Fin des années 80, début de la scène britpop. Le label Creation Records, drivé par l’inénarrable Alan McGee, obtient un succès international en signant le petit groupe d’Écossais The Jesus & Mary Chain. Grâce au pognon des petits Jesus, Creation va produire quelques bombes telles que Primal Scream, My Bloody Valentine ou Oasis et devenir le label historique de la pop anglaise. Cet article ne raconte pas son histoire. Cet article raconte celle de Sarah Records, expliquée par ses deux fondateurs à Gonzaï 25 ans après les débuts.

Parce que mes petits loups, l’Angleterre des années 90, ce n’est pas que Pulp, Supergrass, ou les horribles Blur. Non non non. À l’époque, des labels indépendants se sortent les doigts pour enregistrer et faire tourner des groupes talentueux que tout le monde a oublié aujourd’hui, faute de ventes à peine suffisantes pour faire tourner le bouclard. C’est le cas du label de Bristol Sarah Records – quel joli nom – qui fêtait il y a quelques semaines les 25 ans de sa toute première sortie : The Sea Urchins, Pristine Christine. Du titre, Matt a des souvenirs un peu approximatif : « Pristine Christine est le premier titre. Ça a du sortir le fin novembre 1987 mais… On a oublié ». Un tube pop de l’ère post-Smiths si caractéristique qu’il donne le ton de Sarah : des guitares qui résonnent, des chœurs très tendres et un goût assumé pour les chansons d’amour et les « yeah » qu’on laisse traîner par-ci, par-là. Viendront ensuite les mélancoliques Orchids, les Another Sunny Day, les 14 Iced Bears, les Action Painting!, un album des Wake, et toute une tripotée de groupes de teenagers tous plus modernes et romantiques les uns que les autres qui défileront huit années durant, de 1987 à 1995. Le tout dessine une discographie bluffante. Il y a un son, une « école Sarah Records », où se réfugient les groupes gentils et pop sur eux. Tous ces groupes mettent l’accent sur les paroles et jouent le son Sarah, une sorte de garage calme qu’on peut écouter en couple, sans aucune envie de se battre. En huit ans, Sarah dessine les contours d’une histoire de pop anglaise, de jeunesse et de fougue sur laquelle nous avons interrogé les deux fondateurs Clare Wadd et Matt Haynes. Amis sentimentalistes et nostalgiques, sortez les mouchoirs.

Par les jeunes, pour les jeunes

Certes Matt et Clare, ont la quarantaine bien tassée aujourd’hui, mais en 1987, ils sont des « djeunes ». Et leurs potes qui ont des groupes aussi. Clare déclare : « j’avais 19 ans au début, les groupes aussi étaient dans cette tranche d’âge, l’époque des études, des premiers boulots… Normal qu’on aille boire des coups avec le public de nos groupes, on avait le même âge et les mêmes goûts. » Une conscience jeune existe, et elle rassemble les ados aux concerts des groupes de Sarah. Cette jeunesse, c’est une jeunesse engagée artistiquement et politiquement, une jeunesse qui se bougeait le cul en créant des magazines et en sortant des flexi disc (7 pouces, nda). Clare a 16 ans lorsqu’elle fait son premier fanzine, c’est à peu près l’âge de Matt quand il monte une première structure – Sha-la-la Records – pour enregistrer The Orchids et une démo d’Another Sunny Day ; des groupes qui sonnent déjà très « Sarah », avant même que le label existe. À même pas vingt ans, c’est décidé, ils fondent leur enseigne. La maison portera un prénom féminin, spécialement choisi pour prouver qu’ont peut porter un nom de gonzesse et avoir des couilles dans un secteur très machiste. Matt : « problème pour la promotion, avec ce nom, on ne nous prenait pas au sérieux ! ». Conchiant l’industrie musicale – « du commerce » -les deux Sarah pressent à partir de 2500 copies à chaque sortie qu’ils vendent aux publics de niche, les lecteurs de fanzines. Clare, qui s’en souvient comme l’époque où les meufs n’ont le droit qu’au tambourin ou au micro, résume leur décalage commercial : « nous étions de gauche, féministes, et on s’inspirait de groupes engagés comme McCarthy. Nos goûts étaient très démodés sous l’air Oasis ».

« On allait trop vite. Les gens n’avaient pas le temps d’oublier ce qu’on faisait. » 

Pour les deux boss, les chemins de la gloire ne passent visiblement pas par Bristol : « on existait surtout autour de Bristol et ses alentours, c’est-à-dire dans le vide. On était peu connu parce que tout se passait à Londres, et on nous regardait de haut parce que notre musique était gentille. Et la presse nous boudait ». Pourtant au début, Sarah obtient quelques soutiens des médias les plus importants du pays : Radio 1 et le NME. En France, ils reçoivent l’appui du magazine subversif et dénicheur (à l’époque) Les Inrockuptibles qui organisera même un festival Sarah Records à La Locomotive à Paris. « Un show énorme se rappelle Matt, soudain on a senti que ce qu’on faisait était important. » Mais en Angleterre, il n’y a pas assez de bons papiers dans les journaux, et Matt et Clare n’ont que la bouche-a-oreille.Alors que les groupes restent cantonnés aux petits publics des fanzines des alentours de Bristol, les musiques officielles de la jeunesse deviennent la techno et le grunge. Pourtant, Sarah Records tient le coup. Huit ans, 100 disques (des 7 pouces pour la plupart), avec une ligne de conduite inébranlable pour les jeunes patrons : interdiction de faire du remplissage : « si un titre est moyen, il ne rentre pas sur le disque ». Ils ne sortent que le meilleur de chaque groupe, environ trois titres pour chaque 7 pouces. À l’arrivée ? Il n’y a que du bon, voire du génial, et de quoi prendre de la graine pour les jeunes groupes qui naitront des cendres de Sarah. « Nos groupes ne sont pas plus connus aujourd’hui mais ils ont inspirés d’autres musiciens. Parce que c’était des grands groupes ». C’est la patronne qui le dit. Et c’est vrai.

Fais le toi-même !

On pourrait résumer la philosophie Sarah Records à cela : faire des chansons d’amour avec le « do it yourself » si cher au garage. Car Clare et Matt font quasiment tout eux-mêmes ; emballage des 7 pouces, mise sous pli du poster accompagnant chaque disque, roadie… Leur découpe budgétaire participe aussi à l’identité de la maison. S’il n’y a que deux couleurs sur leurs pochettes, c’est pas de la chique, c’est parce qu’ils n’ont pas les sous pour faire des pochettes bariolées. Touchant, Matt : « 60€ pour scanner une photo, alors souvent on en mettait qu’une ! ». Clare et Matt ont beau se débattre, aller aux rendez-vous (en taxi, car ils n’ont pas de voiture), rien n’y fait, ils n’ont pas de hit, même si les ventes augmentent doucement. Ils ne peuvent donc pas s’installer quelque part. «  Le studio changeait tout le temps, raconte Clare, on allait là où vivait le groupe. Si le groupe ne vivait nulle part, c’était Bristol ou South London. Pour un single, deux jours suffisaient : on faisait ça pendant le weekend. » Ils vont vite, mais ils fatiguent. Pas de tunes, et la (lo-)file d’attente commence à durer. 100 disques, un chiffre rond, pour Matt, c’est le moment : « c’était pas la banqueroute, c’était juste le dernier disque. On a pris deux demies-pages de pub, NME et Melody Maker et on a fait une fête sur un bateau à Bristol. » Leur publicité, elle aussi, est très lo-fi. Elle titre « A day for destroying things ». Et le message est clair. Ils ne referont pas de rappels. Maintenant, si vous avez laissé trainer une madeleine de Proust quelque part dans les années 90, je connais une fille, Sarah, qui en refourgue par paquet de 100.

Le site officiel de Sarah Records

6 commentaires

  1. Arffff.
    Et les cartes postales ou petits posters dessinés (dans un style minimalo-pourri) qu’ils glissaient dans les disques, faut en parler aussi, hein?
    Dans mon exemplaire de Sensitive des Field Mice, j’ai eu droit à une feuille d’arbre verte par exemple. Dingue, non?

    Super respectable sur le fond Sarah Records, c’est vrai.
    Après sur la forme, si je m’en réfère au « si un titre est moyen, il ne rentre pas sur le disque » de l’article, la subjectivité de chacun peut amener à une certaine forme de nuance. Saint Christopher, par exemple et pour ma part, m’a toujours délicatement fait chier.

    Sinon, bravo.

    Guitou

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