La première fois qu’on m’avait parlé d’eux, j’avais eu un haussement d’épaules, une certaine indifférence. Avec un nom pareil, ils devaient être anglais et branchés, du genre à faire sautiller les perdreaux en tongues avec trois chansons mal ficelées. Il aura fallu deux ans et un premier EP – qui sort ces jours-ci – pour que la vérité soit faite sur cet atypique groupe français. Branchés oui, mais sur le courant continu, Diva certainement, comme la Callas perchée sur un tank de chez Panzer.

Si le rock est un combat, la priorité reste de bien choisir son camp. Écrire cela dans un pays jadis occupé par les forces allemandes, ça rythme l’introduction, ça fait sens, on comprend que la ligne Maginot n’a jamais été aussi mince qu’aujourd’hui, dans cette époque où tous les guitaristes semblent avoir – sans jeu de mots – baissé les bras. Viva and the Diva, par bien des aspects, est du bon côté de la ligne. Eux ont préféré prendre le maquis et faire sauter les ponts plutôt que de se faire tringler par l’occupant, optant pour la guerre armée des productions martiales plutôt que pour la diplomatie des refrains mille fois entendus. Plus concrètement, en apprenant que les Français sortaient (enfin !) leur premier EP, j’avais eu envie d’en savoir plus sur cet étonnant combo dont les membres officiaient par ailleurs chez Paris (Arnaud Roulin), Limousine (Maxime Delpierre), Poni Hoax (Arnaud Roulin encore) ou feu les Rita Mitsouko (Mark Kerr, à la batterie). Avec une harpie déchaînée au micro (Sir Alice), le tout avait des airs de nouvelle vague et de new wave, sorte d’urgence tous risques prête à embraser Paris – la ville – avec une allumette. Cinq chansons pour braver le froid de Noël, c’était pourtant pas cher payé.

Comme la guerre, leur EP n’a pas de nom. Pas vraiment besoin d’ailleurs, tant l’originalité des compositions se suffit à elle-même, croisement de Sun Ra et Throbbing Gristle avec une pincée de cambouis sur la gueule pour masquer l’effet Depeche Mode. La diva, forcément, se prénomme Sir Alice, cordon vocal entre l’expérimentation et l’envie « pop » d’un groupe qui danse dans son Paris sous les bombes ; il suffit d’écouter les quatre minutes héroïques de The Story pour comprendre que Viva and the Diva ne milite pas pour les fusils à fleurs et autres conneries hippies. La batterie Pinochet bien en avant, le synthé en bandoulière, c’est parti pour une trêve autour d’un café bien chaud.
Maxime Delpierre et Sir Alice sont là face à moi, les traits fatigués par la fin d’année et les répétitions. Les deux têtes pensantes – et ce n’est pas peu dire – reviennent d’un périple aux Transmusicales de Rennes, à moins qu’il ne s’agisse d’un concert aux Mains d’œuvre de St Ouen, on ne sait plus bien. Sir Alice commande un un grog avec du miel, elle a signé chez Tigersushi en 2002, sa musique en solo est un peu chiante, abyssale, techno-mormone ; en entretien sa voix sonne comme un train qui déraille, elle pas du tout. Maxime, lui, joue dans tout ce que Paris compte de groupes émergents, à la pointe, un look d’éternel adolescent au regard clair qui fait penser à Martin Gore, sans qu’on sache pourquoi. Il embraye : « Viva and the Diva c’est tout jeune, le groupe a deux ans », Sir Alice l’interrompt, « on n’avait pas envie de faire les choses en fonction d’autres personnes. Et en plus il est numérique l’EP, pas physique ». Sourire jaune. Dit autrement, le beau vaisseau de Viva, aussi spatial soit-il, est donc condamné à naviguer dans les limbes du digital à la recherche d’un port d’attache nommé auditeur. Brève coupure dans l’interview, je repense à ce titre, Across the Universe, superbe comptine pour le serial killer bercé trop près du mur. C’est sûr qu’ils n’en vendront pas des caisses de leur EP, mais qui de l’auditeur ou du musicien est la vraie bouée de secours ? Qui saura tendre la main à l’autre, dans la guerre des tranchées ?

Deux ans d’existence, mais une certaine maturité, Viva and the Diva trace pourtant sa route avec élégance dans un paysage français qui ne l’a jamais été. Maxime sirote sa bière et revient sur les débuts : « J’avais eu une carte blanche au Jazz à la Villette, avec Sonic Youth ; on m’avait filé deux soirs, moi à l’époque je tournais avec Joakim et avais donc proposé à Marc – le batteur – de monter un groupe improvisé. Sir Alice, qui était alors chez Tigersushi, nous a immédiatement rejoint. On s’est dit qu’on allait faire un coup occasionnel, un truc expé’ pour se faire plaisir ». « C’est comme ça qu’on s’est retrouvé dans la cave du batteur » rajoute Sir Alice, un peu brut de décoffrage, « on a branché nos trucs pour improviser. Ca a donné Substitute, telle quelle, qui est sur l’EP. On était partis sur un truc one shot, mais le programmateur de la Villette Sonique était là et il a craqué : il a nous invité sur l’édition suivante. On est donc devenu un groupe presque par obligation, mais on s’amusait bien ». Plus tard, le groupe fait la première partie d’Ariel Pink au Point Ephémère, joue devant les touristes de Rock en Seine  mais à plus de trente ans de moyenne d’âge, les derniers dinosaures de l’industrie du disque – ceux dont les CDs sont disponibles à la FNAC mais que plus personne n’achète – n’ont plus l’âge d’être paralysés par les petits miracles du quotidien.

On s’extasie souvent devant les rockeurs qui citent Keith Richards et Robert Johnson dans leurs influences, étonnamment beaucoup moins face à ceux capable de divaguer sur Pierre Schaeffer ou Henry Cow. Étonnant ? Pas vraiment. Ce qui l’est davantage, c’est le crossover entre expérimentation et songwriting, cette approche de la stratosphère pour les masses – merci Richard Branson – et de l’élitisme grand public. « Ce qui prend le plus de temps c’est la production » dit Sir Alice, « sur scène, notre son est hyper compact, sorte de tunnel sonore, retrouver ça sur disque, avec les nuances, peut prendre plusieurs mois ». Pas vraiment pressés de remplir les bacs à soldes, Viva and the Diva tord ses chansons comme de la chair à canon, malaxe, malaxe, le cœur de l’automate, pour en tirer le jus des omoplates : « moi je viens du jazz » confirme Delpierre « et Alice de l’indus’. Je pensais donc logiquement qu’on allait faire du krautrock industriel. A l’époque, Joakim passait son temps à nous découvrir des trucs comme D.A.F, Throbbing Gristle, soit des pionniers qui viennent tous du jazz, de la musique contemporaine ou de l’électroacoustique. Ca nous correspondait bien finalement, parce qu’Alice a fait l’IRCAM, que Marc a une grosse culture du rock écossais et qu’on vient tous d’univers très différents ». Sir Alice ne veut pas donner son âge – elle a tout juste 30 ans, le binôme s’engueule pour savoir si la disco est pire que le jazz, bref, pas facile de situer le groupe sur la carte et le territoire. On placerait ici le mot « avant-garde » qu’on n’aurait finalement rien dit et pas avancé d’un poil. Sir Alice s’en branle aussi un peu, visiblement, mais pas tant que ça : « Je me souviens d’une émission de radio à Benicassim, à l’époque où je tournais sous mon nom. Joakim avait dit au micro : « Voilà une artiste avant-gardiste ». Quelque part, c’était le plus beau compliment qu’on pouvait me faire, à moi qui reste passionnée par la culture de l’après-guerre, l’avant-garde des années 50, l’idée de la destruction complète d’une société, le côté tabula rasa de Boulez, les intentions de John Cage. Mais quand tu es dans un groupe de rock, que tu ne passes pas ton temps à te branler la nouille tout seul, t’as pas forcément envie de sonner avant-garde. Est-ce que le fait d’être à plusieurs amène plus à la construction qu’à la déconstruction ? Très bonne question… » Silence. « Viva and the Diva c’est pas de l’avant-garde, c’est juste qu’on s’emmerde ici, en France la radio est de pire en pire, les productions sont arrivées à des niveaux innommables, tout cela t’amène à chercher un autre son, une autre vision. Sortir du tunnel ». Autrement dit : sortir de l’ombre.

A me relire, j’ai l’impression d’en faire des caisses pour un groupe qui n’a pour l’instant publié que cinq chansons – digitales qui plus est. S’agit-il d’une guerre perdue d’avance, d’un combat, d’une musique pour les masses ? Eux ont prévu de sortir un album avant 2012 – avant la fin du monde, donc – sans se poser de questions, parce que l’intention compte plus que le résultat. «Le côté martial n’était pas décidé au départ, ce n’était pas un choix, une position» se justifie Alice, «simplement on a un batteur (Mark Kerr, Rita Mitsouko) qui joue comme une TR808 avec d’énormes sons et un clavier (Arnaud Roulin) qui joue des synthés comme s’il voulait conquérir l’Europe. Il a même surnommé l’un de ses synthés « Lars » parce qu’il est en bois et qu’il fait un peu norvégien… Quelques fois, on se dit que ça envoie ouais. Y a qu’en France qu’on n’écoute pas ce genre de musique, ici on souffre de l’idée qu’on va devoir rester dans un coin».
C’est bien connu, en France on n’a pas de pétrole mais on a des idées, Viva and the Diva, eux, carburent à l’enthousiasme et à l’énergie renouvelable. Comme un tank dont toutes les pièces seraient rapportées. Et comme le nerf de la guerre c’est la démocratie, les quatre passent des heures à parler musique pour théoriser, trouver la bonne note, s’accorder – littéralement – avant de brancher le jack. Maxime Delpierre conclue sobrement avant l’addition : « Mon truc à un moment c’était des mecs comme Fred Frith [fondateur du groupe anglais Henry Cow, NDR], qui pouvaient jouer dans le monde entier avec n’importe qui sans parler la même langue, trouver une position universelle. A un moment, ça devient presque logique d’écrire des morceaux qui soient la synthèse d’un son architectural à la Kraftwerk en jouant le tout avec l’énergie de Sonic Youth. Quelque part, ce sont des superpositions du même langage transposé dans des langues différentes ». En électricité, le terme « résistance » désigne plusieurs choses différentes mais liées, chez Viva and the Diva il s’agit simplement d’une endurance : les décorations militaires on les donne après la bataille, à tous ces soldats qui ont su résister au drapeau blanc.

Viva and the Diva // EP digital
http://www.myspace.com/vivaandthediva

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