Rencontrer Jean Fauque c'est rencontrer une ombre. Une ombre qui parle, d'un ton grave, des choses les plus légères. Trente ans qu'il parle, à travers la

Rencontrer Jean Fauque c’est rencontrer une ombre. Une ombre qui parle, d’un ton grave, des choses les plus légères. Trente ans qu’il parle, à travers la bouche des autres. Bashung, bien évidemment, et pas qu’un peu (Chatterton, Fantaisie militaire, L’imprudence), et puis les autres, aussi (Dutronc, Paradis, Johnny), histoire de délier les langues.

Des textes, des écrits, des mots. Un univers de lettres apposées les unes aux autres, qui force l’admiration quand la rime pauvre semble avoir envahi l’écriture française des années 2000, et que Benabar, Cali, Calogero, Lemay, Raphael, Renan Luce et d’autres innombrables s’affirment auteur/compositeur/interprète sans même savoir l’orthographe exacte du mot « chanson ». Fauque, songe writer comme il aime à définir, se place en contre-chant sur un premier album, sorti à plus de la cinquantaine. Treize aurores, treize façons de dicter ses poésies abstraites. L’ombre, chez Fauque, est toujours chinoise.

L’une des raisons, peut-être, qui empêche les médias de parler plus ouvertement de ces treize aurores, des journalistes qui ne comprennent pas le talkover (Fauque’over?) de l’auteur de Ma petite entreprise, et soupirent que l’album ne soit pas en prise avec son temps. C’est un peu rapidement farder sur la modernité, et ses prétendues illusions; cette impression rassurante de toujours se trouver en prise directe avec la tendance, les nouvelles vagues, sans jamais comprendre que n’est moderne que la création sans temporalité. Je retrouve Fauque sur la butte Montmartre, par un beau soleil de juin, et l’air devient subitement plus frais, embrumé dans nos volutes de cigarettes. « Vos luttes partent en fumée, Sous des soleils qui s’ignorent, Dor- dormez, Mes réponses allongées… »

Bonsoir Jean, cela fait près d’un an que je vous traque via les réseaux numériques, vous me disiez à l’époque que l’album sortirait très rapidement…

(Rires) Oui, c’est ce que je croyais aussi ah ah ! C’est à dire que comme entre temps le label a été racheté par un fond de pensions anglais, on a du attendre les nouvelles consignes, attendre la fin des restrictions. L’équipe avait l’air très motivée pour le sortir, alors j’ai été patient. Ce qui m’importait était qu’il sorte dans de bonnes conditions. Plus que de le sortir en auto-production, voire en digital, comme le font certains artistes aujourd’hui. Je suis encore d’une génération de l’objet.

Ce qui m’intéresse, pour commencer cette interview, c’est le rapport ombre/lumière qui habite votre carrière. Parolier longtemps au service des autres, qui a eu des percées en tant qu’auteur compositeur, qui a plus de cinquante ans publie son premier album en tant que jeune premier. C’est un peu paradoxal.

C’est quelque chose qui me tenait vraiment à coeur. Après nos premiers succès avec Bashung, et parallèlement à l’écriture, j’ai toujours composé, essentiellement à la guitare. A remplir des cartons entiers de cassettes…Mais j’avais fait une petite croix dessus, au milieu des années 80, au début de ma forte relation avec Bashung, sur Novice notamment. Puis cela m’a repris vers 1996, d’une façon toute bête, en rangeant ces cassettes. J’en reprend une au hasard, dans le nombre, puis une autre, et je me dis que c’est un peu idiot.. bon… Je repars pour un tour avec Bashung sur l’album Fantaisie militaire, puis on attaque L’imprudence… tout mon travail prend du retard. Je découvre début 2000 la possibilité de travailler sur de nouvelles méthodes d’enregistrement., reprendre et réarranger les vieilles compositions.. Et puis il faut dire que. je n’ai pas vraiment la notion du temps.

Cela tombe bien; l’album est véritablement intemporel.

Je l’ai voulu complètement hors mode ce premier album. Je serais arrivé avec un accompagnement traditionnel, c’était raté. Le déclencheur ca a été la rencontre avec Baptiste Trotignon (pianiste de jazz renommé, NDR). Vers 2001-2002 j’avais la structure quasi-complète d’un album, avec des indications très nettes pour l’enregistrement studio, pour les musiciens notamment. Des pistes semi-definitives.

A ce moment là, avez-vous toutes les compositions de 13 aurores? Y a-t-il des chansons que vous avez réactivé, ou ressorti du placard?

Un peu des deux. Certaines datent de trente ans, d’autres plus récentes. Et les techniques actuelles m’ont soudain permis de leur donner une forme nouvelle. J’avais ces maquettes donc, mais je n’avais pas prospecté les maisons de disque, ce qui est souvent le plus pénible.

Même lorsqu’on s’appelle Jean Fauque?

C’est que ce l’on pourrait supposer, même si j’ai pas mal d’amis. Mais j’ai rapidement l’impression d’avoir cette étiquette collée sur mon front: « Auteur, parolier ». C’est l’impression que cela me donnait: « Qu’est ce qui lui prend à Jean Fauque, de vouloir sortir un album? ». Je savais très bien que cela n’allait pas être facile. Et à ce moment là, au printemps 2003, je rencontre Baptiste Trottignon à un concert privé organisé par la SACEM, en son honneur, sur le crédo soirée jazz. Vu que c’est un genre musical sur lequel je suis assez ignare, mais qui est loin de me laisser indifférent, je me suis dit: « Je vais y aller ». J’assiste à un récital magnifique qui fait tomber les front!ères, s’approche du classique, lorgne vers des variations à la Satie, Debussy. Bref… sublime. Et vers la fin il se met à reprendre Love Me Tender. Je me dis: Voila un type pas banal (Rires). La rencontre vient de là, et du fait qu’il m’avoue à ce moment ne pas être habitué au format variété/chanson/structure couplet-refrain. C’était le moment ou jamais, et je lui propose, chose que je fais rarement, de tenter quelques prises pour mon album solo.

Une sorte de « Fauqueover » finalement…

Oui, parfaitement. Trotignon n’était jamais parti sur ces terrains musicaux. On se recroise la semaine d’après, il se rend compte qu’on est plus dans une tessiture Gainsbourienne que dans la chanson Halliday, et deux semaines après il m’envoie des pistes musicales très travaillées, me laissant l’espace pour le texte, le chant. Et de ces parties piano initiales, tout est resté. Rien n’a été retouché. Baptiste et moi avons tout enregistré live, dans le studio d’un ami, à la sauce jazz: Prises directes, piano-voix. J’avoue avoir été un peu stressé, c’est un peu nouveau pour moi. Et à l’arrivée, un grand bonheur, celui de chanter sur des mélodies que je n’avais pas composé.

Nous parlions de Satie, de Debussy, pour faire des parallèles avec votre album. On peut également citer Nick Kent, qui dit à un moment « un artiste français doit directement remonter à Satie ou Ravel pour faire une musique intéressante, sans aucune influence anglo-saxonne ». Ca vous parle?

Il a dit ca? Ce n’est moi qui dirait le contraire. Dans un parcours artistique, beaucoup de choses naissent des rencontres. Je crois à cela. Très souvent la chanson née d’un déclenchement, et c’est somme toute assez logique qu’on lorgne vers Satie ou Ravel. C’est la lenteur, les variations de Trotignon qui m’ont amené vers ces tonalités. Je suis dans une expression assez lente, assez poétique, dans mon phrasé. Trotignon a suivi et tout à coup c’est une révélation, nous allions vers l’innocence, la pureté. Ce n’est pas du jazz, pas du classique. Tu me parles de Satie, j’en suis extrêmement honoré.

Vous parliez tout à l’heure de vos premières collaborations avec Bashung, sur l’album Novice, en 1989. En relisant ces textes, on est frappé par le surréalisme, le jeu des allitérations, les assonances.

Ce qui est sûr c’est que pas mal des compositions de 13 aurores datent de cette période. J’étais dans une très jolie maison, j’étais bien, je m’étais retiré initialement pour un mois, je suis resté des années. Et D’octobre, J’évolue, naissent à l’époque de Novice, oui. C’est quelque part logique, ces jeux de mots, et surtout nos retrouvailles, nos trouvailles même, avec Alain (Bashung).

Il y a des tentatives avant Novice, avec Bashung, des essais avortés…

Oui, mais faut dire que j’étais assez branleur en fait. On se rencontre vers 1975, j’étais gamin. J’avais quasiment… rien.. (Rires).. à part plein de textes écrits, un premier 45T. Bashung avait déjà un passé de chanteur bien ancré, des chansons… Comme c’est quelqu’un d’assez secret, peu bavard, j’ai appris de lui, par devinettes, énigmes.

L’un des points communs que je note entre vous et Bashung, ce sont les traversées du désert, notamment les années 80: Bashung qui peine à sortir son deuxième album, vous qui n’arrivait pas à percer…. On peut presque étirer la correspondance entre vos deux parcours via la chanson Samuell Hall, « Ramène nous quelque chose qui marche mon garçon »….

Oui, il y Samuell Hall, et aussi Roulette Russe, effectivement, son deuxième album. Que j’aime beaucoup. Bashung fait cet album, assez confidentiel, peu de diffusion radio, c’est l’époque où je l’accompagne en tournée, en tant que régisseur. Il y a une chanson qui est alors mise au placard à la sortie de l’album, Milliards de nuits dans le frigo, et qui est ressortie sur le repressage vinyle, lorsque Gaby a commencé a marcher. Les paroles de Milliards de nuits (« Entre le jambon de la veille et les salades du jour Et cette lampe qui ne veut jamais la mettre en veilleuse Milliards de nuits à me geler sur un coeur », NDR) parlent de cela, les difficultés d’un artiste à perçer. Heureusement, Gérard Bacquet, qui est chef de production chez Phonogram, croit en Bashung, et parvient finalement à débloquer un budget pour un autre single sur l’album Roulette Russe, qui est Gaby, qui se vend à 200.000 exemplaires.. Et qui comme tout le monde le sait « sauve » Bashung d’une traversée du désert. Il aurait réussi, évidemment, mais pas avec la même rapidité.

La crise de la quarantaine, du succès qui tarde à venir, est un autre point commun avec Alain. Je pense aussi à Gainsbourg…

Moi je trouve cela super, la reconnaissance tardive. Je raconte cela sur 13 Aurores, sur Off the Record, l’impression d’un parcours du combattant. Là nous sommes à Montmartre, je me souviens de mon arrivée à Paris, lorsque je me la jouais Baudelaire, Brassens…. Mes années sur la butte (Montmartre, NDR) jusqu’à 20 ans. Après il y a une autre histoire, mais c’est un peu prétentieux, celle de mon niveau en tant qu’auteur -que j’estime bon-, et meilleur que parolier. Un parolier c’est quelqu’un qui fait du prêt à porter, du sur-mesure pour les artistes. Un type capable de passer d’un genre à un autre, pour . Barbelivien est l’un d’entre eux, franchement. Moi je savais que ce serait plus long, plus compliqué. Et ma rencontre avec Alain m’a conforté dans cette idée, l’envie de bizarreries, de marge, qu’on avait en commun avec Alain. Et si je voulais être intègre avec mon écriture, il fallait ce temps là. Je n’ai, paradoxalement, pas de mauvais souvenirs de cette période. Je dormais dans des chambres de bonne minables, j’avais des grands frères de coeur, mais je sais que ce que c’est de ne pas avoir un rond pour bouffer. Pour moi c’est normal cette transition transitoire.

Dans votre bio, j’apprends que vous montez à Paris à l’âge de 18 ans, le regard tourné vers la lumière qu’est Paris, et au final c’est un parfait parallélisme avec les Illusions perdues de Balzac, la montée du provincial à Paris, ses désillusions….

Complètement. Il y a aussi Aznavour, « je me voyais déjà… » Je décide vers 16-17 ans, très jeune, d’être chanteur, et de faire des chansons pour les autres.

Mais déjà à l’époque l’envie d’écrire pour les autres est une prégnante?

Oui, déjà dans les Deux Sèvres, à l’adolescence. J’étais un vagabond chez moi, j’ai rapidement voulu quitter cette province dont je n’étais pas issu (Fauque passe son enfance au Maroc, NDR). A l’époque on traînait sur les bancs, on se cherchait, et clairement on s’emmerdait. Des copains me proposent de monter sur scène, pour tromper cet ennui, pour faire des sketchs, open et free. Pour moi c’est une révélation, être sur les planches, jouer de la guitare, parler en public alors que je suis quelqu’un de timide… Evidemment voir le public intéressé par mes dires, c’est un déclencheur. Ca et l’odeur des planches… mais les coulisses me faisaient rêver aussi. Le fils d’André Popp, collègue de classe, me pousse à aller de l’avant, écrire des chansons. Ca tombe bien, j’en avais déjà! (Rires). Son père les voit, mes chansons, et m’encourage aussi. A l’époque, c’est stimulant pour moi.

L’une des forces majeures de vos textes reste le double sens, les différents niveaux de lecture, qui voient leur apogée sur Fantaisie Militaire de Bashung. Comment se travaillent les textes, leur maturation, l’éclosion des formes?

Je ne me sens pas très impliqué dans l’époque, ou l’écriture sociale. Pour moi il s’agit d’une écriture refuge, je puise dans une espèce de mélancolie permanente, la perte de l’enfance perdue. En ce qui me concerne c’est le Maroc. Une beauté violente, très contrastée, dans le paysage. Ce n’est pas une écriture apprise. Avec Alain, c’est un travail collectif. Je pense à Fantaisie Militaire, la chanson éponyme, « Soldat sans joie, va, déguerpis, etc… », tout part d’Alain, qui avait vu un soldat de l’ONU, à la Tv, complètement perdu, au Kosovo je crois, l’air ailleurs. La détresse de cet homme a frappé Alain. De mon coté j’étais parti sur une autre chanson, qui commençait par « Au pays des matins calmes, rien ne transpire,etc… ». Curieusement, je voyais des images d’un soldat paumé au Viet-Nam. Les deux idées se sont parfaitement mariées, et le résultat c’est Fantaisie Militaire. Mais pour moi la chanson principale de l’album reste La nuit je mens. J’avais ce bout de texte, « On m’a vu dans le Vercors », venu de nul part, j’aimais bien le mot – j’aime bien la lettre V, et ce qu’a pu en faire Gainsbourg sur la Javanaise. Il y a avait une autre trame à ce moment là, qui parlait de jeux du cirque, d’héroïsme bidon, et cette conjonction vers 96-97, la résurgence des collaborations de la seconde guerre mondiale, le rôle des gentils et des méchants, et l’impression que tout n’est pas aussi simple que cela. Qui avait raison, qui avait tort…. Dans ces circonstances tout le monde est un peu gris, eh eh… Et si les nazis avaient gagné hein? Bref, remonte à cette époque l’affaire Bousquet, Papon, plein de choses très dures à juger dans le contexte. Ce qu’on se disait avec Alain c’était « juger, ok, mais comment nous, nous aurions réagi? ». La nuit je mens raconte cette histoire, l’ambivalence des sentiments, plus la perte de l’amour, sur un autre registre, par ce mec qui perd sa nana.

Je pense tout de même à ce bout de phrase: « J’étais gant de crin à geyser ». Encore une fois c’est surréaliste avant tout.

Surréalisme oui. Je trouve que c’est une proposition, chacun peut y trouver ce qu’il veut. C’est l’auberge espagnole. La chanson Angora, qui cloture l’album, c’est la même histoire que Fantaisie militaire. Pétri de double sens. Pour Alain, cela parlait de son enfant asthmatique, des pluies acides, de la pollution. Et pour moi c’était l’histoire de mon chat, offert par Alain, un magnifique siamois moitié angora! Il y avait cette chanson d’une folkeuse américaine qui tournait sur mon ordinateur… et j’entendais, en anglais, ce mot: Angore, angora… ce genre de consonances, sans que je parvienne à vraiment comprendre le mot. C’est venu très rapidement, vingt minutes tout au plus, la chanson était pliée, écrite.

Le cut-up, les techniques américaines des 60′, tout le dépassement de soi de l’instant writing, vous touche? Sur des chansons comme Ma petite entreprise, j’ai l’impression qu’on touche à l’école Beat, de loin…

La nuit je mens, pour reprendre cet exemple, est un énorme chantier qui a été coupé, recoupé. Des dizaines de pages. Pareil pour les autres chansons. Alain est comme ça, il sélectionne, coupe, recolle. Parfois je m’énervais face à Alain, qui ne voulait pas chanter les textes comme je lui donnais! (Rires)

La noirceur de titres comme Aucun Express, quasi chrétienne, cet aller sans retour, d’où vient-il?

C’est un thème sous-jacent dans mon écriture, la fascination de la mort, dans son sens mystique. Pas dans son coté morbide, plus le passage à l’après. Entre 20 et 25 ans je me suis trouvé des facultés de médium, on peut y croire ou non, mais certaines histoires m’ont amené à la communication avec l’au-delà. C’est l’inconscient naturel qui prend le pas, à ce stade. Et avec Alain, qui n’est pas quelqu’un de franchement gai, à priori, il y a eut ce grand questionnement. Aucun express, on y parle du Valhalla, le paradis des vikings.

Une fascination du noir que je ne retrouve pas dans 13 aurores.

Ce sont des aurores, mais ce ne sont pas des crépuscules.

Revenons à vous, en tant que chanteur, vos débuts avec Bérets basques et bottes de cuir et les Highways

Ah bien renseigné! Les Highways c’est mon premier titre, un country rock qui n’a pas vieilli d’un pouce. On a fait deux 45T avec cette chanteuse, Charity, qui chante toujours. Un excellent souvenir. L’idée de cette chanson était toute conne, c’était la fascination de l’Amérique. Comme dans les années 60 il y avait la grande scission, celui qui avait couché et celui qui avait pas couché; dans les 70′ c’était celui qui était parti aux States et ceux qui étaient resté en France. Cette histoire des Highways née d’une interview de Polnareff, où je le voyais parler de LA, du fait que tout était grand, comme au cinéma. Lorsque j’ai rencontré Polnareff j’ai oublié de le lui dire, lui dire que c’est lui qui m’avait inspiré ce texte.

Vous parlez de Polnareff, une idole pour moi, qui depuis 30 ans n’a pas eu un texte correct. Vous n’avez pas eu envie de travailler avec lui?

Mais j’ai travaillé avec lui! Fin des années 90, je pars à LA, je passe 15 jours avec lui, on travaille sur des textes et…

et… il est dur à gérer non?

Très dur à gérer! (Rires) Il voulait que je reste un an, je suis finalement rentré à Paris, et les textes n’ont finalement jamais vu le jour. C’était bizarre, c’était mythique. Il y a trois personnes qui étaient pour moi fascinants, et trois rencontres avec trois légendes: Halliday, Dutronc et Polnareff. Des trois c’est sûrement lui le plus complexe, le plus ingérable. Un grand monsieur tout de même. Note que je ne parle pas d’Alain Bashung, lui c »est un frère de coeur, au delà du rapport fan/artiste.

Vous pensez quoi du songwriting français aujourd’hui?

Je ne juge pas. Je trouve juste les textes actuels ont tendance à être trop ancrés dans le quotidien. Les histoires de mecs qui bouffent des pizzas le soir, ca ne m’intéresse pas. Ce sont des gens biens en plus, que je connais. Mais ca ne m’excite pas. Peut-être est-ce le manque de grandiose, qui fait qu’on n’a pas envie de parler d’autre chose.. C’est pas mon truc. A la limite, ce coté ancré dans le social, je le laisserai à Renaud, ou des gens comme comme Arman Méliès, qui a travaillé sur le dernier album d’Alain.

C’était une décision commune, avec Alain, le fait de ne pas travailler avec Alain sur Bleu pétrole?

C’était un peu réciproque. Je sortais, épuisé, de L’imprudence, et j’ai peut-être trouvé à un moment, qu’il était frustrant de ne pas avoir sorti un single de notre dernière collaboration. Faut dire qu’on s’habitue au succès! Et je voulais penser à moi, mon album, je pense que c’était le moment. A la même époque, je lis un immense article où L’imprudence était relégué sur un paragraphe aussi gros qu’un paquet de clopes. Le journaliste disait que c’était la fin de la période Jean Fauque, je me suis dit: « Bon ok, s’ils le disent »… Ca m’a miné deux minutes trente, on a tenté de loin quelques textes, et puis j’ai pris une autre barque. Mais une histoire pareille, je pense qu’il serait difficile qu’elle s’arrête. Nous avions besoin de nous tester l’un sans l’autre.

Un peu comme un couple?

Oui, sans prétention. Et puis j’avais un sacré prédécesseur (Boris Bergman)… Et je me suis toujours impliqué au delà des textes avec Alain, sur les choix, les versions, les rythmiques. Je me souviens des essais sur La nuit je mens, j’étais toujours là à la gestation, Osez Joséphine, la programmation rythmique c’est ma contribution, etc… Tout cela en toute amitié, avec les allers-retours que suppose un travail en équipe. La gestation des chansons reste un travail qui me fascine. La production aussi.

Vous avez passé la moitié de siècle, vous entamez une seconde vie finalement.

Oui et c’est assez étonnant, après tout ce qu’on s’est mis dans la tête, on était très dans la looserie quand même! Pareil pour Alain, notamment à l’époque de Play Blessures, où je me souviens qu’il était arrivé ivre sur un plateau tv, se vautrant sur scène, en rampant. C’était gonflé à l’époque, dans la France des années 80. Dans toute la tradition des rockeurs maudits, de Vince Taylor aux blousons noirs. Alors que c’était le plus charmant des garçons dans la vraie vie. On était barré dans un tel truc de folie que ça me semblait normal en fait. La norme, c’était d’être totalement givré. L’inverse de l’époque actuelle.

Et du coup vous revenez au jazz, vous y arrivez plutôt.

Déjà j’ai passé la trentaine, et puisqu’Alain a lorgné vers l’Imprudence, et qu’on redécouvre Debussy, Dutilleux, le contemporain classique… je trouve cela logique comme démarche. Soit on fait comme Elvis et on meurt jeune, soit on évolue.

Auteur à succès, maintenant chanteur. La lumière, même si elle est tamisée, est-ce votre avenir?

J’aurai eu des regrets à ne pas le faire, ne pas me remettre en question. Faire un vrai passage à l’acte, cela aurait lâche de ne pas le tenter, à mon âge. Ecrire des livres, à la limite, aurait été un moyen de transition. Mais jouer cet album, plus que tout, est un plaisir que j’avais perdu. J’avais peur au départ, de cet album, mais voila, je m’éclate maintenant.

Video: Julien Perrin
Photos: Gaelle Riou-Kerangal

http://www.myspace.com/jeanfauque

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