l’épopée des soirées Pain Surprises, de ta période squat, jusqu’à que tu récupères les clefs de la SIRA. 

Oui, c’est ça. Tout ça a fait que j’avais constamment des trucs de prévus. Ensuite, en 2015, il y a eu « Tout est Magnifique ». Ça se passe bien, du coup je tourne, et après, ce n’est qu’à la fin de 2018 où je n’ai plus rien de prévu — le téléphone ne sonne plus, plus de concerts non plus. Je n’étais plus au courant de ce qu’on me proposait, c’est le label qui gérait. C’est là qu’a débuté cette reconnexion à juste être calé : être avec moi-même et ne pas avoir ce rapport à l’autre. Puis tu sais, je théorise vachement. Je me prends la tête. Les interactions sociales peuvent vite occuper beaucoup d’espace — peut-être parce que j’ai déjà beaucoup de choses sur le feu dans mon esprit, ce qui fait qu’à la base, il n’y a déjà pas beaucoup de place.

Pour rester sur cet aspect relationnel, après avoir fait cette « cure », tu as atteint un point de bascule quand tu as partagé la chanson Vous, qui finalement est une ode à l’autre ?

C’est vrai, Vous venait à ce moment-là. C’est drôle, c’est complètement ça ! Avant Vous, j’ai sorti un morceau qui s’appelle Hoohoohoo Hahaha avec un clip. Là, il y avait plus ce personnage de mec bloqué qui essayait d’annoncer un truc. Ce morceau, c’est comme un balbutiement, une espèce d’ouverture aux autres. Ensuite, il y a eu Vous, avec ce propos bien plus clair. En fait, c’est une balance : quand je sors d’une période où je suis tout le temps en tournée à être avec des gens, j’ai simplement envie de me retirer à la campagne en étant pénard. Après je veux retourner en ville et voir du monde. Mais si je dois choisir, je pense que je suis plutôt team campagne ; je m’en suis rendu compte. Ou alors des très grosses villes dans des pays lointains et pas français : là, j’ai l’impression d’être en mission. Avant, j’étais peut-être dans un fantasme un peu plus rock. Maintenant, j’ai envie d’être dans un juste milieu, un truc de sagesse. Je crois que mon propos va avec ça depuis le début. Je n’ai jamais eu un discours de jeunesse. Déjà, « Tout est Magnifique », ce sont des idées de vieux, des pensées intemporelles que je ne regretterai jamais. Plus je vais prendre de l’âge, plus je vais faire sens, et plus je serai légitime dans ce que je dis. À l’inverse, dans les boys-band, c’est de la musique de jeunesse, impulsive. Dans le rap aussi, tu es crédible quand tu as entre 17 et 24 ans, ensuite, tu commences à parler de ton succès, après, du fait que tu n’as rien à dire.

 

Avec le Maroc, en plus de cet éloignement physique et de ton rapport aux autres, il y a aussi eu un nouveau départ en termes créatif. Tu as brûlé cette étiquette du « mec qui fait du son avec des objets chelous ». Tu justifiais ça comme un « atout marketing » d’ailleurs ?

Oui. C’est pareil avec ma coiffure, hum … ? Imaginons, tu fais une blague ou une grimace qui fait rire les gens. Après, on va te dire : « hey, tu ne veux pas refaire la grimace que t’avais fait l’aut’ jour, c’était trop drôle ? Hey, dit, tu ne veux pas refaire… ? » Toi, tu n’es plus du tout dans le même mood, sauf qu’il y a quelqu’un qui vient de dire à tout le monde que tu étais capable de faire ça… Alors il faut que tu le refasses, peu importe ton état. C’est là que pour moi, de fil en aiguille, ça devient un truc qui n’est plus du tout connecté avec mon intention de départ. Ça se transforme en quelque chose de marketing, dans le sens où, on a dit que tu savais faire ça, maintenant fait le, sinon, tu n’as rien à faire là. De mon côté, je vois les choses à mon échelle d’instantané, alors que les gens en ont une autre. Quand tu fais une chanson ou un album, tu l’as vécu dans ton studio avec toi-même et tout ça va sortir deux ans après. Parfois, tu vas même le rejouer cinq ans plus tard dans un festival… Entre temps, ton cœur est complètement ailleurs, mais il faut réussir à reconnecter. Dans le cadre des objets, c’est vrai que je suis en train de faire de la musique chez moi avec des bruits, ça me fait marrer, et les gens sont là : « ah ouais, de la zik avec bruits ! Ah bah vas-y, tiens, voilà un truc ! » Arrivé dans cette position, tu as le choix entre prendre ça façon « non, mais ciao ! Remballe tes trucs, je fais de la zik avec MES bruits » ; ou de façon fun et de répondre à la demande. J’ai décidé de répondre à la demande et de ne pas devenir un gros snob. C’était sans fin.

 

Le déclic pour « L’importance du vide », c’est quand justement tu t’es dit qu’il existait des objets, en l’occurrence des instruments, créés spécialement pour faire de la musique ?

Ahah, oui, il y a un peu de ce truc-là. Aussi, avec « L’importance du vide », il y a tout ce que tu n’avais pas vu. Tu sais, cette idée où c’est le vide qui découpe. Exactement comme sur certains tableaux, avec lesquels tu te rends compte que finalement, c’est la silhouette : la forme est dans le vide. J’aime bien regarder les arbres avec le ciel derrière. Ça fait plein de formes qui sont le négatif des feuilles. Donc il y a une inversion de positif/négatif. Après, « L’importance du vide », le propos, il est plus en lien avec les paroles du disque et l’époque actuelle dans laquelle on est. C’est un vaste sujet !

« Je m’étais promis qu’un jour, j’arrêterais peut-être de parler pendant une longue période. Il y a une meuf en Inde qui n’a pas ouvert la bouche depuis 12 ans. Je suis allé la voir, et… elle ne m’a rien dit ! »

Plus qu’une inversion des concepts positif et négatif, j’ai l’impression que c’est plutôt quelque chose de cyclique. Quand on prend un peu plus de perspective sur ta carrière, tu as commencé à jouer dans des groupes. Avant les musiques répétitives et électroniques, tu avais une fascination pour les guitares, le rock et la pop — qui sont d’ailleurs les fils rouges du disque.

C’est clair ! Tu dirais qu’il est quoi le disque toi ?

Pop. 

Oui. Et c’est vrai qu’il y a une idée de retour de cycle. Mais du coup : le vide. Je ne fais pas forcément de lien… Ce n’est pas comme si le disque s’appelait « L’importance du retour » ou « L’importance de la base » ! Non, mais indirectement il y a un truc avec ce que tu dis, mais pour le comprendre comme ça, il faut s’intéresser. C’est vrai que le fait de ne rien foutre et d’être dans le vide au sens « faire le vide », et de juste laisser venir ce qui vient quand tu ne forces pas, et bah ça se reconnecte avec des trucs méga spontanés. Alors que, lorsque tu es en train de suivre un fil que tu as déjà commencé à tirer… et bien tu peux ne pas accepter que si ça se trouve, tu presses un citron qui est déjà pressé. Donc quand tu fais le vide total, tu ne laisses plus rien. Si ça se trouve, j’aurais refait ce que j’avais déjà fait, et ça aurait été pour les bonnes raisons. Et si ça ne se trouve pas, ça aurait été pour les bonnes raisons aussi. En vrai, mon amour des sons et des objets est présent dans ce disque.

 

Pour rester sur les instruments, et, je pense, notamment aux guitares, elles traversent tous les morceaux.

C’est clair ! Mais tu sais, tout ce qui s’est passé avant que les gens s’intéressent à moi, pour moi, ça ne sera pas perçu comme un retour à la base. Je suis plus dans une sorte de désertion de poste. Effectivement, c’est un retour à l’origine, mais personne ne le sait. Donc, maintenant, l’idée c’est plus : comment je vais rencontrer peut-être de nouvelles personnes, et comment ces nouvelles personnes vont appréhender ma musique ? Aussi, comment je vais me démerder pour que ça fasse sens ? Car, à l’intérieur de moi, ça le fait. Il y a quand même une intention qui est la même : les propos sont très similaires à tous les morceaux que j’ai faits.

« Je suis plus dans une sorte de désertion de poste. »

Autre nouveauté : tu as opté pour un album beaucoup plus verbeux. En fouinant, je suis tombé sur une vidéo que tu as faite avec GQ et Gucci, dans laquelle tu dis : « dans un monde idéal, tu n’aurais pas besoin de parler ». Donc, chanter, c’est quelque chose de différent ?

Ah ! Alors c’est marrant, parce que j’ai fait l’expérience d’arrêter de parler. Dans une résidence où on faisait du son avec des potes, j’ai mis un collier avec une photo de moi la bouche scotchée. Au bout du deuxième jour, je me suis autorisé à chanter. [Il fredonne] Donc on était tout le temps en train de trouver une mélodie… et les gens qui voulaient me parler étaient obligés d’au moins être dans une tonalitééééééé. C’était hyper relou et bizarre au début. Au bout d’un moment, on a vraiment eu des conversations avec des modulations… C’était cool !

Est-ce que cette expérience a permis aux gens de ne pas s’exprimer pour rien dire ?

Oui, forcément, il y avait un filtre. Il y a une timidité dans le chant : tout le monde n’est pas capable de le faire. Donc, ceux qui voulaient me parler étaient obligés de se prendre un peu la tête sur une mélodie. Ils ne venaient pas juste me poser n’importe quelles questions. Ça donnait lieu à des situations rigolotes. Mais oui, chanter c’est différent, et je m’étais promis qu’un jour, j’arrêterais peut-être de parler pendant une longue période. Il y a une meuf en Inde qui n’a pas ouvert la bouche depuis 12 ans. Je suis allé la voir, et… elle ne m’a rien dit ! Je trouve que c’est cool : ça donne de la valeur au chant et aux paroles quand tu sais que la personne ne parle pas. Au même titre qu’à l’échelle d’une soirée, si tu vois quelqu’un qui n’est pas très bavard, au moment où il va s’exprimer, tout le monde va être : « waouh » ! Surtout qu’aujourd’hui chacun est là à poster plein de mots. À donner, donner, donner…

Concernant tes textes, j’ai l’impression que tu explores le même univers que celui sur lequel tu te questionnais lorsque tu as créé le Centre National du Vortex. C’est-à-dire que, quelque chose de prime abord peut paraître absurde, mais en réalité, il y a un sens assez profond. C’est comme ça que tu as écrit les chansons ?

Ouais ! Ça dépend. C’est drôle car, comme tu disais, extrapoler un truc qui fait sens […] le Vortex c’était vraiment une idée de base, de recherche sur la recherche, cette volonté de faire l’expérience de faire ces expériences… Avec le Vortex, j’ai l’impression de susciter de la perplexité. En tout cas, c’est ce que ça produit chez la plupart des gens. Avec la perplexité, on ne sait pas comment se placer, du coup ça peut provoquer le rire pour certaines personnes. Avec mon album, j’ai plutôt l’impression de susciter le kiff. J’en avais marre de faire tout le temps des trucs où il y a des concepts de fou. Là, je me suis simplement dit que je voulais faire de la bonne musique. Si ça se trouve demain, je suis mort, et je resterais ce gars qui a fait des trucs chelous qu’on a vite fait compris, mais qui est un peu culte. Je n’ai pas envie de ça ! Je veux juste faire de la musique qui défonce et que tout le monde écoute, car quand ils le font, ils passent simplement une meilleure journée.

Par contre, peut-être que ça va se transformer en : « Ah ouais, Jacques il essaye de faire de la pop et du biff ! » Il y a des gens qui risquent de penser ça, car je vais continuer dans ce sens. Mais je m’en bats les couilles et je sais pourquoi je le fais. Puis les paroles sont assez explicites. J’ai vraiment envie de passer des messages qui me tiennent à cœur. Et la pop a un sens noble. Puis ce qui est marrant avec ça, c’est que tu réponds à une demande en réalité. Les plateformes de streaming se nourrissent de nos musiques. Certains musiciens pensent les utiliser pour diffuser leurs chansons, mais c’est l’inverse. Maintenant que j’ai accepté cette vision ultra cynique et que je suis à l’aise avec, bah, j’y vais à fond. Mais bon, en France, il n’y a pas trop cette culture-là.

 

Finalement, est-ce que « L’importance du vide » est le disque qui te ressemble le plus ?

Si ce disque est celui qui me ressemble le plus ? [Il réfléchit] Mouais… [Encore] Oui, oui, oui, mille fois oui. Quand je repense à ce que j’ai envoyé, je vois une espèce de Spotify un peu pourri. Avec des essais qui ne collent pas entre eux, avec les mauvais visuels… Et là, lorsque je vais sortir cet album, je vais me dire « enfin ! » Si l’on pouvait tout le temps supprimer ce qu’il y avait avant… J’ai une vision complètement déformée de qui je suis et de ce que j’ai fait. J’ai toujours l’impression que je n’ai rien fait et que c’est tout le temps le début. Donc là, je suis en mode : « j’ai sorti un album, est-ce que les gens vont kiffer ou pas ? » Je suis un peu en stress… enfin pas vraiment… en gros, je n’y vais pas du tout la fleur au fusil. Par contre, au fond de moi, je sais que je me suis fait chier et je me dis que, quand je vois les autres artistes, j’ai l’impression qu’ils font de la moins bonne musique. En tout cas sur mon créneau — si j’en ai un. Souvent tu vas avoir des gens qui sont très doués dans la musique en elle-même. Ils vont faire des albums super pointus ou cool, et vont arriver sur des playlists Spotify d’ambiance, de fêtes… Puis, tu as des personnes qui font des morceaux en s’exprimant beaucoup, mais derrière, les instrumentations sont toutes bancales. Je pense à des titres de rap, ou des pistes de variété. Enfin, elles ne sont pas « bancales » non plus, mais ce n’est pas fascinant.
Ici, j’essaye de faire quelque chose de pop, où la voix est très en avant, où ça dit des trucs et où il y a quelqu’un… J’ai envie que, lorsque tu écoutes les instrus au bout de la huitième fois, tu découvres encore des petits détails. Là, il y a une fascination qui s’installe. C’est ça le sentiment que je désire. En tout cas, j’ai fait un premier album et j’ai compris comment ça marche. J’ai appris à le faire, et je veux en faire d’autres maintenant.

Jacques // L’importance du vide // Recherche & Développement

Concerts à venir :
Les Nuits Botanique (Belgique) — 12 mai 2022
Dour Festival (Belgique) — 14 juillet 2022
Midi Festival (Hyères Toulon) —  22 juillet 2022
Olympia (Paris) — 20 octobre 2022

1 commentaire

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