« Non, vraiment, voir des rockers se mêler à la politique, c’est un peu comme surprendre ses parents en train de faire l’amour : tout le concept tombe à l’eau. » - Julien Demets

Pourquoi parler maintenant d’un livre paru en juin 2011 ? Parce que ce livre constitue une excellente idée-cadeau. Les courses de Noël, les vraies, c’est celles qu’on fait après Noël. Après avoir revendu sur un quelconque site Internet la bouillotte en noyaux de cerises offerte par la tata bobo, le gros pull en laine qui gratte « pour pas attraper froid » acheté par votre maman, la chemise avec des petites Stratocaster imprimées « parce que tu aimes bien le rock », le CD de Ben l’Oncle Soupe, etc. Donc, après avoir dûment refourgué toutes ces horreurs, vous êtes en possession d’un petit pactole, et vous allez faire vos courses de Noël. C’est le moment de vous offrir un livre préfacé par Jean-Paul Huchon, avec  John Kerry et Bruce Springsteen en couverture. Ca a drôlement plus de gueule que la bouillotte en noyaux de cerises, avouez !
Contrairement aux « beaux livres » qui paraissent à la pelle début décembre, coûtent un bras et se contentent de compiler de vieux articles qu’on a déjà lus qui causent de groupes (Rolling Stones, Led Zep, Stooges…) sur lesquels tout a déjà été écrit – bonjour les 25 ans d’insurrection ! des Inrocks – l’ouvrage de Julien Demets, Rock & Politique, a l’avantage de développer un sujet intéressant, et de le faire intelligemment. En plus, l’auteur connaît le sens du mot « insurrection » ; c’est certes de bon ton lorsque l’on écrit sur la politique, mais c’est assez rare de nos jours pour être souligné.

Tout, tout, tout, vous saurez tout sur Bob Geldof *

Partant fort logiquement du rock’n’roll des pionniers, Rock & Politique s’attaque aux multiples façons dont la musique rock a eu des rapports, consentis ou non, avec la politique. De la sexualité provocante d’Elvis qui choquait tellement l’Amérique de la Bible belt (c’est difficile à imaginer, à notre époque où les parents accompagnent leurs filles chez Noir Kennedy le samedi, mais il fut un temps où le rock était la « musique du diable ») au bracelet « Make Poverty History » de Chris Martin (l’autre couillon de Coldplay), en passant par les protest songs, Frank Zappa, Brian Eno et le Live Aid, ce livre très complet offre une réflexion fine sur le sujet.

Passons sur la préface du président (gauche caviar) du Conseil régional d’Île-de-France, qui au mieux paraphrase l’auteur, au pire profère des âneries (« On dit le rock mort et il renaît, à chaque fois plus nerveux et plus protestataire. » Ah bon, première nouvelle. Ou encore « Le discours punk est carrément anarchiste et, en Grande Bretagne, foncièrement anti monarchiste. » C’est bien, ça démontre que l’homme a lu les titres de deux singles des Sex Pistols). Cette préface rédigée par un élu a au moins le mérite de démontrer qu’effectivement, la cohabitation entre rock et politique s’avère difficile. Voire impossible.

Et pourtant.

Outre les – rares – musiciens de rock (prendre le terme « rock » au sens large) ayant réellement fait de la politique (Sonny Bono, Bono…), les cas où le rock s’est trouvé mêlé à la politique sont nombreux, variés, et pas toujours du côté gauche de la Force (voir les idées de Johnny Ramone, du type des Eagles of Death Metal, ou même de Kelley Deal – eh oui, la guitariste des Breeders vote conservateur).

Playlist électorale

On sait (ou l’on croit savoir) que le rock a joué un rôle dans la libération sexuelle, on connaît la mobilisation des rockeurs contre la guerre du Vietnam ou contre la faim dans le monde (et pour les sous dans leur portefeuille). En revanche, on sait moins que certains hommes politiques, en vue d’obtenir les voix des jeunes électeurs, se revendiquent « rock’n’roll », dévoilant leurs discothèques et bénéficiant du soutien très médiatisé de groupes tels que Fleetwood Mac (Rumours serait l’album préféré de Bill Clinton) ou Oasis (Noel Gallagher faisant l’éloge de Tony Blair aux Brit Awards… En même temps, venant de la fratrie Gallagher, on s’attend à tout). Ce que l’on sait moins, c’est que les System of a Down sont « les Charles Aznavour du metal : d’origine arménienne, les membres du groupe militent, entre autres, pour la reconnaissance du génocide arménien », ou encore que Jello Biaffra, candidat à la mairie de San Francisco en 1979, « avait glissé dans son programme (…) une loi obligeant les buisnessmen à s’habiller en clowns » (et qu’il avait terminé quatrième sur dix candidats !).

Plongée dans les tréfonds des poubelles de la musique

Entre autres facettes intéressantes des rapports entre rock et politique, on notera le logo « Parental advisory – explicit lyrics » – une idée de Tipper Gore, l’épouse d’Al Gore (et sinon, les républicains aiment le rock…).
Un important chapitre est consacré aux dessous du rock humanitaire (où l’on trouve la réponse à tout ce que l’on a toujours voulu savoir sur Bob Geldof sans jamais oser le demander) : Band Aid, Live Aid, Mick Jagger et David Bowie qui reprennent Dancing in the Street, repoussant les limites du ridicule… Le Concert for Bangladesh de George Harrison, ou encore l’immonde Chanson pour l’Ethiopie écrite à l’initiative de Renaud (qui à l’époque ne semblait plus tellement cracher dans les képis des flics qui le saluaient, et n’était manifestement plus d’humeur à se vautrer dans la caisse du chat ni à mettre de la sciure et du pastaga dans le biberon de sa gamine – c’est bien dommage)… Véritable plongée dans les tréfonds des poubelles de la musique et des bons sentiments. On regrettera seulement l’absence d’allusion à la chanson Save the Traders écrite par Bertrand Burgalat, parodie de chanson humanitaire censée venir en aide aux traders mis à mal par la crise des subprimes.

Saluons Julien Demets pour son chapitre intitulé « Labels, médias : commerce inéquitable », consacré aux moyens de distribution, de promotion (et surtout de censure) dont disposent (ou, précisément, ne disposent pas) les artistes politiquement engagés (surtout s’ils ne sont pas engagés du côté du pouvoir en place). Son analyse de l’Internet, et des sites comme Myspace qui prétendent fournir aux artistes non signés ou peu médiatisés des moyens de diffusion, vaut vraiment, vraiment le coup d’œil. Groupes autoproduits qui espérez vous faire connaître grâce à ces sites ou, pire encore, grâce aux concours censés « faire émerger de nouveaux talents » (qui en fait ne font émerger que des revenus publicitaires), prenez-en de la graine !

Gary Glitter ministre du Tourisme

Bien documenté et plein d’humour, Rock & Politique regorge de perles de grand n’importe nawak, petites anecdotes désopilantes sur ce qu’il arrive quand le rock veut frayer avec la politique, qui viennent alléger une analyse qui, sinon, aurait pu sembler fastidieuse à première vue. Mais à première vue seulement : dans ce livre qui, du reste, ne se revendique explicitement d’aucun bord politique, rien n’est didactique, rien n’est lourd. On lit ça d’une traite, comme l’un de ces romans qu’on n’arrive pas à lâcher tant on est pris par l’intrigue.

Et pour finir en beauté, Julien Demets nous livre son gouvernement idéal, qui vaut forcément son pesant de cacahuètes : Manowar au ministère de la Culture, Alice Cooper à l’Éducation, Hole au Budget, Suicidal Tendencies à l’Économie et Gary Glitter au Tourisme… Pas de doute, quand le rock épouse la politique, c’est souvent pour le pire…

Julien Demets // Rock & Politique // Autour du livre

*Non, je ne suis pas en train d’insinuer que Bob Geldof a une tête de zizi. Du tout.


SAVE THE TRADERS le clip par SaveTheTraders

4 commentaires

  1. Merci Sylvia de lire des livres que je ne lirai pas pour moi. Je pense que le rock et la politique sont en revanche plutôt compatible et c’est pas pour rien qu’Austin qui doit bien être la seule ville démocrate du Texas accueille chaque année le SXSW et compte une énorme quantité de groupes intéressants au demeurant. Après la politique des mots c’est de la merde mais celle des actes lorsqu’elle est organisée dans le cadre d’une réelle démocratie est intéressante. Le rock, enfin la musique plus globalement doit avoir son rôle n’est-ce pas?

  2. Non Matt. La musique a cela de singulier qu’elle s’adresse à tout le monde et même aux chats. Ce n’est pas parce que je vote PS que j’irai asséner ma merde idéologique et ostraciser les auditeurs de droite, la musique est plus grande que moi et ne m’appartient pas même si j’agis en canal, je n’ai pas à la plier à mon ego. Je pourrais dire en interview ce que je pense en tant que citoyen mais hors de question de prendre en otage une de « mes » chansons.

  3. OK mais un groupe comme Hot Cross ou d’autres groupes de hardcore plus anciens de la scène de Washington comme Minor Threat ou un rappeur comme Immortal Technique dans une chanson comme The Poverty of Philosophy pour ne donner que quelques exemples le font pas mal, qui peut les en blâmer? Lorsque la musique s’accorde au discours, ça donne des trucs vraiment pas mal des fois. Et puis l’attitude aussi, c’est politique, celle de mecs comme les Clash qui invitaient leurs fans dans leur hôtel et les traitaient comme leurs égals ou bien d’autres comme Gojira qui soutient Sea Sheperd…parfois c’est intéressant, d’autres fois grotesque et vain voilà tout.

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