Nico était allemande. Nico était mannequin. Nico a joué dans la Dolce Vita. Nico était pleine d’héroïne et d’autres petites gâteries dans le genre. Nico fréquentait la Factory.

Nico était allemande. Nico était mannequin. Nico a joué dans la Dolce Vita. Nico était pleine d’héroïne et d’autres petites gâteries dans le genre. Nico fréquentait la Factory. Nico a chanté avec le Velvet… Je pourrai allonger cette litanie de péripéties encore un moment. Mais pas tant que ça. Parce que mine de rien, je n’en sais pas beaucoup plus sur l’intéressée.

Il y a vingt ans, Ibiza, une descente, une chute à vélo : un an après lui, Nico rejoint tonton Warhol au septième ciel. Personnellement, je n’en sais guère plus. Une suggestion quant au ciment unissant ce lot de propositions ?

…………… Des pointillés.

Des métaphores pour les blancs à combler. Dans la vie de Nico, beaucoup de vides contribuent à dessiner un flou qui brouille les cartes jouées par l’artiste. Confusion renforcée par la furieuse tendance à la mythomanie. Et elle a de l’ascendance : papa, officier de la Wehrmacht, maman, au seuil de la folie. De quoi alimenter à la fois un mythe et une folie personnelle.

Novembre 67, Le Merv Griffin Show, Nico invitée, question du journaliste : « Where do you come from? »

Silence radio sur lequel viennent se calquer les possibles pensées intérieures de l’interprète de All Tomorrow’s Parties… Vous n’étiez pas là ? Alban Lefranc, lui, y était. Même jusque dans le ciboulot de l’artiste.

Vous le fixez silencieusement. La question vous parait vraiment trop stupide. Vous vous demandez s’il la poserait à un homme, vous êtes certaine qu’on épargnerait ça à (Jim) Morrison. Plusieurs réponses passent sur vos lèvres (Je mourrai au soleil; je mange beaucoup de terre ces temps-ci) comme un frémissement (Je me branle toujours de la main gauche, mais pas si souvent en fait; une femme est parfaitement capable de fracasser des crânes de cons comme vous à coups de bouteilles) sans qu’un seul son sorte de votre bouche (Je ne suis pas douce, je ne suis pas maternelle, je ne console pas).

Là où l’on ne perçoit que no man’s land et chaos illusoire, Alban Lefranc y voit un sacré terrain de jeu créatif et réécrit une vie à la mesure du halo de mystère qui entoure celle qui ne fut d’abord que Christa Päffgen…

Pour se prendre au jeu lors d’une partie de cache-cache où une vamp sans corps ni âme, semble tout calculer, tout maîtriser. Nico se plaisait à jouer avec son monde? Lefranc aussi. Il tisse une toile mensongère qui colle au plus près de sa peau, de ses pensées, des grandes dates. Des « clous ». Mais ces clous ne sont pas ceux attendus : quasi-absence de Warhol, du Velvet, de Lou, Cale et cie. Plutôt Herbert Tobias, le photographe de mode qui transforma, à la fin des années 50, Christa Päffgen en Nico et lui prédit son avenir. Nice Little Nazi baby est devenue grande, elle mettra le monde à ses pieds partout où elle passera. Avant de se casser la gueule royalement…

Ou bien la rencontre avec Lenny Bruce, un soir de juin 65, au café Go Go à New York. Avec un titre de chapitre mystique, quasi religieux : Suis-je le gardien de mon frère ? Nico assiste à la performance de celui considéré, par sa verve et son impertinence, comme l’Homme-à-abattre par l’establishment de l’époque. Le temps se ralentit lors du spectacle de ce petit barbu qui aime se faire haïr et conspuer.

Nico, Lenny Bruce : même combat ? Stimulée par la prestance et la mise en danger de l’instigateur de la stand-up comedy, Nico sort de sa réserve habituelle, propose au showman une aide tant morale que financière. En vain. Quelques semaines plus tard, Bruce est retrouvé inerte, une piqûre de morphine dans le bras. Primeur : pour Nico, la descente aux enfers commence dès le milieu des sixties.

Lester Bangs m’a montré le chemin avec sa chronique de The Marble Index : Nico peut se révéler un fantôme, flippant à souhait dès lors qu’on lui laisse prendre les commandes. Un spectre, un véritable courant d’air qui s’engouffre par vos pores et souffle un froid glacial dans vos tripes. Au plus rassurant, une ombre dans un défilé de figurants.

Avec la mort de Bruce, ce mystère intérieur, ces « galeries souterraines » creusées par l’artiste ne se révéleront plus jamais. Le reste du livre n’est qu’une accélération jusqu’à Ibiza, une descente que seule la chute vient interrompre. J’en ressors avec la même impression qu’à l’écoute du Marble Index, ce sentiment de me confronter à quelque chose d’inaccessible, d’intangible. Ce qu’est Nico. Et le fantôme de Christa Päffgen…

Alban Lefranc // Vous n’étiez pas là // Editions Verticales.

11 commentaires

  1. Oui, mais pas que…
    Les « clous » dont parlent Lefranc, qui marquent la vie de Nico, auraient pu être la rencontre velvétienne, bien sûr. Il a préféré, je pense, aller en amont de ce qui l’a façonné et conduit à chanter pour le Velvet: et devenir la drôle de femme qu’elle a été… Un peu par provocation et aussi pour le goùt de l’invention littéraire, je pense..
    Pour autant, il reconnait implicitement l’existence de deux fameuses « cartes de visites » pour Nico qui lui permettent de mener à bien sa carrière: son rôle dans la Dolce Vita puis la rencontre avec Warhol. Puis vient le Velvet. Mais cette cohabitation avec le groupe n’est que très brièvement décrite…

  2. A propos du livre de serge féray, il en reste encore quelques exemplaires… à commander directement chez l’auteur.

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