S’il on aime se plaindre en France du manque de reconnaissance de nos artistes à l’étranger, penchons-nous un moment sur le cas des Portugais. Citez-moi dix artistes portugais sans réfléchir… OK, cinq artistes ? … Deux ? Wraygunn aka The Legendary Tigerman et Buraka Som Sistema j’imagine. Creusez encore… non, Portugal, the Man ne compte pas.

Sans aucune volonté politique et malgré une proximité avec la scène espagnole qui fourmille de festivals (Sonar, Primavera…), aucun groupe ou artiste portugais n’a dépassé les frontières du pays au point de toucher un public digne de ce nom. Pourtant le pays regorge de sérieux candidats qui feraient bander n’importe quel programmateur·trice français·e : « Je l’ai découvert le premier ! » : Gala Drop, Thrones + the Shine, Sabre, Ohxala, Scúru Fitchádu, Celeste Mariposa, Elite Athlete, Dead Combo, Octa Push…

Et Sensible Soccers, donc, puisqu’on n’est pas là pour le name dropping. Le groupe a sorti une collection de singles et deux albums de très bonne facture, grâce auxquels ils ont tourné dans absolument toutes les salles du Portugal, du club Passos Manuel au festival Primavera (Porto) en passant par une Boiler Room à Lisbonne.

« Aurora » est leur troisième disque, et il pourrait bien s’agir de l’album de la maturité, leur chef d’œuvre, un jalon dans l’histoire de la musique ; je veux bien utiliser n’importe quelle expression consacrée pour que vous l’écoutiez.

Si « 8″ prenait son temps pour exister, « Aurora » se dévoile d’emblée : un voyage cosmique, tranquillement installé dans son siège. Il faut ici laisser les résonances des claviers joués main de s’épanouir, d’exister, de s’évanouir. Les Portugais sont à leur meilleur quand ils prennent leur temps, comme sur Import Export.

Marqué par la défection du guitariste, le son est plus synthétique mais toujours mélodique. L’instrument est remplacé par des flûtes, solos de synthés ou autres chinoiseries que n’aurait pas reniées Todd Terje (Farra Lenta), parfois à la limite du kitsch, assumé. Les sonorités aquatiques de Panda Bear, finalement le plus célèbre des musiciens lisboètes, planent consciemment ou inconsciemment sur plusieurs morceaux (Chavitas, le meilleur morceau du disque, ou Elias Katana).

La basse, pièce importante de l’identité Sensible Soccers, lorgne vers le funk, blanc évidemment, mais nouveauté ici, vers la balearic house. Je dis balearic parce que ça fera mouiller dix DJ au fond de la salle, mais la vérité se cache ailleurs, puisque l’empire portugais avait des colonies partout sauf dans les Baléares – évidemment, ce sont des îles espagnoles.

Résultat de recherche d'images pour ""sensible soccers""En l’occurrence, les Portugais commencent tout juste à redécouvrir et se ré-approprier la scène cap-verdienne, angolaise et mozambicaine qui venait enregistrer à Lisbonne des albums magiques à la hauteur du blues malien ou du jazz éthiopien.

Les percussions africaines, digérées aux influences modernes, envahissent Aurora et enrichissent grandement la pop instrumentale du groupe. Bichos do Soto vient aussi citer Zeca Afonso, le grand musicien de la révolution des Œillets – petit cours d’Histoire, les Portugais ont subi une dictature, jusqu’en 1974 !

Si c’est en acceptant son histoire qu’on devient plus authentique, Sensible Soccers évoque aussi son propre Portugal, avec ses souvenirs déformés de vacances dans le sud et les tubes FM à la radio dans la voiture. Le dernier morceau du disque, Telas Na Areia sonne comme de la variété sans paroles, sur laquelle on jurerait entendre une voix à la Memoryhouse ou Blonde Redhead (dans mes rêves). Le featuring qu’il leur manque pour s’exporter ?

Ami·e·s programmateur·trice·s et journalistes, soyez reconnaissant du nombre de mots clés disséminés dans cet article. Vous avez la permission de les utiliser.

Songez aux prix des billets d’avion pour aller en week-end à Porto, sachez que ce sont les mêmes pour faire venir des artistes. Moins cher qu’un Eurostar. Si l’on se veut Européen, commençons par écouter nos voisins du sud, et pas que les anglais qui nous abandonnent.

Sensible Soccers // Aurora // Sortie le 15 mars sur Spotify, Bandcamp et en format CD / Vinyle

Merci à António Sergio pour ses conseils. Son émission sur les musiques portugaises et affiliées est disponible ici. Quelques liens de plus sur la scène angolaise et cap-verdienne :

Mar & Sol, label de réédition de Lisbonne.
Analog Africa : éditeur de compilations complètes sur le son du Cap Vert, ou la bande son de l’Angola.
La même démarche chez Ostinato Records, sans avoir besoin de vous ruiner sur Discogs.
Et les groupes cités, rangé pour vous dans des cases :

Gala Drop (dub rock), Thrones + the Shine (kuduro-rock), Sabre (minimal house), Ohxala (electronica), Scúru Fitchádu (mélange de funana et de punk), Celeste Mariposa (DJ responsable de la redécouverte des musiques des pays africains lusophones), Elite Athlete (house-techno), Dead Combo (folk-rock), Birdzzie (disco-house), Octa Push (indie rock)

7 commentaires

  1. Difficile d’en citer que dix :10 000 Russos, Black Bombaim, Dreamweapon, Linda Martini, Surma, Capitao Fausto, Jiboia, Whales, Sunflowers, First Breath After Coma, Solar Corona, Paraguaii, Gonçalo, 800 Gondomar…

    1. …basset hound, paus, baleia baleia baleia, keep razors sharp, Peixe avião, lululemon, cave story, Kilimanjaro, Halloween, mão morta, ornatos de violeta….

      1. … the vicious five, lobster, filho da mãe, riding pânico, men eater, Sean Riley and the slowriders, if Lucy fell, bizarra locomotiva, twenty inch burial, moonspell…

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