La vie, un mot si vaste et si ténu, qui caresse si bien la langue qu’on se surprendrait presque à le fredonner à chaque seconde de sa vie. La vie, la vie, la vie, la vie, la vie, la vie etc. Si chacun en faisait de même, histoire de la vivre, cette vie, jusqu’à la fin, sans double-fond, et, jetant un regard sincère depuis son lit de mort sur les années qui le séparent de sa naissance, des années à psalmodier la vie, la vie, la vie, la vie, chacun abdiquerait et se dirait sincèrement : « je n’aurais pas pu faire mieux ».

Malheureusement ou heureusement, personne ne se résout à cette idée nue, Terrence Malick le premier. Et à l’homme (Malick) d’imiter la vie, de bâtir la cohérence de ce qui en est dépourvu.

Quand vous êtes un saint et que le divin vous mordille le lobe de l’oreille, cela engendre des chefs-d’œuvre absolus, falsifiant le souffle mieux que la réalité elle-même. Enfoui sous ses draps et armé d’une Maglight, on les compte sur les doigts de la main d’un ouvrier de scierie ces colonnes de notre humanité : la Bible, L’Iliade et L’Odyssée, A la recherche du temps perdu, Ulysses, 2001 l’Odyssée de l’espace – et peut-être Tree of life qui, s’il n’y réussit pas, en affiche néanmoins l’intention.

Des pièces de civilisation donc, mélangeant le temps des dieux, le temps des héros et le temps des hommes. Tout est là, condensé, il faut déchiffrer, et soudain la vraisemblance absorbe le vrai, quel relâchement… Malick/Homme/Job veut retrouver le Verbe unique. C’est ce fantasme d’œuvre totale épousant au plus près l’épiderme de l’existence, qui vient combler l’angoisse sensuelle créée par le caractère indéfini de l’esprit de Malick/Homme/Job.

Terrence Malick, comme tant d’autres, cherche à traduire en images la clef de toute chose, ouvrant la porte de toute chose, porte s’ouvrant sur une clef identique – dois-je en déduire qu’il s’agit de la même clef, ou d’une clef lui ressemblant ouvrant une porte jumelle à la précédente ? Mais Terrence a peur, car Terrence n’est ni Joyce, ni Homère, ni Proust ; Terrence est un lâche et comme tous les lâches, il est dangereux.

« Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé! »
Pascal, Mystère de Jésus.

Terrence Malick cède devant sa nature inquiète et tente de représenter non pas une vie (celle d’une famille américaine des 50’s, sur deux générations), mais la vie, la vie dans la totalité de son ordonnancement, dans la circularité immobile de sa durée. Pas de suspense, c’est raté.

Un titre d’abord, « l’Arbre de vie », qui abrite dans son feuillage les dix Sephiroth créatrices de l’univers, puis un film qui se place d’emblée sous l’arbitraire de la transcendance en ouvrant avec un extrait de Job (chapitre 38, versets 4, 7) et, laissez-moi rire, une petite flamme oscillant entre le bleuté et le doré.
Malick nous envoie de la dialectique biblique lubrifiée par des symboles à l’avenant, et tout y passe,  je ne détaillerai pas, je ne suis pas épicier. Mais que reste-t-il ? Que sauver ?

Un père autoritaire exigeant la soumission totale de ses fils (l’Ancien Testament) et une mère aimante qui tend l’autre joue et prône l’amour absolu (le Nouveau Testament) se confrontant l’un à l’autre face à un enfant, qui finit par devenir sous les traits de Sean Penn une espèce de paraclet new age et fasciste qui décroche le pompon en accédant à un paradis dans lequel on a enfin le droit de tripoter sa mère avec la bénédiction de son père. On y est. Une apothéose syncrétiste et effrayante servie par une accumulation de plans en contre-plongée noyés dans des contre-jours lourdingues qui, en plus de vous rendre aveugle, vous foutent un sacré torticolis. Et non Monsieur le Director, ce n’est pas en me balançant le Lacrimosa que vous me ferez chialer.

« J’ai toujours été étonné qu’on laissât les femmes entrer dans les églises. Quelle conversation  peuvent-elles tenir avec Dieu ? »
Baudelaire, Mon cœur mis à nu.

Malick pose son équation en ces termes : face à l’arbitraire du Mal – il n’en va pas selon les mérites –, l’homme doit-il suivre sa nature (sa volonté de puissance) ou opter pour la grâce, grâce représentée à l’écran par un champ de tournesols et/ou Jessica Chastain. Absurde, me direz-vous ? Mais non, voyons, car chez Malick – le personnage de la mère joindra le geste à la parole – Dieu loge dans le soleil. L’homme, un héliotrope ? Je trouve ça laid, c’est sans doute parce que Dieu est américain et que je ne le suis pas. La grâce, c’est donc calquer sa vie sur la course de Dieu, Dieu-soleil, donnant la vie, assurant les récoltes, tendant la main entre l’homme et la (sa) nature, dépassant le dieu vengeur et jaloux de Moïse. Dès lors tout est justifié : une accumulation de plans lysergiques sur notre système solaire, et même « au-delà », si, si… On est peu de choses quand même hein… Hahaha, allez, mon dernier plan qui ne dure qu’une demi-seconde est un pont, crac dans le sac.

Malick n’a pas la finesse de Kubrick, il appuie, il appuie, et finit par confondre essai contemplatif à la Ernst Jünger et montage accéléré d’Ushuaïa nature entrecoupé par les essais techniques de Hubble.

Quelle tristesse, comment un réalisateur traitant avec tant d’acuité, de justesse, de tendresse les tensions inhérentes à la création d’un État de famille, peut-il basculer dans une tambouille hippie heidegerienne de si bas étage ? Vous ne valez pas une page des Falaises de Marbre, monsieur Malick, et je vous renvoie à la question que l’Éternel vous pose et qui, visiblement, vous tient tant au corps:

« Où étais-tu quand je fondais la terre ? Dis-le, si tu as de l’intelligence. Qui en a fixé les dimensions, le sais-tu ? Qui a tendu sur elle le cordeau ? Sur quoi ses bases sont-elles appuyées ? Qui en a posé la pierre angulaire, alors que les étoiles du matin éclataient en chants d’allégresse et que tous les fils de Dieu poussaient des cris de joie ? »

Et Job de répondre : « Oui, j’ai raconté des œuvres grandioses que je ne comprends pas, des merveilles qui me dépassent et que j’ignore. Aussi je me rétracte et m’afflige sur la poussière et sur la cendre. »

On aurait aimé entendre ce film le dire haut et clair avec la rage de l’humilité, mais vous chuchotez, monsieur Malick, vous bruissez de toutes vos palmes, vous êtes une brise souple entre les feuilles d’un arbre sec.

17 commentaires

  1. Article très intéressant merci. Cependant la première image (arbre / eau / homme au milieu) et un plan de « The Fountain » de Darren Aronofsky avec Hugh Jackman (que l’on voit sur la photo) et Rachel Weisz et en aucun cas un plan de « The tree of Life ».

    Bonne continuation !

  2. The Fountain, qui touchait d’ailleurs bien plus l’absolu que The Tree Of Life, car plus secret et plus humble, d’après moi.

  3. « C’est ce fantasme d’œuvre totale épousant au plus près l’épiderme de l’existence, qui vient combler l’angoisse sensuelle créée par le caractère indéfini de l’esprit de Malick/Homme/Job. »

    Hey vas y mollo j’ai fait que bac pro moi.

  4. Le tour de force de ce film c’est quand même d’avoir réussi à meubler une demi heure avec des wallpapers windows 7… et le pire c’est que y’en a qui ont aimé. Symbolisme en mousse tout photoshopé: c’est nul. Autant s’asseoir sur un balai-brosse. Intelligentsia cannoise likes this.

  5. Ah ah! bravo Mireille_d4rk. Moi j’avais pensé aux économiseurs d’écran MAC OS X pour cette demi-heure en trop! kif-kif (mais j’ai pas kiffé non plus) Le pire c’est le dinosaure je pense. C’est censé exprimer ‘la compassion’. Mouais…

  6. @ Blandine
    Ouais moi je suis PC et Windows 7 c’était mon idée. Ouf! je crois que j’ai bu un peu trop de café.

    C’est vrai que le passage du dinosaure est particulièrement ouf. J’ai pas compris. Mais bon quitte à voir de la compassion avec des dinosaures je préfère ressortir mes VHS de Petit Pied.

  7. Article verbeux et bon gros foutage de gueule : comment peut on appeler à l’humilité après avoir pondu un texte dont la pédanterie ne le dispute qu’à la vacuité ?
    Fatras de mots sans portée, bla-bla grassouillet d’écrivaillon en chaleur et religiosité en toc : on ne blâmera jamais assez les ravages du style inrocks & folk (et autres branchouilleries bégueules à la technikchronicart) sur des générations de pseudo-lettreux.

  8. Richard je veux pas faire mon suce boules, ni mon pédant(quoique)mais à en juger par la couleur de la pêche que tu viens de poser au dessus, tu es dans le même registre que celui dont tu fais la critique. Y’a comme qui dirait un problème de coordination entre ton style et ta pensée non? Franchement faut arrêter de triquiter moi je le trouve bon ce papelard. Le film beaucoup moins.

  9. Bah, nous avons là un spécialiste de la vacuité, il le place dans tous ses comments. Un bach de philo mal digéré peut-être. Le vide ça attire aussi.

  10. Le pseudo-sarcasme comme dérobade, très original.
    Essayer de discréditer a priori tout propos critique à défaut d’attaquer de front, ça ne s’est jamais fait non plus.
    Les crevards cultureux se suivent et se ressemblent.

  11. Hum je me suis arrêté de lire l’article quand j’ai vu apparaître le mot fasciste.
    Je me suis dit : con con con; encore plus con que le Malick surtout énervant et sympathique.

  12. Malick pas humble? Je peux TOUT lire sur ce chef d’oeuvre absolu qu’est The Tree of Life, même des critiques aussi exaspérantes que celle de Martin Rahin, mais certainement pas que Terrence Malick n’a pas fait preuve d’humilité. Le « pédantisme » (parisianisé) dans le style ampoulé de votre critique M.Rahin me conforte que ce film est un des plus importants de ce siècle et du siècle précédent, le divin passage du « film-produit » au « film-oeuvre d’art ». On peut ne pas être touché, ou bien chercher à se justifier (comme vous le faites M.Rahin) d’une incompréhension totale face à une telle oeuvre en ayant recours au célèbre « je n’ai rien compris donc je bourre mon analyse de citations au soutien d’une analyse que je ne fournis pas et ce pour mieux discréditer le coup de pinceau du maitre », ce que je vomis toute de même purement et simplement, mais on ne peut pas attaquer l’humilité de l’artiste, du grand Maître, face à son oeuvre.

  13. Il est vrai que comparativement à la recherche du temps perdu, The Tree of Life soit un peu en dessous, mais si on prend comme référentiel « la fête à la maison » alors Malick s’en sort plutôt bien. Comme quoi ça tient à peu de choses.

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