(C) Richard Dumas

Qu’attendre d’un festival breton pour sa 44ème édition ? Des galettes saucisses ? De la bière qui tâche ? Des découvertes du monde entier ? Probablement un peu tout ça. Histoire d’aller vérifier si notre intuition est bonne et si cette 44ème édition – qui a lieu du 7 au 11 décembre donc MAINTENANT – sera au moins aussi bonne que les précédentes, on est parti rencontrer le boss historique du festival, Jean-Louis Brossard.

Trans Musicales 2022 : invitation à un voyage sonore mouvementé du 7 au 11  décembre

Les Transmusicales fêtent leur 44ème édition. En quoi est-elle différente des autres ?

Jean-Louis Brossard : Elle est déjà différente par sa programmation. Pour ce qui est des salles, des lieux, ça n’a pas bougé par rapport à l’année dernière. Il y a quand même une nouveauté avec le groupe Dalle Béton. C’est un groupe de Rennes qui va jouer au parc expo dans un endroit qui s’appelle la place des fêtes, en extérieur même si le groupe sera abrité. Il s’agit d’un trio monté par Théo Müller, un dj qui fait aussi de la musique électronique. On y trouve batterie, guitare et basse. Leur musique se situe entre Salut C’est Cool et Bérurier Noir. Ca harangue, c’est politiquement engagé. Pendant le concert, Paul, un copain à eux, coule du béton. A la fin du concert, le béton est en train de sécher et les gens qui le veulent peuvent mettre des objets dedans.

Revenons un peu sur l’historique des Trans. Ca vient d’où au départ, cette épopée rennaise ?

Jean-Louis Brossard : La première année, je voulais montrer des groupes rennais. A la première édition, en 79, il n’y avait donc que des groupes de Rennes.On avait alors une association, Terrapin. La première édition, c’était aussi un concert de soutien de notre asso. A l ‘époque, il n’y avait pas grand-chose à Rennes. On faisait un ou deux concerts tous les deux ou trois mois. Nous étions tous bénévoles. En 77, j’étais allé au festival punk de Mont-de-Marsan qui m’avait beaucoup marqué et j’allais très souvent à Londres aussi de 76 à 78. Là-bas, je voyais beaucoup de groupes et j’en profitais pour ramener pas mal de disques à Rennes, où il commençait à y avoir des groupes comme Fracture ou Marquis de Sade. Des groupes qui prenaient aussi cette énergie punk anglaise. Ou américaine pour ce qui est de Marquis de Sade, plus influencé par Television ou Père Ubu que par les Buzzcoks ou les Sex Pistols. Les Trans, ça vient avant tout de cette envie de montrer l’éclosion de cette scène rennaise. Lors de la première édition, Marquis de Sade a fait un concert d’anthologie. Les gens découvraient ce groupe avec leur chanteur incroyable, Philippe Pascal. Tout de suite, ça a fait parler du groupe et de Rennes. Il y a une histoire presque fusionnelle entre nous. L’année d’après, en 80, Etienne Daho était monté sur scène avec les musiciens de Marquis de Sade, justement.

 « Je me suis mis à acheter des disques en mode compulsif. Mais vraiment terrible. J’ai toujours acheté des disques, ça a été mon truc »

Depuis toutes ces années, vous incarnez physiquement ce festival. Les Trans sont très fortement liées à votre personne. Qui étiez-vous et que faisiez-vous avant les Trans ?

Jean-Louis Brossard : On pourrait même dire pendant les Trans, car le premier salaire que j’ai eu avec les Trans, c’était seulement en 1991. Avant ça, j’habitais à Saint-Brieuc. De 5 ans à 15 ans, j’ai appris le violon classique. Mon prof était prof de basson au conservatoire. J’allais souvent voir ma famille à Bordeaux, où je suis né même si j’ai toujours vécu en Bretagne. L’été, j’allais à Bordeaux voir mon grand-père qui était horticulteur. J’allais lui filer un coup de main pour aller faire pousser les fleurs. A un moment, je suis entré en fac de médecine à Rennes. Un de mes grand-pères, que je n’ai pas connu car il est mort avant ma naissance, était médecin. Je fais parti d’une génération très docile. « Jean-Louis, tu vas faire du judo ». Ok, alors j’allais faire du judo. « Jean-Louis, pour ton vélo, on va te prendre un routier, pas un demi-course ». Ok, je prends un routier. Du coup, je cachais mon vélo quand j’allais au bahut parce que j’avais honte. Aujourd’hui, j’ai trois enfants, et je ne leur dis jamais « Tu vas faire çi ou ça ». Ils m’enverraient balader. A l’époque, non. Quand on m’a dit, « Tu vas faire médecine », je me suis dit pourquoi pas. Arrivé en fac, j’ai du aller à un seul cours en deux ans. Le reste du temps, j’allais au stade, chez les disquaires, dans les boîtes. Je faisais mes universités comme on dit, c’était sympa.

Crédit : Richard Dumas


Votre culture musicale, c’est là qu’elle se constitue ?

Jean-Louis Brossard : J’achetais déjà des 45 tours, mais le déclic a été le Pop Club de José Artur. Mais avant José. C’est à dire les deux premières heures, avec Pierre Lattès et Dominique Blanc-Francard. Il y avait le disque pop de la semaine, et là tu tombais sur Mothers Of Invention, King Crimson, Roxy Music, les Stooges – le morceau s’appelait d’ailleurs 1969, donc je me rappelle bien de la période. Des trucs incroyables. Et là, je me suis mis à acheter des disques en mode compulsif. Mais vraiment terrible. J’ai toujours acheté des disques, ça a été mon truc. En fac, je rencontre des gens qui organisent des concerts de Nico, de CAN. Là, je rencontre Béatrice Macé avec qui je vais avoir une histoire d’amour pendant quelques années. A ce moment là, Hervé Bordier (NDLR : disquaire historique de Rennes), qui avait cette association Terrapin, nous a demandé de le rejoindre, curieux de notre énergie. C’est comme ça, que tous ensemble, nous avons monté les Trans en 1979.

« On fait environ 60 000 personnes chaque année entre les différents sites. Le tout avec zéro artiste connu, c’est quand même assez exceptionnel ».

Petit à petit, le festival s’est professionnalisé. Aujourd’hui, c’est devenu un festival important. Parlons un peu chiffres et logistique si vous le voulez bien. A combien se monte par exemple le budget du festival en 2022 ? C’est l’instant « Les Trans en quelques chiffres, par Jean-Louis Brossard ».

Jean-Louis Brossard : Oh my god…C’est chaud bouillant. Si on m’avait prévenu, j’aurais mieux préparé tout ça en passant un coup de fil à Gwenola Le Bris, notre secrétaire générale. A vrai dire, niveau chiffres, j’en sais trop rien. Je vais pas parler de budget, parce que je sens que je vais raconter des conneries. Par contre, je peux vous dire que sur le festival, on fait environ 60 000 personnes chaque année entre les différents sites. Le tout avec zéro artistes connus, c’est quand même assez exceptionnel.

Pas connus et souvent internationaux. Vous avez toujours fureté à droite à gauche. De 1979 à aujourd’hui, le manière de constituer votre programmation a-t-elle beaucoup évolué ?

Jean-Louis Brossard : Internet a tout changé. Avant, il n’y avait que la radio. On l’écoutait, et si on voulait contacter un groupe, c’était un véritable chemin de croix. Fallait déjà commencer par acheter le disque, sinon tu ne pouvais pas le réécouter. Sans ça, ça n’était pas possible, sauf si c ‘était un tube qui passait en boucle. Il y avait aussi très peu de tourneurs en France, alors que maintenant il y en a beaucoup. Et peu de festivals, ce qui a pas mal changé aussi. Et ces festivals programmaient presque pas de groupes étrangers. A l’étranger aussi, il y avait très peu de festivals. Les seuls endroits où ça bougeaient vraiment, c’était Londres et New-York. Là-bas, il y avait des concerts tous les jours. Mais à Paris, non. T’avais le Gibus et deux ou trois autres trucs, mais tout ça restait dans le même style, très rock.
Ce qui a changé aujourd’hui, c’est que je reçois des liens vers la musique de groupes. Si j’aime bien le son et que je veux en savoir plus, c’est assez simple de voir sur le net s’il y a eu un live qui a été tourné récemment. Même si le son est parfois pourri, ça me permet quand même de voir la gueule des mecs, si le groupe est charismatique ou non. Pour un groupe de rock par exemple, je trouve ça essentiel. C’est en tout cas comme ça que je le conçois. La technologie m’a permis d’avancer plus vite. Je me déplace aussi. Quand je vais au Great Escape à Brighton, il y a parfois 400 groupes qui y jouent. Je les écoute tous avant d’y aller pour savoir ce que je vais aller voir. Tu ne peux pas y aller à l’aveugle le soir même, sinon tu vas passer à côté.

Avec votre système, vous vous retrouvez aussi à écouter énormément de mauvais groupes, non ?

Jean-Louis Brossard : Pas des mauvais groupes, mais des choses qui m’intéressent moins. Je suis plus gentil que toi. Bien sûr, il y a aussi des grosses daubes. Mais il y a surtout des trucs qui vont t’intéresser, et d’autres pas. Je peux être très enthousiaste. Un seul bon titre peut me donner envie de programmer un groupe. Après, je demande plus, bien sûr. Mais un seul morceau peut vraiment me décider.

Dans ces 44 éditions, y-a-t-il des concerts qui vous ont particulièrement marqués ? Surtout ne répondez pas Nirvana en 1991.

Jean-Louis Brossard : C’est super dur comme question. Souvent, les concerts se passent très bien, donc j’ai pas vraiment d’anecdotes annexes à vous raconter. Le dernier concert que j’ai adoré, c’est Antti Paalanen, un accordéoniste finlandais. Une grosse voix, un gars qui tape du pied, un accordéon et basta. Ca peut faire peur mais le gars avait joué devant 4000 personnes sur le Hall 3 et ça avait été un tabac terrible. Il termine son concert, part et va dans un autre hall à côté, dans sa loge. Et là, t’as le public qui chante sa dernière chanson. 4 000 personnes. On finit par envoyer quelqu’un le chercher à sa loge, et il revient sur scène, puis rejoue. Un moment assez dingue. Particulièrement pour un mec que personne n’a jamais vu ou entendu jusque là. Il est venu me voir en octobre cette année car il jouait à Rennes au festival Le Grand Soufflet. Je ne pouvais pas le voir car j’avais un autre concert ce soir là. Il est donc venu me voir à l’Ubu avec son tourneur. En discutant, il m’a dit avoir rencontré le boss du festival du bout du monde qui avait fini par lui proposer de diriger un orchestre d’accordéons pour une création. Les choses se font parfois un peu par hasard. Depuis les Trans, il tourne un peu plus. Après, je ne sais pas si en Finlande ça marche bien pour lui.

Cette année, pouvez-vous nous dire les 3 artistes ou groupes à ne louper sous aucun prétexte ?

Jean-Louis Brossard : Tout le monde me pose cette question. Il y a un groupe que j’aime beaucoup, c’est Puuluup. Un groupe estonien qui joue du Talarpa, une espèce de lyre qu’on joue avec un archer. Je les trouves fun, drôles. Les vidéos me font marrer. Ils ont des tronches pas possibles. Sur les photos de presse, ils ont de la boue sur la gueule. Je sais que ce truc là va pouvoir faire un effet à la Anti Paaladen. Quelque chose de complètement atypique. Le public des Trans, il peut être fasciné par ça. Je le connais un peu, sans quoi je ne ferai pas ce genre de pari. D’ailleurs, ce genre de groupe, ça passe ou ça casse. Dans le même genre, j’aime aussi beaucoup Koboykex, un duo des îles Féroé. Ce sont deux cow-boys. Un rose et un bleu. Avec 3 mecs derrière eux sur scène, guitare, basse, batterie. Leurs voix me font penser aux Everly Brothers, avec de la fuzz de la fin des années 50, débuts 60. C’est un truc qui me touche aussi. Si on va dans le rock, je citerai Kid Capichi, qui est pour moi le groupe de rock anglais à voir absolument. Sur scène, c’est une tuerie ? Ce sont des bons.

« Dès fois, c’est deux canettes de bière dans la loge et c’est tout. South by Southwest par exemple ne paie personne ».

La crise sanitaire a remis en cause le modèle économique de certains festivals. Les Jeux olympiques ne vont pas contribuer à la bonne santé des festivals parisiens. Qu’en est-il des Transmusicales niveau santé financière ?

Jean-Louis Brossard : Nous avons déjà la chance de ne pas avoir de grosses têtes d’affiche. Pour ce qui est des cachets d’artistes, on n’a pas le problème qu’on les festivals d’été avec des cachets très importants pour des gros groupes. Il y a surenchère à cette période. Tout le monde veut avoir les mêmes artistes, que ça soit un festival aux Pays-Bas ou en France. C’est un combat où les agents prennent des ronds. Mais là, on est dans l’industrie. On est plus vraiment dans la musique. Ici, les groupes sont ravis de venir. Déjà parce qu’on les paye. On fait un budget sur un groupe, d’après leur voyage, leur logement, etc. On les paye comme un groupe français déclaré. Chaque groupe va nous coûter deux à trois milles euros, ça dépend combien ils sont. Quand ils vont faire leur festival de showcase aux Pays-Bas ou à Brighton, ils ne sont pas payés autant. Voire pas payés du tout. Dès fois, c’est deux canettes de bière dans la loge et c’est tout. South by Southwest par exemple ne paie personne.

South by Southwest ?

Jean-Louis Brossard : Je me souviens d’un mec de South by Southwest qui était venu une fois au Trans. On l’avait invité. Il avait une copine à Rennes et ça l’arrangeait bien. Il avait vu Dead, un groupe rennais, un trio à la Jesus And The Mary Chain. Le mec avait flashé sur eux et leur dit « Vous pouvez venir à South by Southwest ». Mais le groupe n’a évidemment pas 4000 euros à mettre pour se payer le voyage. A la fin, tu te retrouves d’ailleurs uniquement à avoir le label « Je suis passé à South by Southwest », mais comme des milliers d’autres groupes ou pas loin. South by Southwest peut être intéressant si t’as déjà un agent aux Etats-Unis. Dans ce cas, ça peut être un passage sur une tournée. Pour un groupe comme Slift, par exemple, ça peut valoir le coup. Mais sinon c’est un gouffre.

Et les Trans, alors ?

Jean-Louis Brossard : On n’a pas vraiment de souci. L’argent, on le met aussi beaucoup sur la technique, sur le son, sur les lights. Cette année on a aussi une radio de Seattle qui revient pour filmer 15 concerts qu’ils vont choisir eux-mêmes. J’ai pas mon mot à dire là-dessus, même si j’aurais bien vu Tago Mago ou encore Saïgon, un groupe psyché de Toulouse que j’adore. Ces vidéos, c’est aussi une vitrine pour nous. Certaines ont dépassé le million de vues, je pense à Altin Gün ou Slift par exemple. Slift joue avec des guitares fabriqués par un mec à Angers. Depuis que le groupe a été filmé, son carnet de commande est plein pour 10 ans.

Que vous souhaiter pour la suite ?

Jean-Louis Brossard : Que cette édition se passe bien et que ça continue. Les locations fonctionnent bien. Le seul truc qui pourrait vraiment nous plomber, c’est un retour du covid.

Les Trans, à Rennes du 7 au 11 octobre.
Le site officiel.

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