Plus lent, plus insidieux, plus monochrome, le nouvel album de Suuns est une bombe à retardement qui dévoile un peu plus le potentiel important de ces Canadiens. Mais de quoi parle-t-on au juste ? De l’énième groupe « indie » à suivre ? De la dernière tentative de fusion crédible entre rock et musique électronique ? Du nouvel astre noir de la galaxie montréalaise ? Pour y voir un peu plus clair en évitant l’éblouissement, prenons nos lunettes de soleeil.

Plus le temps passe, et plus c’est la même histoire. Un nouveau groupe apparaît dans le champ ultra-balisé du rock, et pour peu qu’il ait quelque chose d’intéressant à dire, les événements se déroulent généralement dans cet ordre : 1/ excitation (fan-base, branchés, médias prescripteurs), 2/ validation (auditoire ciblé, médias spécialisés, professionnels de la profession), 3/ consécration (grand public, médias généralistes, marques en demande de synchros pub). Et c’est ainsi qu’inévitablement, les groupes que l’on se plait tôt à chérir se voient bientôt chéris par à peu près tout le monde, pas cool, c’était mieux lorsque c’était encore un secret bien gardé, et puis non, il ne faut décidément plus que ce soit un secret pour personne. Bon. En ce qui concerne les héros du jour, Suuns, nous en sommes désormais à la phase 2 : tout le monde se réveille, il y a un nouveau super groupe à Montréal. A la bonne heure ! Repenchons-nous sur son cas.

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Le nouveau Suuns, c’est peu dire que nous l’attendions. Le deuxième, qui plus est : celui qui viendrait entériner (ou pas) les espoirs placés dans le groupe à la sortie de « Zeroes QC », fin 2010. A l’époque, peu avaient pointé sa singularité : le disque arrivait-il trop tard pour figurer en bonne place dans les bilans de fin d’année ? Sa distribution n’était-elle pas un peu trop confinée aux circuits parallèles ? Souffrait-il d’un manque de visibilité de ses géniteurs, retranchés derrière une esthétique volontiers « indie » ? Toujours est-il que « Zeroes QC » passait quasiment inaperçu en France, alors même qu’il portait en lui les germes de ces « Images du Futur » dont il est aujourd’hui question. En l’occurrence, plusieurs tentatives d’hybridation entre une gestuelle rock somme toute assez banale et – c’est là que ça devient intéressant – une écoute approfondie de la musique minimaliste (celle de Steve Reich, mais aussi celle de Plastikman). Bref, au moment même où nombre de groupes similaires cherchaient à se branchiser en adoptant une posture « maximale » (ce son typique des affreuses compilations Kitsuné), Suuns la jouait low profile en privilégiant une forme d’épure qui s’avérait assez inédite dans ce registre. Des guitares, donc, mais pas du genre à verser dans les effets de manche. Des appels du pied vers le dancefloor, certes, mais moins en mode peak time que vers les premières lueurs du jour. Des climats, enfin, souvent en clair-obscur, définissant à eux seuls l’identité de ce quatuor que certains considèrent trop limité par la technique – sauf que bien sûr, c’est justement ce type de contrainte qui pousse les moins chevronnés à être les plus créatifs

Au milieu de ce disque, il y avait aussi un morceau presque surgi de nulle part, sorte d’hallucination indie-kraut-rave comme on en a rarement entendu dans ce registre. Sweet Nothing que ça s’appelait. Sept minutes de montée dans un brouillard traversé de flashes stroboscopiques. Une chose parfaite, pour sa construction, pour son esthétique, pour sa propension à réinjecter un peu de panache dans les noces archi-célébrées du rock et de la musique électronique. Ce truc dément n’est pourtant pas sorti en single, n’a pas bénéficié de remixes (bien qu’il eut été difficile de surpasser l’original) et n’a en conséquence pas connu la destinée qu’il aurait mérité d’avoir, une fois joué sur un gros sound-system par qui de droit.

Malheureusement, il n’y a pas de nouveau Sweet Nothing sur le deuxième album de Suuns. Manière de dire que celui-ci, sur ses premières écoutes, laisse une impression de trop peu. On cherche le hit underground, celui qui catapulterait définitivement Suuns dans la stratosphère. On ne comprend pas trop pourquoi Edie’s dream comme choix de premier single, pourtant assez représentatif de la nouvelle direction empruntée. Et puis, il nous revient en tête cet « edit » qu’Ivan Smagghe avait réalisé pour l’une de ses compilations, celui d’un single (Up past the nursery) issu du précédent album… Un morceau lent mais hypnotique, au charme vénéneux pour qui aime s’aventurer à la lisière de la piste. « Images du Futur » prend alors une autre dimension : c’est précisément cette tonalité-là qu’il entend explorer, comme évoluant dans des eaux stagnantes, marécageuses, progressant lentement mais sûrement dans des zones où toute forme de vie humaine aurait été anéantie, puis chercherait à reprendre forme. Mais si ces images du Futur ne sont pas très rassurantes, elles laissent tout de même entrevoir quelque chose de lumineux à l’horizon. C’est en tous cas une piste de sortie envisageable, quand beaucoup d’autres se sont embourbés en chemin au même moment.

S’il conserve la « patte » si particulière de Suuns (voix trainante, claviers malades, motifs de guitare comme découpés au premier plan), « Images du Futur » est donc très différent de son prédécesseur – par son approche. Il est globalement plus lent, plus porté vers la contemplation, plus cohérent aussi d’un bout à l’autre. Suuns joue aujourd’hui une musique de descente, et non plus une musique de montée. Clairement, ça reste de la musique droguée : une musique qui porte parfois les stigmates de son agressivité contenue, mais qui préfère désormais s’abandonner à des plaisirs plus sensoriels (la deuxième moitié du disque, ascensionnelle à souhait). En cela, « Images du Futur » nous renvoie directement au dernier tome des aventures de Liars (« WIXIW ») : même passif arty, même goût pour la plongée en eaux troubles, mêmes atmosphères chargées en électricité statique. Deux groupes attirés inexorablement vers le même trou noir.

De Montréal, on garde généralement l’image de la capitale pop moderne, ayant enfanté un nombre incalculable de groupes généralement très colorés. A la périphérie de cette scène, il y a une exception notable, la galaxie Constellation, irradiant tel un astre noir sur les terres désertées de l’indépendance à tous crins. Mais Montréal ne saurait se limiter à ces seules dimensions : c’est aussi une ville qui compte dans le champ des musiques électroniques (les festivals Mutek et MEG). De fait, l’arrivée de Suuns dans le panorama musical local n’a rien de vraiment surprenant : ce groupe s’inscrit totalement dans une logique de décloisonnement propre aux métropoles les plus foisonnantes sur un plan artistique. La vraie nouveauté se situe plutôt ici : avec sa matière sonore épurée qui réduit sensiblement les distances entre musique électrique et électronique, Suuns est en train d’ouvrir une brèche dans laquelle beaucoup sont appelés à venir s’engouffrer. Pour peu qu’ils enclenchent la vitesse-lumière, on leur promet de passer bientôt en phase 3.

Suuns // Images du Futur // Secretly Canadian

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