Les Inrocks et Jean-Daniel Beauvallet, les Transmusicales, tous les festivals de France en fait, l’alcoolisme de Daniel Darc, les auditeurs fainéants et plus globalement l’intégralité de l’industrie musicale française; le prochain album de Bruit Noir vengera certainement des générations de musiciens mal entendus avec « Le succès », nouvel album que vous pourrez bien évidemment éviter d’acheter dès le 1er février et qui pourtant livre une somme de bastos rarement entendue sur un album de rock français.

« Allez, encore un album pour que dalle.
Le deuxième Bruit Noir est beaucoup moins bien que le premier.
Encore un album pour rien.
J’aurais mieux fait d’arrêter.
Ils auraient mieux fait d’arrêter
comme Balavoine ou Rimbaud
genre tout en haut.
Ils en ont vendu combien du premier album ? 1500 ?!
Ca fait quoi, ça ? Un Français sur 45 000 ? 
»

On aurait pu se contenter de vous conseiller d’écouter les paroles de Le succès, premier titre lâché par Bruit Noir. Mais on a préféré les écrire, parce que c’est d’une grande violence. Pas gratuite, la violence. En un seul titre, le groupe de Pascal Bouaziz – connu par les plus vieux qui achètent encore des CD sous le nom de Mendelson – joue son tabula rasa. C’est d’une beauté telle, donc, qu’on a préféré écrire les paroles. Etre capable d’un tel sabotage de carrière (de quoi ?) et d’aller contre toutes les convenances polies dont font preuve tous les jeunes artistes apeurés à l’idée de froisser qui que ce soit, c’est presque un cas de jurisprudence. A l’heure où l’on écrit ces lignes, l’an 2019 n’a commencé que depuis 7 jours mais on sait déjà qu’aucun autre artiste français, voire mondial, ne sera cette année capable d’une telle honnêteté sur lui-même, mais aussi sur ceux qui l’entourent.

Maintenant qu’on y pense, Le succès n’est rien de plus que la vie de n’importe quel musicien français doté d’un QI supérieur à 50, mais passée en accéléré. Celui-ci, en général, suit une pente descendante (ne cherchez pas, c’est du Raffarin). Fier dans la vingtaine et crachant à la gueule du Capital, il commence à courber l’échine dans la trentaine dans l’espoir de se faire signer par un label lui assurant un avenir meilleur que les dix dernières années passées à manger des pâtes dans un van pourri. Il arrive souvent que cela se passe comme ça, et ledit artiste n’a alors plus qu’à espérer qu’il décrochera une synchro pub pour une marque de déodorant afin de sortir du marasme économique dans lequel il s’est foutu tout seul.

Arrivé aux portes de la quarantaine (s’il n’est pas mort avant), notre amie rockeur arrive la langue sur les chevilles en fin de carrière. Option A (taux de probabilité : 5%) : il a réussi à percer sur les plateformes de streaming grâce à un tube qui lui fait honte et qui l’empêche de se regarder dans la glace. Alors pour se consoler, notre artiste se dit que d’autres font encore pire que lui (ce qui rime avec Thérapie Taxi). Histoire de ne pas totalement perdre la carte du club, il se contente de surfer – comme La Femme – sur la vague en attendant la noyade comme les gens dans les vidéos Youtube sur les tsunamis. A ce stade, la plus belle chose qui puisse arriver à ce musicien, c’est de se faire faucher par une voiture électrique.
Mais non, la vie continue et l’amène à l’option B (taux de probabilité : 95%) : il se fait virer de son label après le deuxième album après avoir échoué à faire carrière, ce même artiste prépare un retour en grandes pompes avec un EP digital chroniqué par le fils de son bassiste, stagiaire chez Tsugi. Le musicien meurt alors lentement dans l’indifférence et passe en revue tous ses regrets. Ne pas l’avoir ouvert plus. Ne pas avoir viré le pauvre manager incompétent. Ne pas avoir foutu un pain au mec qui, tableur Excel à l’appui, s’étonnait qu’il ne vende pas autant de disques que Bashung alors qu’il était signé sur le même label (cette anecdote est authentique). Ne pas avoir été au bout, tout simplement. En général, ces musiciens finissent sur Facebook à ressasser un futur qui n’a jamais existé et un passé dont personne ne se souvient.

« Trois chroniques pourries après 20 ans de chef d’œuvre, ou des coups de cœur dans le blog à ta sœur, faudrait peut-être que je saute de joie ? Faudrait peut-être que je dise merci encore ? » 

Si je vous parle de tout cela alors qu’après tout, il est juste question d’un titre teaser à un album invendable, c’est parce que Le Succès est la seule chose réellement émouvante entendue depuis plusieurs mois. Cinq minutes de résistance qu’on devrait faire réciter à voix haute aux nouvelles générations, juste pour rire. Juste pour pleurer.

Ecrire qu’on aurait écouté tous les albums de Mendelson serait un mensonge – nous avons stoppé au triple album, étonnamment chroniqué par les Inrocks – mais la parenthèse ouverte en 2015 avec Bruit Noir marquait déjà un aller sans retour. Sur l’album à paraître, c’est encore pire. Enfin, mieux. Si tant est qu’assister à l’immolation d’un artiste lettré dans un monde fait de 0 et 1 puisse vous passionner. Plus insoumis que tous les gilets jaunes réunis, mille fois plus radical que tous les lads anglais tentant de vous faire croire à l’insurrection dans des chansonnettes à 12,5°, Bruit Noir repousse ici toutes les limites du name dropping et son seul tort, en fait, reste de crier dans un monde qui n’entend plus. Ce qui me donne envie de vous coller un autre bout du texte absolument désotristopilant de Le succès, premier single pour radios fantômes.

« Y’a des journalistes dans ce pays ?
Allo, y’a des programmateurs radio ?
Radio France, y’a quelqu’un ?
Allo, JD… Jean-Da.. Jean-Daniel Beauvallet… y’a quelqu’un par ici ? 
»

A la première écoute, on craint de ne pas avoir bien compris. On réécoute, une fois, puis deux. Oui, un artiste français vient de sonner à la porte des salariés du système, et puis il est rentré sans s’essuyer les pieds pour chier sur le tapis avant d’en faire une chanson. Les Francos de la Rochelle, la Route du Rock, les Transmusicales de Rennes, JD Beauvallet (qui, hasard des calendriers, ne bosse plus aux Inrocks depuis décembre dernier), tout le monde en prend pour son grade et comme le rappelle Bouaziz, tout le monde sera un jour appelé à comparaitre devant un tribunal d’injustice pour avoir ignoré son talent. « Poteau pour tout le monde. Trois chroniques pourries après 20 ans de chef d’œuvre, ou des coups de cœur dans le blog à ta sœur, faudrait peut-être que je saute de joie ? Faudrait peut-être que je dise merci encore ? ». Qu’on se rassure, le reste de l’album est du même acabit : l’Europe, Jeanne Moreau, Paris, Daniel Darc, Philippe Manœuvre (« tu as assassiné le rock français »), une balle pour chacun. Rien de moins que le fils estropié du « Présence Humaine » de Houellebecq, en plus froid.

On ne voit même pas pourquoi on se fatigue; vous n’écouterez pas ce disque. Il n’est même pas dit que vous lirez ce papier jusqu’au bout. C’est pas grave. Vous n’avez pas lu Philippe Muray de son vivant, alors le succès de Pascal Bouaziz, quarante ou cinquante ans on sait plus très bien, on se doute bien que ça vous passe au dessus. Ca en fera plus pour nous, remarquez. « Arrêtez de me dire qu’on devrait être content parce qu’on est des survivants » dit la chanson vers la fin, à bout de souffle. On sent comme une raideur dans la nuque. Petite pensée pour tous ces musiciens tombés avant Bruit Noir pour la France, pour rien. Cette chanson est pour eux qui n’ont pas eu les couilles assez dures pour pondre un texte comme ça.

Voilà, la coupure pub est terminée. Vous pouvez reprendre une vie normale. « Le succès » sortira le 1er février chez Ici d’Ailleurs, Bruit Noir sera en concert le 19 février au Point Ephémère et on vous laisse méditer sur cette dernière phrase avant de prendre votre place :

« Avant je trouvais ça émouvant qu’il y ait encore des gens dans la salle, maintenant je trouve ça dégoutant de faire encore déplacer les gens »

Que rajouter après ça, franchement ?

8 commentaires

  1. Nous n’écoutons pas M. Bouaziz parce que les pleureuses on en a soupé. La tristesse n’est pas gage de talent ni d’intelligence. A quoi bon se plomber le moral avec une soi disant lucidité critique qui n’est que déprime déprimante et rien de plus?

    Oui les Inrocks ont fait leurs beurre sur ces mecs qui chialaient dans les années 90 et puis ho zut le vent a tourné et ces opportunistes Inrocks parlent désormais de bien d’autres choses, de tout et surtout de rien. Les pleureuses ne sont plus en tête de gondole. Je ne suis pas sur que quelque soit la crédibilité, la profondeur, les moins de 30 ans en 2019 en ont quelques choses à faire de tous ces mecs gémissant de M. Bouaziz à Debord en passant par les ex Diabologum qui n’en finissent pas de vibrer. Bref bref l’époque n’est plus la même et ça me désole de voir que certains comme M.Bouaziz n’arrive pas a l’accepter et encore encore encore se plaignent.

    Autre choses, les pleureuses on en pas réellement soupé. J’écoutais encore hier « there is no one that will take car of you » . Toujours aussi beau et puissant. Certaines pleureuses ont peut etre plus de talent que d’autre.

  2. Mouais Mathieu tu prends trop le texte au premier degrés on dirait …. les Bouaziz, et Cloup et…Didier Super ont sans doute beaucoup plus de choses à dire que beaucoup actuellement. Les moins de 30 ans jouent à Fortnite.

  3. pour une fois je prends sa défense ,Jean-Daniel Beauvallet est gravement malade pas la pêne de l’enfoncé d’avantage ,quand aux inrocks ils sont mort au passage a l hebdo en 1995,par contre on a le droit de tapé sur MR LE COMTE EN PULL EN JACQUARD BLEU (le bellâtres chauve libidineux et haters de chez haters de son vrai nom de buze bicéphale consanguin CHRISTOPHE CONTE

  4. Bester, vous semblez penser qu’une bonne chronique devrait être une traduction par les mots des impressions laissées par la musique, plutôt qu’une réflexion. Parler de couilles assez dures, c’est comparer les siennes à celle des mecs dont on parle pour prouver qu’on peut écrire comme ils ont composé: ça ne vole pas haut et ça ne donne pas envie de s’intéresser au disque. Vous devriez comprendre que la musique est affaire d’orgueil autant que d’humilité. Dépourvu d’humilité, vous faites exactement comme les inrocks que vous conchiez: vous donnez des leçons. Et vous vous exposez donc à en recevoir.

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