Disons-le franchement : depuis sa mort, Bashung nous les brise. Autant j’ai participé à l’élan de célébration de son génie, au torrent de compassion pour sa douleur, au soutien de la passion christique qu’était son ultime tournée, autant la mode gluante d’en parler plus que jamais aujourd’hui et de chérir un cadavre me lourde. Moi qui écris ces lignes en réécoutant Novice pour la quatrième fois de la semaine.

Non mais tout le monde aime et doit aimer Bashung aujourd’hui ? J’ai moi-même eu une période de fascination, lisant et regardant tout ce sur quoi ma souris pouvait tomber. Les archives de l’INA, les enquêtes des confrères amis (Mikailoff) ou inconnus (la Radio Suisse Romande)… Tout y est passé : des bios mal vomies avec de vrais morceaux de wiki dedans, comme des vidéos inutiles sur des plateaux très laids. En même temps il y en avait peu, l’homme se gardant des caméras et des micros. A part un sympathique blind-test dans Lunettes noires pour nuits blanches, pas grand chose pour nourrir l’appétit de ma passion alors j’ai fini par me défaire de cette sale manie qui a tout de même duré jusqu’à il y a quelques mois, où je découvris son passage à l’émission 30 Millions d’amis. Si, vous avez bien lu… Pas de scoop révélé sur une folle histoire d’amour avec une levrette afghane, ni de découverte quant à l’ornithophilie du bouffeur de cigognes, mais quelques réflexions qui, après coup, en disent long sur la personnalité de l’Alsacien.

En substance, Bashung dit qu’il n’a pas voulu imposer à un animal domestique ses perpétuels déménagements, déplacements, tournées… Et qu’il ne s’imagine pas vivre dans un endroit sans bestiole. Que là où les rockeurs aiment ouvrir les yeux lovés autour d’une carcasse poitrinaire, lui aime se réveiller sous les coups de langues râpeux d’Olga, une chatte persane. Qu’il a eu un cocker au nom improbable qui était devenu « [s]on confesseur »… Non mais quelle annonce mes amis : Alain aime les félins. Youpi. Déjà, Jean Fauque le décrivait souvent en évoquant la souplesse de sa démarche et ses mouvements de chats. Le même qui dira de Bashung qu’il était un « solitaire qui s’ennuie », ce qui justifiait son besoin de femmes. Mais attention, des femmes fortes, de celles sur lesquelles on peut s’appuyer, pour ne pas tomber. Pour en revenir aux zoophiles, nul besoin de souligner dans ces déclarations combien Bashung craignait la solitude. Pire, il avoue recréer avec ses bestioles une forme de « cellule familiale ». Culpabilité de l’absence. Ou victime ? Je ne vous ferai pas l’affront de ressortir ses histoires de famille, père inconnu et mère absente, vous les trouverez partout ailleurs. Mais quand même, l’émission datant de 1990, elle offrait de profondes perspectives sur l’artiste coincé entre deux époques, deux vies, deux succès. Gaby hier, Joséphine demain. Et tout au fond du trou, du pétrole. Des bleus.

J’avais presque oublié cette émission quand j’ai appris qu’on allait lui sortir un album hommage. En même temps que Jacno et après des rééditions gainsbourgiennes à ne plus savoir qu’en faire. A quand un tribute pour l’institut Gustave-Roussy de Villejuif ? J’ai depuis pris le temps de l’écouter et c’est bien ce qu’on pouvait en attendre : bien souvent inintéressant, décevant dans le meilleur des cas. Allez, je suis beau joueur, il faut citer la reprise fidèle et sincère par Christophe, à qui Alcaline était destinée, et une version de Gaby Oh Gaby ramenée par les BB Brunes dans le giron du rock’n’roll qu’elle n’aurait jamais dû quitter.

Hommage collatéral

On me fait signe en régie que vous voulez une chronique alors procédons, mais vite : Noir Désir se copie lui-même avant de se dissoudre ; M couine et personne ne se décide à lui foutre de l’huile (bouillante) ; Gaëtan Roussel, non mais de qui se folk-t-on ? Vanessa Paradis parade sur un morceau triste ; Dionysos et Biolay font des efforts nauséeux de surproduction ; Miossec encore humide… Je ne définis même pas Raphaël pour qu’on arrête une fois pour toute de parler de ce mec. Toutefois, deux cas mériteraient la troisième place ex-aequo du podium : Stephan Eicher, guitares et delay, qui retrouve l’exacte essence de la spécificité des jünge manner mödernes hexagonaux, mais sans réussir à convaincre plus que ça ; et Keren Ann qui réussirait ici son entrée chez Tigersushi avec une boucle de piano aguichante une basse qui serre les dents. La voix y est nulle mais eh, Bashung était un compositeur avant d’incarner ce timbre unique. On ne vous en veut pas, car personne n’en attendait rien, mais au final aucun de ces titres ne méritait un disque à part. Comme je regrette l’époque où la face B servait ces titres-là au lieu de compilations dont on les leste. Mais je m’égare (de l’Est également). S’ajoute à Tels Alain Bashung un (télé)film nommé Faisons envie, déjà diffusé par Arte qui – en plus de présenter Mustang qui finalement disparaîtra de la compile, et ne pas présenter des présents (Eicher, Biolay) trop occupés à usiner ailleurs des titres sans goût – justifie tant bien que mal les choix réfléchis de chacun de ces artistes. Réfléchis dis-je, très définis. Trop. Sans doute parce qu’il a fallu auparavant convaincre Olivier Caillart, patron de Barclay. Et c’est là que les chats de Bashung me sont revenus en pleine tête.

 

Léger éclair, si, sur ta nuque : dégagez !

Il n’y a rien qui vous chiffonne ? Le choix des figurants. On dirait les orpailleurs de bonheur du tango funèbre de Brel : « Ah je les vois déjà / Me couvrant de baisers / Et s’arrachant mes mains… » Parce qu’en dehors de Christophe, qui donc mérite sa place ici ? Pas un. On nous sert une flopée de fans trop heureux de tirer une pelote par d’autres tissée. Bashung était à l’époque un solitaire taiseux et rongé. A l’époque, vivant planqué entre Arthur, Chantal et une portée de matous, et plus tard entre Cholé et un gratin de pros par lui choisis. Mais des amis, il en avait. Avant de s’abaisser à tourner avec Raphaël et Cali, les Aventuriers d’un autre (im)monde en 2007, il en avait fréquenté de meilleurs. N’était-ce pas là qu’il fallait aller chercher un hommage ?


Lui qui a produit Rivers, vous imaginez Dick reprenant Volutes ? Manset sur L’Apiculteur ? Je fantasme un Jean Fauque (son ami de 30 ans) égrainant Aucun Express et Christophe attablé devant Les Dimanches à Tchernobyl. On peut même pousser plus loin et tripper  son groupe fidèle des 80’s, KGDD étirant une version psyché de Fantaisie Militaire. Je suis même prêt à entendre Gilbert Montagné, compagnon de Revox de la rue Pierre Charron chez Dreyfus, reprenant Bombez ! Dans mon délire j’imagine même Monkey Bizness, son propre faux groupe monté dans les 70’s avec le parolier Michel Bernard pour bouffer en imitant les trucs américains qui marchaient, qui reprendrait ici By Proxy dans le style chouineur de Diana ‘The Boss’ Ross. Haaaa. Enfin… J’enfile des perles à rebours. On ne réécrit pas l’histoire, pas plus qu’on ne remonte à la surface les bateaux naufragés.

Aucun de ces gens n’a été réquisitionné. Pas assez bankables. Et puis Alain faisait de l’isolation un mode de vie. Quand en 1990 il parle à la caméra de son transfert sur la boule débile qu’est son cocker, il évoque aussi Max, le vieux clébard du village de son enfance qui évoluait au bout de ses deux mètres de chaîne, bouffé par la cataracte et la pelade. En fait ce qui le hante en Max, c’est tout ce que lui était prêt à faire – et a finalement fait – pour ne jamais vivre cette chaîne-là : la solitude et la maladie comptent moins que la liberté. Celle-là même qui le conduira à renier sa famille à la mort de sa mère, sans doute. A virer Bergman. A mépriser Chantal (Mes Prisons !). Et puis l’alcool. Y a-t-il un mur plus agréable à élever, plus confortable parce que faussement transparent, que l’alcool ?

« J’habite un blockhaus sous la mer » chantait-il dès Eslass Blues.

20 milles lieues sous les mers, et 30 millions de couillons qui le découvriront en chantant dans leur voiture par-dessus Noir Désir. Il avait peut-être raison de les éviter. Tous ceux qui se proclamèrent ‘amis’ entre St Germain des Prés et le Père-Lachaise… Le növice a eu raison de se prendre pour un félin : le chat a fini en beauté.

Various ‘artistes’ // Tels Alain Bashung // Barclay
http://www.alainbashung.fr/

13 commentaires

  1. Une telle compile à l’heure où on fond les cd pour recouvrir des autoroutes c’est aussi utile qu’un répondeur à cassette branché sur mon iPhone.

    Ce que je dis plutôt c’est : est-ce qu’on n’est pas en train d’idolâtrer un Bashung n’ayant JAMAIS existé ?

  2. Je ne sais pas docteur, peut être parce que les bons arrangeurs font de mauvais compositeurs. Vous pensez que cela me vient de ma mère ?

  3. je ne me lasse pas de cliquer sur ma souris afin de regarder et d’écouter avec amour monsieur bashung. quoi qu’il ait pu dire,faire, bien ou mal….ca n’est qu’un homme avant d’être cet immense star….si on ne l’aime pas on zappe…..laissez nous l’aimer à sa juste valeur, qui peut jeter la première pierre ? personne n’est parfait….lui non plus surement…mais quel merveilleux imparfait !!!!!!! je l’aime , je l’adore, il me manque, et chaque jour je pense à lui. que ceux qui l’ont connu , cotoyé, aimé….soient fiers, heureux, et apprécient leur immense chance….j’aurais tant aimer, tant aimer…..

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