Le nouvel album au titre velvetien de la bande à Jason Pierce tourne en boucle dans mon nipod. Répétitif, parfois bruitiste, des envolées de gospel blanc, des cordes… Beau et désespéré. À écouter matin, midi et soir en ce printemps qui se prend pour l’automne.

J’ai découvert Spiritualized début 1998. Un article de Nicolas Ungemuth dans Rock & Folk m’avait poussée à acheter « Ladies and Gentlemen we are floating in space », et ce pour une unique raison : le journaliste précisait que l’album avait été composé peu de temps après que Jason Pierce s’était fait larguer comme un junkie malpropre par sa magnifique compagne, Kate Radley, qui jouait des claviers sur le disque. Elle s’était barrée avec l’autre gros mauvais de The Verve mais jouait sur les chansons d’amour écrites pour elle. Même, elle faisait des chœurs. Fallait avoir un sacré aplomb. Je ne savais rien de Spacemen 3, ni de Jason Pierce ni rien, mais la situation me fascinait ; du haut de mes 16 ans et demi, je pensais qu’un album enregistré pendant une rupture ne pouvait qu’être sublime. La même raison m’a d’ailleurs décidée, des années plus tard, à acquérir le « Rumours » de Fleetwood Mac : album préféré de mon philosophe préféré, Chuck Klosterman (et de Bill Clinton, qui n’est pas mon philosophe préféré), « Rumours » a été enregistré alors que le guitariste et parolier Lindsey Buckingham achevait une longue romance avec la chanteuse Stevie Nicks, et que le bassiste John McVie divorçait de la chanteuse et claviériste Christine McVie. Le sujet de presque toutes les chansons de cet album best-seller des années 70 est la rupture*. Mais pour en revenir à 1998 et à Spiritualized, j’avais donc acheté « Ladies and Gentlemen we are floating in space ».

Dit comme ça, ça n’a l’air de rien ; des tas de gens vont tous les jours à la FNAC et achètent des disques après avoir lu des chroniques, bon. Mais à l’époque, avec mes 100 francs mensuels d’argent de poche – auxquels il fallait soustraire les 25 balles que coûtait Rock & Folk, plus la thune pour les clopes – je ne pouvais m’offrir en moyenne qu’un seul CD tous les trois mois (un peu plus, parce qu’il y avait Noël et mon anniversaire, puis aussi je me démerdais pour resquiller sur la monnaie quand ma mère m’envoyait faire les courses, et quand, pour une raison ou pour une autre, je devais manger à l’extérieur, je gardais l’argent du sandwich pour à la place aller chez le disquaire). Ma collection de CD ne remplissait même pas une petite étagère. Heureusement il y avaient les cassettes, ça j’en avais plein, copiées depuis des CD empruntés ça et là, soit à des potes, soit à des membres de ma famille (chez mon oncle qui avait eu Carmelo Micciche comme camarade de classe, des Led Zeppelin se cachaient parmi les Queen et les Mylène Farmer) ou des amis de mes parents (chez le pote de mon beau-père qui était cadre à la sucrerie Beghin Say, entre un Supertramp et le « Daholympia » j’avais découvert le « Ziggy » de Bowie). Bref, l’achat d’un disque n’était pas chose à prendre à la légère. Pourtant, entre plusieurs valeurs sûres, j’avais choisi de plonger tête la première dans ce terrain inconnu où flottaient (dans l’espace) une séparation douloureuse et l’héroïne.

« Spiritualized is used to treat the heart and soul »

C’était un drôle de disque, marqué par la perte, entre psychédélisme dépressif, Velvet Underground, gospel et musique de film avec Kevin Costner. La pochette se présentait comme une boîte de médicament (« Spiritualized is used to treat the heart and soul »), avec notice, instructions d’administration, contre-indications (« If you drink alcohol regulary or use recreational drugs ») etc. Il y avait même une date de péremption : « EXP 03 3001 » — ça laissait le temps de l’écouter. C’était bien foutu et l’idée était marrante. Pour autant, ce disque guérissait-il vraiment les peines de cœur ? Pour l’avoir eu comme compagnon pendant quelques mois alors que je sortais, moi aussi, d’une séparation à la con (« c’est pas toi, c’est moi »), je puis vous affirmer que non, « Ladies and Gentlemen… » ne les guérit pas. Disons qu’il les accompagne. Elles ne sont pas moins douloureuses, mais elles sont plus jolies avec une bande-son. Limite intéressantes. Plutôt que de bêtement remonter le moral, l’album l’emmenait dans un endroit bien particulier, un endroit où, bien qu’à Z, il accédait à une sorte de grandeur. La transcendance. Comme ce que peut procurer la religion, qui d’ailleurs occupe une place importante dans les paroles de Jason Pierce.

« Sweet heart Sweet light », sorti le 16 avril dernier, est de la même trempe. Pour être honnête — la déontologie, bordel ! —, j’avoue n’avoir écouté aucun autre album de Spiritualized. Curieusement, alors que j’avais beaucoup aimé « Ladies and Gentlemen… », leur troisième album, je n’avais pas éprouvé le besoin de connaître les précédents ; les trois suivants sont sortis sans produire chez moi le moindre haussement de sourcil. Je n’avais pas envie. Plus étrange encore, alors que je dévore toutes les biographies de musiciens que je trouve, et qu’adolescente j’écumais les brocantes pour y trouver de vieux numéros des années 70 de Best ou Rock & Folk, je ne me suis jamais intéressée à la vie des membres de Spiritualized. Je n’arrive pas à expliquer pourquoi, mais le fait est que, mis à part sa rupture avec la claviériste, je me fous de Jason Pierce comme de la première paire de chaussettes de mon voisin — et je ne sais même pas quelle tête a mon voisin. C’est sans doute injuste, Jason Pierce a certainement vécu des choses très intéressantes ; si ça se trouve il a des trucs à dire, de l’humour… Mais c’est ainsi. Une seule chose m’intrigue vraiment, à propos de Spiritualized : ont-ils choisi ce nom pour que leurs disques soient placés après ceux de Spacemen 3 dans les bacs, comme Mark Oliver Everett qui a appelé son groupe Eels pour être juste après ses propres albums parus sous le nom de E ? Pas de bol pour Everett, il n’avait pas pensé qu’entre les deux, il y avait les Eagles. Même chose pour Jason Pierce : entre Spacemen 3 et Spiritualized, il y a, entre autres, Spinal Tap.

« Sweet heart Sweet light », donc, est arrivé à mes oreilles par hasard et à travers la porte des W.C. (j’étais à l’intérieur). La courte (et belle) intro, et les premiers accords du deuxième morceau, Hey Jane, ont piqué ma curiosité. Une fois sortie, j’ai dit un truc comme : « C’est vachement bien ça, c’est quoi ? » Et me voilà avec un nouvel album préféré du moment à écouter matin, midi et soir.

So long, you pretty thing

Bon, qu’une chose soit claire : je ne suis pas du genre à aimer les chansons qui commencent comme l’intro de If you don’t know me by now (tendance Simply Red), avec un mec qui chante des trucs comme « Help me Lord, help me Jesus ». Ce genre d’ingrédients musicaux, équivalents de la viande hachée ou de la raclette sur une pizza, très peu pour moi. Sauf que quand c’est Spiritualized qui le fait, une sorte de miracle se produit, et ce qui devrait logiquement être improbable devient transcendant. Tout est question de dosage des ingrédients, et d’assaisonnement. Le groupe sait manier les envolées de cordes sans être grandiloquent, ou s’adresser à Dieu sans être ridicule.
Comme « Ladies and Gentlemen… », « Sweet heart Sweet light » sonne comme un album de rupture, avec des paroles désabusées, simples et sincères. Jason Pierce n’y va pas par quatre chemins (ni par quatre métaphores obscures) : « I got no reason to believe in anything », chante-t-il dans So long you pretty thing. En plein dans le mille. Dans Too Late, il est question des conseils de sa mère (les mères ont toujours raison) qui lui recommande de ne pas jouer avec le feu pour ne pas se brûler — la flamme de l’amour, qu’on allume parfois par inadvertance et qui vous brûle le cœur (la mère de Diana Ross était plus optimiste, qui disait « You can’t hurry love, no, you just have to wait »). Dans Freedom, ballade rappelant le Cool Waves de « Ladies and Gentlemen… », Pierce nous parle de ses deux bras, qui ne peuvent enlacer l’être aimé. On pense à ceux d’Otis Redding qui, eux aussi, lui posaient problème ; décidément, le Jason aime la soul. Le morceau Life is a problem (tellement vrai !) est une prière pour que Dieu se transforme, entre autres choses, en radio. Quant à Hey Jane, avec son clip interdit aux mineurs sur YouTube, c’est neuf minutes d’un seul riff, trois accords, paroles scandées, répétitives, bruit blanc, d’une rare intensité, on court, on court et on n’a pas le temps de faire d’erreurs, ça vous reste dans la tête des jours durant (je me surprends à fredonner « Sweet heart, sweet light, sweet heart and… love of my life » jusque dans les toilettes du boulot).

Vous l’aurez compris, cet album n’a que peu de choses en commun avec la Compagnie Créole. C’est un disque qui a quelque chose à voir avec l’âme ; qu’on croie ou non au concept (d’âme, que j’ai toujours trouvé un peu fumeux), c’est bien elle (l’âme) que l’on sent lorsque l’on écoute « Sweet heart Sweet light ». C’est un album pour se sentir vivant. Et il s’accorde très bien avec ce paysage gris d’autoroutes hystériques, de terrains vagues et de ponts au-dessus de l’eau sale, qui est devenu mon paysage quotidien.

Spiritualized // Sweet Heart Sweet Light // Double Six Records
http://www.spiritualized.com/ 

* Si le sujet vous intéresse, lire le chapitre « Le onzième jour » dans Je, la mort et le rock’n’roll de Chuck Klosterman, (Naïve éditions)

7 commentaires

  1. Attiré par les anglais à gueule de drogué qui font de la pop enfumée, j’ai toujours été attir par Jason Pierce sans jamais y allé vraiment. Son côté psyché mystique lâchant les cordes au lieu de se pendre m’a toujours autant repoussé en fait. Et puis voilà moi j’aimais déjà « l’autre gros de The Verve » héhé. (Interview là d’ailleurs : http://www.parlhot.com/itw-rock/richard-ashcroft-the-united-nations-of-sound-2/)

    J’avais bien aimé des trucs sur un de ses albums. Je crois que c’était Let It Come Down. Mais sans plus. Là j’ai l’impression que c’est idem. Pas mal. Mais il me manque un truc. A creuser tout de même ! Beau texte quoiqu’il en soit. Avec une phrase que je comprend pas (« un endroit où, bien qu’à Z, il accédait à une sorte de grandeur »)

    Sylvain
    http://www.parlhot.com

    PS : on ne répétera jamais que Chuck Klostermann est un grand de la rock-critic si ce terme veut encore dire quelque chose 😉

  2. C’est drôle, j’ai la même approche de Ladies & Gentlemen que toi. Pour ce qui est de Pierce en règle générale ses chansons me semblent simplement être les trucs les plus purs qu’il soit possible d’écouter, juste en dessous d’une compilation Nashboro tellement c’est désarmant de sincérité.

  3. Non Sylvia, je connaissais pas cettee xpressiob !
    Et j’oubliais de surligner ça : ouais, Fleetwood Mac dans le genre ça déboite et je t’ens avais pas « cliente » 😉

  4. Mais si, Sylvain, je suis cliente de Fleetwood Mac, j’avais d’ailleurs emmené l’album « Rumours » à Brest dans mon iPod pour l’enregistrement de mon album… (grâce à Chuck Klosterman, mon philosophe et sociologue préféré de tous les temps)…

  5. Ouais, grand disque je trouve aussi.

    Disons qu’il a tout compris à la simplicité et s’est mis au service de sa propre musique : le mixage est une sorte d’apologie anti-spectaculaire. Pas un instrument ou une prise plus haute que l’autre, la répétition addictive de ses boucles mélodiques se révélant au fur et à mesure par ce parti pris dont ferait bien de s’inspirer un bon paquet de suceurs corporatistes qui se font régulièrement caca dans la tronche.

    Hein?? qu’est ce qu’y dit le monsieur??

    Sinon, ouais, Fleetwood Mac tout ça, mais non. Bien entendu, vous avez le droit d’avoir tort.

    Pisse.

    Guitou.

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