C’est un fait. Pour des raisons qui échappent à toute démarche analytique efficiente, certains cinéastes semblent intouchables, ad vitam aeternam. Systématiquement sacralisés, même sur la pente descendante. Se révéler irrité, voire, au pire, indifférent face à leur œuvre peut valoir un véritable scandale lors de dîners mondains politiquement corrects. C’est le cas de Woody Allen. Encensé en France, relativement noyé parmi ses confrères outre-Atlantique. D’une grossière fadeur, son dernier « caprice européen » en date confirme nos soupçons : l’heure de la retraite est irrésistiblement proche.

Laissons de côté tout le pendant (redondant) juif new-yorkais de la filmographie de Woody Allen – attention, n’allez jamais dire que vous ne trouvez pas Annie Hall spécialement drôle – pour nous attarder sur son fétichisme du « vieux continent » des années 2000-2010. Si le londonien Match Point ouvrait la danse avec brio et élégance, dans un registre étonnamment plus mélodramatique que de coutume, la suite n’a fait que montrer les limites du cinéma allenien. Limites formelles (les efforts de mise en scène et la photo sont ici en options facultatives), mais aussi vanité petite-bourgeoise du fond. Boulimique, le cinéaste s’offre les castings les plus excitants de la décennie pour n’en pas faire grand chose au final, les pitchs ne réservant qu’une flopée de personnages aussi faux qu’antipathiques. Remarquons d’ailleurs que les figures féminines accusent particulièrement le coup ces derniers temps. Scarlett Johansson, divine en nymphe fatale et naïve dans Match Point, est maladroitement employée dans le gentillet Scoop, boudinée dans son maillot une pièce et s’échinant à déployer son potentiel comique. Avant d’être carrément reléguée au statut putassier de bimbo pseudo-féministe en short dans Vicky Cristina Barcelona. Une pensée compatissante également pour Rachel McAdams, fiancée matérialiste et hystérique dans Midnight in Paris ou encore Naomi Watts, héroïne romantique faiblarde du dispensable Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu. Sans oublier Penélope Cruz à l’affiche de To Rome With Love, en qui Woody Allen, depuis Vicky Cristina Barcelona, ne voit décidément qu’une Sophia Loren du pauvre, à l’étroit dans ses robes de cocktail et sa posture presque terrifiante de sex-symbol d’opérette.

A ce propos, question sensualité, le réalisateur fait de moins en moins dans la dentelle. Son obsession névrotique des choses de la chair, autrefois grimée en crises identitaires via d’interminables ping-pongs verbaux, flirte désormais avec une franche vulgarité. Sans pitié pour le spectateur en quête de jolies métaphores sur la condition humaine, To Rome With Love accumule les saynètes coquines et cocasses avec la finesse d’un téléfilm érotico-chiant de RTL9. Ridiculisant au passage un ou deux acteurs à coups de répliques téléphonées sur les marches du Colisée. Nous retiendrons à cet effet Alex Baldwin tristement gauche en mentor/ange gardien bouffi d’un Jesse Eisenberg subjugué par les anecdotes lesbiennes d’Ellen Page (la seule à imposer efficacement son charisme naturel). Soleil ardent, drague lourdaude et glaces dégoulinantes sur la Piazza Navona…

Encore plus figé dans les clichés touristiques bobos que son prédécesseur parisien, To Rome With Love affiche surtout un total laisser-aller scénaristique, témoignant, au choix, soit d’un gâtisme avancé, soit d’une paresse désinvolte et moqueuse. Comme décomplexé et (enfin) détendu, Woody Allen signe là peut-être son film le plus libre (le découpage en sketches calqué sur la comédie italienne des années 60 et l’absence de véritables enjeux narratifs) mais aussi le plus réducteur. Derrière et devant l’objectif, il se vautre dans une auto-caricature sans précédent, avec un je-m’en-foutisme embarrassant et assommant. Un peu à l’image de Roberto Benigni, son alter-ego toscan, qui singe péniblement ici un père de famille moyen soudainement confronté à une célébrité qu’il n’a pas demandée. Plaçant la star italienne au cœur de situations burlesques plutôt prévisibles, le cinéaste amorce une réflexion, facile, sur les effets néfastes des médias de masse au quotidien. Une tentative de parabole qu’il fera néanmoins un peu plus aboutir lors de l’épisode du chanteur lyrique modeste changé en créature arty en plein buzz.

Mais le bilan n’en est pas plus éclairci… Dépourvu d’aura et de climax (spirituel, émotionnel, comique), barrant la route à tout phénomène d’identification, To Rome With Love s’impose à nos yeux désabusés tel un spectacle de marionnettes luxueux et désuet, une supercherie à peine dissimulée. Un film dénué de cinéma, rabaissant la fiction à une simple éloge du factice. Peut-être vaudrait-il mieux finalement quitter cette bonne vieille Europe, Woody…

Woody Allen // To Rome with Love // En salles
Crédit illustration d’ouverture : Ricardo Fumanal 

4 commentaires

  1. T’as vraiment été genre « harcelé » voire « stigmatisé » par une doxa pro Woody Allen ? J’ai plutôt l’impression qu’il se prend un bon retour de hype alors que lui continuait son petit road trip en Europe sans se doute de rien

  2. Parler du trip européen sans évoquer le rêve de Cassandre… Ou comment un réalisateur de 70 ans, ayant déjà 40 films derrière lui, et encore capable de se réinventer.

    Quant au film, le Woody Allen est un cinéma de genre à lui tout seul, comme un Blake Edwards. Si on n’aime pas, autant se faire une quatre fromage surgelée devant le segment italien de Night on Earth si l’on veut voyager à Rome.

  3. Je suis pas du tout d’accord avec cette histoire de « dégénérescence » ou de « faut prendre ta retraite papy ».
    En réalité il a toujours enchaîné chefs d’oeuvre et films indigents, tout au long de sa carrière, comme Blake Edwards c’est vrai, comme Chabrol aussi.
    Mais enfin il continue de temps en temps à sortir des balles. Si je m’essayais à faire un top 10 de mes films préférés de Woody, je pense que chaque décennie serait représentée.

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