Elégant comme une paire de chaussettes blanches rentrées dans des mocassins à pompons, le nouvel album du duo new-yorkais paraitra le 17 juillet et son nom (« Magnifique ») ne reflète pas vraiment mon interview du groupe, vraisemblablement complètement à côté de la plaque. A moins qu’il ne s’agisse de celui qui pose les questions…

Sur le podium des interviews les plus pénibles à réaliser et sur la troisième marche derrière les divas de l’Indie et les chanteurs de variété française ayant difficilement vendu plus de 10.000 disques avec l’aide de la radio d’état, il y a les groupes de musique dite électronique. N’allez pas croire que cela rende leurs albums moins intéressants que les autres, car c’est souvent l’inverse. Mais il se trouve qu’à force de servir une musique désincarnée, les duos électroniques – car ils fonctionnent souvent par deux, et comme disait mon grand-père : « un qui pisse, et deux qui la tiennent » – transforment souvent la demie heure réglementaire d’exercice promotionnel en un vaste marathon éreintant où l’intervieweur, à force de pagayer dans le silence des grandes pièces climatisées, en vient à écrire un long paragraphe d’introduction pour justifier du fait qu’il n’y a là pas beaucoup de gras sur l’os à ronger.

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C’est présentement le cas avec Ratatat, un bel exemple de rencontre dont on ne sort pas avec le dictaphone pointé vers le ciel comme si l’on venait de trouver le secret de la pierre philosophale promotionnelle – transformer une interview plombée en pépite.
Et c’est un peu con, faut dire. Car « Magnifique », sans être incroyable, est un disque épique où les meilleurs – ou les pires, tout dépend de votre position sur la ligne Maginot du bon goût – solos de Queen se retrouvent mixés à la sauce French Touch par deux grands dadais nostalgiques de Stardust. Et rien que ça, cette avalanche de tubes pyromanes joués les deux pieds en avant, ça suffit par les temps qui court pour faire tomber de sa chaise le journaliste musical lassé par trop de disques de producteurs (Miike Snow, The Shoes…) juste bons à faire danser trois tétraplégiques dans une pataugeoire.

A la décharge de Mike Stroud et Evan Mast, les deux Playmobil au look de graphistes sortis d’un épisode de Friends, ils sont arrivés le matin même de New York, complètement jet-largués. Last but not least, je suis le premier client de cette journée qui s’éveille sur leurs stores oculaires à demi ouverts. Et comme la distance qui sépare la belle maison maitre du label Because de mon propre bureau est inférieure à trois stations de métro, je n’ai hélas pas eu le temps nécessaire de préparer mon interview autrement qu’avec une modeste notule Wikipedia et un lien d’écoute périmé. Un groupe qui n’a rien à dire Vs un mec qui n’a pas de question à poser, le match peut commencer.

Salut Mike (le guitariste) et Evan (le producteur). On va commencer avec une question con mais il vous a fallu presque 5 ans pour accoucher de « Magnifique ». C’est quoi l’histoire du disque ?

Evan : On a préféré prendre le temps nécessaire. Après « LP4 » (2010) on a beaucoup tourné et on a jugé qu’après 10 ans sur la route il était temps de se poser un peu.

Mike : On est toujours extrêmement critiques avec nos propres productions, à chaque fois on produit énormément de sons qui finissent à la poubelle. Et c’est ce qui s’est passé pour « Magnifique », on est reparti plusieurs fois de zéro. On avait juste une vague idée de l’objectif, à savoir un album avec pas mal de guitares, certains jours en studio ça fonctionnait, parfois pas. C’était très frustrant.

Ouais bon, en tout cas on est bien d’accord que ça n’a pas été quatre années d’enregistrement intensif.

Mike : On a fait pas mal de pauses oui.

Evan : Majoritairement des pauses même, ah ah ah.

De nos jours, c’est un luxe de prendre le temps pour un musicien ?

Evan : Oui évidemment. En même temps, personne pourra nous forcer à sortir un disque foireux.

Je vous demande ça parce que je me demandais si vous n’aviez pas eu besoin de souffler après les années 2000. Peu de groupes, et qui plus est new-yorkais, ont réussi à passer dignement le changement de décennie. Regardez LCD Soundsystem, ou les Strokes.

Mike [après un loooooooooong silence] : Je sais pas. D’une certaine façon ce nouvel album ressemble vachement à notre premier (« Ratatat », 2004), c’est un retour aux sources.

Je sais pas qui c’est Michael Oldfield.

Vous l’avez bossé comment celui là d’ailleurs ? Le traitement des guitares par exemple, est assez surprenant en comparaison de ce qu’on entend aujourd’hui dans l’Indie rock.

Evan : (déjà à court de réponse alors on n’est qu’à 4 minutes d’entretien) : Oui, surement. Ca vient certainement de la technique d’accordage.

Mike : Moi je crois que nos guitares ont jamais sonné de manière aussi naturelle. Mais bon on reste obsédés par les pédales en studio, y’a rien de pire qu’un son déjà entendu mille fois.

Evan : Attend putain, je vais me servir un café. On est complètement naze, on arrive à l’instant de l’aéroport et on n’a pas fermé l’œil depuis le départ de New York.

Bon ben revenons à « Magnifique ». Rien que le titre, c’est un changement par rapport aux disques précédents. Vous vouliez vraiment prendre le temps pour sortir un truc hors-norme ?

Mike : On est surtout des putains de perfectionnistes. Et on voulait que les chansons puissent résister au temps, qu’elles ne se démodent pas trop rapidement.

Ca vous dérange qu’on – enfin surtout je – puisse trouver ce disque cheesy ?

Les deux : AH AH AH AH

[Silence de mort dans la pièce. Ma traversée à la nage débute ici].

Nan mais je veux dire : la production outrancière, ces chansons guitare en avant, un peu pompières, c’était volontaire ?

Mike : Par « cheesy », tu entends quoi précisément ? Sentimental ?

Euh… ouais ! Encore une fois si l’on se réfère aux groupes du moment, il y a une envie de bon goût, le souhait de plaire à tout le monde par le consensus de la bien pensanse, qu’on n’entend pas sur « Magnifique ». Par exemple sur votre premier single Chrome on Cream, il y a un clin d’œil vicieux à Michael Oldfield, pas le mec le plus spotté du moment faut bien l’avouer…

Mike : Ouais désolé vieux mais chez nous le mot « cheesy » a plutôt une connotation négative. Pour nous la musique n’a jamais été une posture ironique.

Evan : Et je sais pas qui c’est ce Michael Oldfield.

Mike [il s’adresse à Evan] : Tu connais pas « Tubular Bells » ? Tu devrais écouter, c’est assez brian-eno-esque dans le genre. Un peu comme Robert Fripp.

Evan : Ah, okay.

On s’en fout que le public veuille des chanteurs.

Bon, choux blanc sur Oldfield donc. C’était qui ou quoi votre influence majeure pour ce disque ? On peut pas dire que la musique instrumentale soit vraiment à la mode non plus ; le public veut des chanteurs.

Mike [un peu dépité] : Ouais, ils veulent des chanteurs.

Mais vous vous en foutez.

Evan : Oui, on s’en cogne. Bon, faut quand même dire qu’on est obsédé par Brian May, le guitariste de Queen.

C’est pas trop galère de trouver un titre à des morceaux à 99% instrumentaux ?

Evan : Ca part souvent de blagues foireuses que seuls moi et Mike pouvons comprendre. La dernière fois qu’on est passé par Paris, une journaliste nous a fait tout un pataquès sur un lien supposé entre un morceau et une musique originale de film, ça n’avait évidemment rien à voir.

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Au moins avec la pochette de « Magnifique », il y a une référence évidente au « Revolver » des Beatles, ce sera dur de dire le contraire.

Evan : Quel disque ?

Euh, « Revolver des Beatles ».

Evan : Ah ouais, non. Aucun lien.

Mike : Les gens arrêtent pas de nous le dire. Bon à force, je comprends pourquoi. On aime bien les Beatles, mais ça n’a rien à voir. Quand on enregistrait « Magnifique » il y avait cette pièce atroce dans la baraque et on a simplement décidé de recouvrir les murs avec des photos découpées, d’où la technique de collage qu’on retrouve sur la pochette.

Tout semble désespérément simple quand on vous parle. Pas de références aux Beatles, ni à Michael Oldfield, juste deux gars qui passent 4 ans à faire un disque bien, c’est exact ?

Mike : C’est à peu près ça, ah ah ah !

Putain les gars vous me facilitez pas la tâche là, les lecteurs ont besoin d’une histoire ! Pas de putes, pas de drogues ?

Mike : Nan beaucoup pas de drogues… Et l’autre là, il est marié.

Evan : Ouais, désolé.

Okay, bon ben… [Je commence à me lever]

Evan : C’est marrant tout le monde croit qu’on est de gros fumeurs d’herbe.

Ah oui c’est drôle. En tout cas c’est pas facile de parler d’un disque instrumental, y’a pas de paroles à disséquer. On peut toujours se faire une interview technique mais ça n’intéressera pas grand monde.

Mike : Moi ça m’intéresse.

Bon ben techniquement alors, il est né comment ce « Magnifique » ?

Evan : Comment il est quoi ?

Mike : Un peu comme les autres en fait. On va au studio, on débute par la mélodie et tout ce qui vient ensuite est une réaction à ça, jusqu’à ce qu’on trouve le bon point d’équilibre.

Evan : On compose à peu près tout ensemble, en même temps, dans la même pièce. Y’a personne d’autre que nous deux. On aime bien empiler les couches, comme un mille-feuilles, et je dois bien avouer qu’on est toujours tenté d’en rajouter.

Okay, bon ben… [Je recommence à me lever, encore raté]

Evan : Désolé hein, on n’est pas un putain groupe qui fait du heavy metal, ah ah ah ! On est plutôt des mecs simples.

Mike : Notre truc c’est de bosser toute la journée sur nos morceaux, faire une bonne bouffe le soir.

Evan : Une bonne bouffe, beaucoup de bières et…

… Beaucoup de couches de guitare. Okay bon ben… (cette fois c’est la bonne). Merci les mecs. Le disque est super.

 

Ratatat // Magnifique // XL (Because)
http://www.ratatatmusic.com/

En concert à la Route du Rock le vendredi 14 aout.

3 commentaires

  1. Pour donner une idée de mon humeur au sortir de la lecture de cette itw, je n’ai qu’à citer Mike :  » AH AH AH ». Une honnêteté bienvenue doublée d’une auto-dérision de compétition, qui font l’effet d’une immense bouffée d’air pur dans cet océan de sucage de bite et de médiocrité qu’est la presse musicale française aujourd’hui. La boite de Xanax attendra.

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