Qu'attendre du Brussels Electronic Music Festival, quand l'organisateur place la barre assez haute pour affirmer « j'aurais pu aller dans le sens d' I Love Techno mais c'est pa

Qu’attendre du Brussels Electronic Music Festival, quand l’organisateur place la barre assez haute pour affirmer « j’aurais pu aller dans le sens d’ I Love Techno mais c’est pas du tout mon but, le mien c’est d’anoblir la musique électronique» ? Se faire contrôler son ticket trois fois de suite, découvrir les germanos-cultes Cluster, manger les sandwichs de la veille… Mais pas que.

Oublier les semelles qui collent sur tapis de bière et prendre un peu d’altitude. Pour ça il avait fallu emprunter le métro, laisser derrière soi les rues pavées qui puent le poisson et les bars du centre. Monter les marches vers la sortie. Feux rouges passages piétons. Traverser la galerie Ravenstein pour rite de passage vers les hauteurs de Bruxelles. Pousser les portes du Palais des Beaux-Arts. Re-monter quelques  marches. Et s’asseoir au fond des sièges rouges velours.

Lorsque les membres de Cluster montent sur scène, je pense à l’interview par mail quelques jours plus tôt. Ratée, elle n’a pas suscité plus d’une ligne par question de la part de Roedelius. Je veux évoquer l’Allemagne de l’après Guerre, je l’aurais face à moi deux fois en deux jours. Pendant que Cluster tripote sur scène ses boutons, ma voisine soupire devant le vieillard qui s’occupe de son jardin à l’écran. Ambiance. Lors de la conférence du lendemain, ils arrivent sur scène aussi modestement que la veille, mais sans machines ils peinent à trouver quelque chose à raconter. Leur rencontre au Zodiak, lorsque Moebius vient écouter les groupes que programme Roedelius. La rupture avec Conrad Schnitzler, un peu aussi. « A la fin de notre collaboration, en 1971, Schnitzler ne prenait pas autant soin que nous à construire une musique qui soit réellement pertinente, parce que moi et Moebius fonctionnons comme des jumeaux ». La seule fois où dans mon interview, la réponse dépasse une ligne. Aujourd’hui, il semble bien que le troisième membre de Cluster soit la femme de Roedelius. C’est elle qui complète les réponses de son mari, parfois même prend la parole avant lui lorsqu’un type pose une question bête:

« Kraftwerk ont été bon pour copier, Cluster n’ont jamais cessé d’inventer. J’ai répondu à ta question ? ».

De toute façon, la majorité se fiche pas mal de ce que va jouer Cluster, personne n’est venu écouter Zuckerzeit. Peu importe ce qu’ils fassent, qu’ils jouent aujourd’hui de la même manière que leurs contemporains 40 ans plus jeunes, Cluster se tait et avance encore. C’est peut être ça en résumé, l’Allemagne d’après Guerre. Se taire et avancer, dépasser les ruines et les fondations :

« On cherchait et on cherche toujours bien plus que ce que le terme Krautrock a à offrir. On faisait juste partie d’une révolution culturelle, on l’a fait de la manière qu’on voulait pour créer quelque chose d’authentique et nouveau ».

L’Allemagne, elle est aussi derrière les platines de Darko, le programmateur du festival. Les soirées Statik Dancin’ pour la minimale, c’est à lui qu’on les doit depuis 2003. Après avoir amassé des milliers de vinyles depuis le début des 90s, il collabore avec le producteur et patron de Kompakt, Michael Mayer. Ca durera sept ans. Et puis l’année dernière, il s’installe au Bozar, où pour la première fois un DJ y est résident.

Evoluer, cela semble aussi être dans ses gênes. Il m’avoue qu’il n’a pas encore dépassé « les 25% des capacités du festival parce qu’il a un potentiel énorme, qu’il voudrait vraiment sortir des murs du Palais et viser d’autres salles, faire plein de choses encore au niveau des arts visuels, des expos… y mêler un tas de disciplines ». Le mélange ce samedi, ce sera l’affaire d’Aufgang, le cross over classique/électro qui invente rien de moins que le clubbing organique. Si au départ -et de loin- on pense à une paire de mocassins avec un bas de survêt’, tout s’accorde avec le son des machines au maximum. A tel point que l’assistance monte sur scène, rapidement rapatriée quelques mètres plus bas par la sécurité. Au Bozar, on ne rigole pas et tout le monde comprend. Pour rester dans l’Allemagne, Aufgang veut dire « escalier ». Comme ça on ne pourra rien me reprocher. Une des dernières fois où l’on pourra léviter, avant le crash Cyclo et la collaboration entre Ryoji Ikeda et Carsten Nicolai lors du showcase Raster-Noton. Se prendre en pleine face l’image en musique ou l’inverse, faire pleurer ses oreilles devant la 2 dimension en avalanche et ne plus jamais cligner des yeux. Ou quand la musique s’épelle M.I.N.I.M.A.L.E, fait péter les rythmes au plastique et joue très fort. Les productions de ce label devraient en mettre plein la vue à ceux qui pensent que ce dont a besoin le public, c’est d’expérience.

Quelques uns quittent la salle après une vingtaine de minutes. Moi, je suis resté collé à mon siège, mi épileptique mi sourd.

En rentrant chez moi, après avoir descendu quelques marches, poussé les portes, traversé la galerie Ravenstein, passages piétons feux rouges, les paroles de Darko bourdonnent encore: « On aurait pu espérer qu’en l’an 2000, les années qu’on imaginait du futur avec les voitures qui volent, les gens auraient pu être beaucoup plus modernes alors qu’ils ont pris peur, tout ce qui était nouveau leur faisait peur. Plutôt que d’évoluer, les choses ont stagné. J’aurais espéré une sorte de reconnaissance de la musique électronique». En voulant son festival au niveau de Sonar ou de Wire, Darko n’a à mon avis pas beaucoup à s’en faire après la confirmation du décollage. Il est au Bozar, comme Laurent Garnier au Louvre il y a quelques mois. Quand on parle de « reconnaissance », ces deux exemples ont pour moi leur importance. Surtout quand toutes les salles sont remplies. Et que prendre de l’altitude, c’est de toute façon se retrouver au dessus de la marée.

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