Après un démontage en règle de "Indie Cindy", prochain album des Pixies défoncé à la (tête de) pioche par Bester, un mail à cheval entre l'insulte argumentée et le droit de réponse est arrivé cette nuit à la rédaction. L'objectif ? Rendre justice au groupe de Franck Black et relativiser le pamphlet anti-Pixies écrit la veille. Récit d'une rencontre par disques interposés entre le célèbre groupe américain et Henri Horace, fan et par ailleurs musicien du groupe La Classe. A vous de choisir votre camp.

Difficile de se défendre d’aimer le rock acnéique et junk-food des Pixies quand, comme moi, on fait partie des trois pelés et quatre tondus à avoir accompli le pèlerinage depuis Paris vers le Shepherd Bush Empire de Londres en 2008 (j’avais 17 ans), pour assister à la réformation des cultissimes Zombies (hérauts d’une pop sophistiquée et gentil garçon qui ne tardera pas à faire école par la suite) interpréter l’intégralité de leur non moins culte « Odessey and Oracle », sorti 40 ans plus tôt dans un anonymat jugé des plus irritants par le groupe, qui décidera de se séparer dans la foulée. Je me suis d’ailleurs bien gardé de mentionner ce détail à mon idole d’alors Rod Argent lorsque, bouteille de Martini en main, nous nous fîmes tirer le portrait après le concert, comme si lui et moi étions de vieux buddys…

En y repensant, je crois bien que les Pixies ont toujours été l’ombre au tableau de mes goûts impeccables en matière de pop élaborée et subtile. Déjà à 17 ans justement, je passais bien trop de temps à écouter religieusement le « One Year » de Colin Blunstone, et son pendant français et bizarroïde, j’ai nommé « Hollandia » de Dorian Pimpernel, pour pouvoir me targuer, auprès de ma petite bande de copains esthètes, d’aimer les lutins de Franck Black. Vous l’aurez compris, cet article est la promesse d’une belle tranche de journalisme gonzo, même si je ne garantie rien sur le style et la forme, faut pas déconner non plus.

doolittlePoint culminant dans la retranscription en musique de l’angoisse de mort ambiante qui planait au-dessus de la tête de tout groupe de rock qui se respectait à la fin des années 80, « Doolittle » demeure pour moi un achèvement d’une qualité rare, qui ne souffre d’aucune réelle comparaison auprès de ses contemporains, et ce pour la bonne raison qu’il est de ces disques qui marquent la naissance d’un style. Mais j’y reviendrai plus tard.
Avant cela, je ne peux pas faire l’économie de vous faire un aveu, sans quoi vous me trouverez d’une grande mauvaise foi : le fait est que je n’aime pas du tout le rock des années 80. D’ailleurs, à quelques exceptions près (« Let’s Dance » de Bowie par exemple, quelques morceaux des Talking Heads ou l’album des Feelies), « Doolittle » est peut-être le seul disque de rock de cette décennie que j’écoute encore avec plaisir aujourd’hui. Les Smiths, Joy Division, les Cure et autres Duran Duran m’ont toujours horripilés avec leur aversion manifeste pour le bon goût. Le bon goût de quoi me demanderez-vous ? Eh bien disons tout d’abord celui d’écrire des bonnes chansons, ensuite celui de résister à cette mode affreuse qui consistait alors à appliquer le maximum de réverbération sur la batterie – façon « qui a la plus grande ? », mais également celui de bien choisir son coiffeur. Je vous avais prévenu, ça vient du fond du cœur.

J’ai sans doute commis une grave erreur en commençant par m’attaquer au bon goût, notion houleuse et floue s’il en est, d’autant que je m’apprête à entamer le plaidoyer d’un disque dont je me suis récemment aperçu qu’il divisait pas mal l’opinion… Disons que « Doolittle » commence par Debaser et que Debaser commence par une référence hurlée au Chien Andalou de Messieurs Bunuel et Dali : « Got me a movie I want you to know, Slicing up Eyeballs I want you to know. »
Dans ce monde où le namedropping prime souvent sur la consistance musicale d’un groupe, ce genre de petit détail aurait suffi à pérenniser l’aura des Pixies auprès d’une large communauté de snobs écervelés … mais à l’époque disons que ce genre de clin d’oeil semblait juste … bizarre. Les internets nous apprendront finalement que « the debaser » était en fait le surnom que Franck Black avait donné à l’un de ses professeurs en fac de ciné, ce dernier ayant la fâcheuse tendance de spoiler ses élèves, leur révélant systématiquement la fin du film avant même de le projeter. Bizarre donc, et un peu m’as-tu vu aussi, d’autant que l’album devait à l’origine s’intituler « Whores ». Ca en dit long sur la personnalité d’un leader aussi désespérément égocentrique que Franck Black, qui ira jusqu’à interdire à la bassiste du groupe Kim Deal d’écrire le moindre matériel pour les Pixies passé la sortie de « Doolittle ».

Mais venons-en au fait : en vous épargnant les horribles poncifs journalistiques et autres formules toutes faites du type « cet album dégage une énergie brute rare », il faut quand même avouer que les Pixies font partie de cette très très petite communauté de groupes à avoir osé sortir un album qui a beau suinter (par tous les pores de ses fans ingrats) l’ambition d’un leader mégalo de conquérir son monde à grands renforts de mélodies ultra-catchy et de riffs pop sans concessions, et qui malgré tout cela s’entête à ne parler que de viol, de catastrophes écologiques et à revisiter les épisodes les plus violents de la bible, tout cela en chantonnant de manière inquiétante (façon Years Ago d’Alice Cooper) dans les couplets, et en vociférant jusqu’à s’époumoner dans les refrains, parfois en ne répétant qu’un seul et même mot (cfTame). Inutile de dire que cet album trouva aussi son lot d’admirateurs parmi les inconditionnels de heavy metal…

Moi je trouve ça cool, et assez schizophrène aussi. On dirait qu’une partie de Franck Black oublie qu’il est punk et qu’une autre qu’il est fan des Beatles. C’est précisément cela qui va permettre aux Pixies de poser une esthétique neuve qui, n’en déplaise à certains (moi-même y compris) va littéralement contaminer tout le rock de la première moitié des années 90 : il n’y a rien à dire, qu’on aime ou pas, le « loud QUIET loud » (comprendre couplet calme, refrain crié), procédé qui était déjà présent dans leur premier album, se verra très largement popularisé par le succès interplanétaire de « Doolittle », avant d’être repris en vrac par quelques petits gars anecdotiques, dont un certain Kurt Cobain ou un autre Rivers Cuomo.

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Ensuite il y a des chansons : l’enchaînement de Mr. Grieves et Crackity Jones, soit un des trucs les plus fous que j’ai jamais entendu dans un disque de pop, où l’importance de l’art du tracklisting m’est apparu de manière aussi intense que lors de ma première écoute de « Sgt. Pepper ». Aussi, leur complémentarité apparente passait à mes jeunes oreilles pour un clin d’oeil à Lennon et Macca, période « White Album ». L’efficacité mélodique de Here Comes Your Man, la violence contenue de Hey, le build-up de la tension précédent chaque refrain de Gouge Away sont autant d’indices du génie (ou de l’intuition si vous préférez) d’un songwriter, qui malgré des apparences de boy scout ayant forcé sur le snack, demeure pour moi un grand bonhomme du rock. Il y a du style aussi, je mets quiconque au défi de trouver un guitariste qui sonne comme Joey Santiago sur « Surfer Rosa » et « Bossanova », sans parler des lignes de basses à la fois hyper mélodiques et dépouillées.

En fait, mon idée première était de décortiquer chaque chanson de « Doolittle » en soulignant ses qualités. Mais à quoi bon ? J’irai prêcher pour des convertis d’un côté et énerverait les sceptiques comme Bester de l’autre. En plus, c’est un type de critique de disque assez périlleux qui se révèle souvent ennuyeux pour le lecteur. Le fait est que je me demande souvent si j’aurais aimé les Pixies s’ils m’étaient apparu après mon virage pop baroque effectué au lycée; et mon côté pragmatique a envie de répondre que non, qu’ils seraient passé à mes oreilles pour de grossiers personnages. Mais le jour où j’ai mis « Surfer Rosa » dans mon discman, le mal était fait. Et dès lors, la voix de cochon qu’on égorge de Franck Black avait achevé de m’ensorceler à jamais…

Notons tout de même que tout chez les Pixies n’est pas à retenir, et que le style tardif de Franck Black, souvent fait d’une grande part d’esbroufe (à travers des références pseudo-intellectuelles complètement artificielles) peut décevoir au même titre que leurs légendaires prestations scéniques, d’une mollesse et d’un ennui dont beaucoup comme moi auront fait la triste expérience. Mais restent tout de même une poignée d’albums (les premiers surtout) parfaitement originaux, qu’il n’est pas besoin de remettre dans le contexte de l’effondrement du bloc soviétique pour apprécier, un litron de coca sans bulle à la main.

3 commentaires

  1. « En fait, mon idée première était de décortiquer chaque chanson de « Doolittle » en soulignant ses qualités. Mais à quoi bon ? »
    ça aurait la démonstration la plus imparable.
    Personnellement je me fous des Pixies comme de ma première chemise mais ça m’aurait intéressé de lire ça. D’une façon générale, je pense qu’une assise analytique plus solide ne ferait pas de mal à la « critique rock ». Si l’auteur écrit bien, elle n’entrave nullement l’expression de sa passion, elle l’enrichit (cf par exemple les écrits de Rebatet sur la musique).

  2. Mon cher Christophe, c’est ce que je pense aussi (je suis musicologue, grade master), et en général plus on parle (bien) de musique dans une chronique de disque, plus je suis heureux, mais l’exercice de l’analyse « track by track » est vite rébarbatif selon moi… C’est surtout cela que je souhaitais exprimer.
    Pour ce qui est de L. Rebatet, et bien que j’ai lu avec beaucoup de plaisir (et de distance) son histoire de la musique pendant mes années de licence, je préfèrerais justement que la critique rock ne se conforme pas à son style, qui est bien celui de la mauvaise foi anti-universitaire (qui ira jusqu’à passer sous silence, dans une « histoire » qui se veut tout de même anthologique, les compositeurs majeurs d’une époque ou d’un courant qu’il n’aime tout simplement pas).

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