Fondus par les décors calcinés de Cinecittà, là où des duels au plomb interminables ne voulaient pas entendre le glas qui leur était destiné, Danger Mouse et Daniele Luppi composent et recrutent leurs mercenaires, trop pressés d’en découdre et de rejouer la scène ultime de leur propre western spaghetti. Leur recueil de compositions en forme de Rome Sessions m’inspire d’emblée, mais je ne me résous pas à mettre si facilement les pieds dans un plat de pathos à l’italienne trop indigeste.

Parfois, derrière les toiles jaunies des Cinema Paradisio, il arrive encore que des musiciens nostalgiques se rencontrent sur des chaises de cuisine musicale rendues impraticables avec le temps. Pourtant, quand un producteur new yorkais nommé Danger Mouse, spécialiste des percussions au son brut texture 60’s, rencontre Daniele Luppi, compositeur italien aguerri de musiques de film, que leurs souvenirs convergent vers leur inspiration commune pour Enio Morricone et le cinéma italien, on ne peut qu’espérer le meilleur de ce que pourrait être la résurrection d’un style. Si on y ajoute le recrutement inespéré d’ex-musiciens du compositeur emblématique de Sergio Leone – mercenaires aux gâchettes instrumentales faciles et précises -, et la participation, en guest stars vocales de luxe, de Norah Jones et de Jack White, le synopsis devient clair et l’attente des premiers rushes musicaux, un enfer.

C’est bien ce que j’ai ressenti, pressé de replonger, déjà conquis, dans un univers cinématographique qui avait su fondre sa pellicule sonore au plus profond de ma mémoire juvénile.

Mais le temps a aussi passé pour moi et, de mes souvenirs d’enfance, ne restent finalement que quelques bribes des duels sonores d’un Il était une fois dans l’Ouest ou d’un Le bon, la brute et le truand. Ils se confrontent dorénavant avec une autre culture de la bande originale, imparfaite mais toute aussi lucide, pour commenter les 14 pièces de ces longues Rome Sessions. Longues, c’est le mot juste, et pourtant le scénario démarre idéalement sur le tam-tam d’un Theme of Rome onirique sur lequel vient se poser une voix aérienne remplissant les grands espaces. C’est le plongeon direct dans le sable d’un désert aride où pointe, entre les cactus, le nostalgique et plaintif The Rose with a broking neck, duo fusionnel Norah Jones/Jack White. Puis, comble de la jouissance, bien que suivant un bancal Victor Thème I sorti à l’arrache de sa boîte à musique, déboule l’énormissime Season’s Trees. C’est à cet instant-même que je fonds littéralement : guitare aux accords plaqués wah-wah, basse musclée et violons plaintifs excitent la soul sexy de Norah Jones dans un mood of love d’anthologie. Je décolle et ne peux m’empêcher de repenser au même violon obsédant de Michael Galasso, dans la bande originale d’In the mood of love, caressant ici les wah-wah sexuées, à la Gainsbourg, d’un Je t’aime moi non plus revigoré.
Mon enthousiasme déborde, mais je déchante vite dès l’entame tintinnabulante de Bella’s Theme, et me pose directement la question de qui je dois blâmer. Le percussionniste qui privilégie un xylophone agaçant, accordant trop de place à son dernier jouet ? Ou bien le compositeur, peu inspiré, qui me ressert la vieille soupe néo-impressionniste lénifiante d’un Sakamoto ? Moi qui le pensais définitivement englouti dans les abysses de ma mémoire musicale… L’amertume me gagne et je ne me trompe malheureusement pas car l’impression générale persiste tout au long de ces Rome Sessions. Le scénario dérive grave vers les pages absurdes d’un très mauvais Romanzo Criminale réécrit à la Kaamelott par Alexandre Astier et Jean-Yves Robin. Bella’s Theme II est la copie inutile et conforme du premier Bella’s Theme, et Victor’s Theme II vomit des choeurs dégoulinants et des percus grotesques qui finissent par inspirer le cirque à l’italienne que je redoutais.

Alors que faut-il que je garde de cet album, dans mon propre Cinema Paradisio ?

Au milieu de cet essai aléatoire de compositions, il y a heureusement la qualité des musiciens qui transparaît, et le professionnalisme indéniable de Norah Jones. La chanteuse en impose par sa faculté à se fondre dans tous les univers musicaux proposés. Elle apporte, à chaque fois qu’elle apparaît, sa maîtrise vocale de la soul, du blues ou du rock. Aussi éclatante dans Black où elle distille une pop-rock langoureuse, sensuelle et enivrante – que dans Season’s Trees où sa soul percutante déchire tout sur son passage. Jack White apporte sa petite pierre à la reconstruction en proposant un Two Against One funky et efficace, mais qui finalement dépareille un peu dans le décor. Rome Sessions apparaît comme un plat d’antipasti dans lequel j’aurais picoré les bonnes choses et laissé à l’abandon les quelques morceaux de charcuterie trop indigestes. Alors si je devais dépenser quelques dollars de plus et me le procurer, ce serait sans conteste pour Norah Jones. Pouvoir conserver précieusement dans son écrin d’alu ce Season’s Trees qui s’impose majestueusement dans ce très, très long spaghetti de western.

Danger Mouse & Daniele Luppi // Rome // EMI
http://romealbum.com/

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