Certains jours, le grand écart s’avère particulièrement casse-gueule et tire dur sur les ligaments du critique.

Comment rencontrer l’un des plus grands songwriters qui soit et trouver autre chose à lui dire que « j’admire vos morceaux », avec un air un peu niais ? Que demander à un homme qui a fait le Londres des années 60 alors que l’on vient de la province française des années 70-80, avec une bouille banale made in 2010 ? Et puis quelles questions poser à Ray Davies alors que les bonnes interviews de fans ont fleuri dans la presse quelques semaines auparavant (Uncut, Technikart…) ? Enfin, que peut-on bien dire à un musicien admiré quand on n’a pas pu supporter plus de deux minutes de son dernier album ? Lui proposer de le refaire, tout simplement.

Il est tard, vous avez reçu une dizaine de journalistes, notre journée n’a pas été beaucoup plus exaltante. Nous vous proposons donc d’imaginer See my friends volume 2, la suite de l’album de duos que vous venez de sortir. Nous vous donnons un titre de chanson, vous nous dites avec qui vous souhaitez l’interpréter. A la fin de l’interview, on signe le contrat et on attend les millions. Cela vous tente ?

Ca me va.

Commençons par Muswell Hillbillies…

The Charlatans seraient parfaits, je pense.

Nous avions pensé à Pete Townshend pour ce morceau.

Ah, pas mal. Pete m’a envoyé un mail : « pourquoi ne suis-je pas sur ton disque ?! » Il était en voyage, je voulais également avoir Roger Daltrey, cela devenait compliqué. Avec Pete, je me vois bien jouer I need you, à cause des « power chords », dans l’esprit de Can’t explain des Who. Ce serait bien de rejouer ce genre de choses ensemble.

This man he wheeps tonight, un morceau de votre frère Dave…

Bob Dylan, sans hésiter. Vous imaginez cette mélodie avec la voix de Dylan ? Vous savez, Dylan a écrit tellement de grands morceaux que l’on oublie souvent qu’il est aussi un interprète fabuleux, un grand chanteur. J’ai partagé l’affiche d’un festival avec lui cet été et il m’a sidéré. Quel concert, quelle voix…

Vous avez écrit énormément de morceaux ; est-ce toujours aussi facile aujourd’hui ? Comment peut-on se renouveler dans la pop, avec les mêmes accords, dans le même cadre de base « guitare-basse-batterie » ?

C’est étrange, vous savez. En reprenant Long way from home avec Lucinda Williams, pour ce disque, j’ai réalisé qu’il n’y avait que trois accords, je ne m’en souvenais pas du tout. Et ces trois accords m’ont emmené vers d’autres idées de chansons. Parfois, la simplicité peut aider, vous ne vous perdez pas dans les détails, comme lorsque vous utilisez dix accords et que la mélodie s’impose, évidente…

C’est un peu le problème d’Elvis Costello, parfois : trop d’accords, trois morceaux dans un seul…

Détrompez-vous. Elvis a enregistré une de mes chansons, Days, pour un film de Wim Wenders. Et il a retiré des accords pour n’en garder qu’un ou deux. Vous voyez, il sait simplifier les choses quand il le faut.

Prochaine chanson, So long.

Oh, a folk song… (Il chantonne). Damon Albarn. Ne me demandez pas pourquoi. Sans doute parce qu’il sait chanter avec un cynisme très londonien dans la voix, à la fois plaintif et énergique. Ca collerait bien. C’était quoi votre idée ?

Well… Dolly Parton.

Great ! On garde, c’est parfait. Je me vois bien en studio avec Miss Parton.

Ensuite, un morceau… pfff… tellement… phénoménal : Strangers.

Ah, tout de suite, j’entends Robbie Robertson et The Band. Ce rythme serait parfait pour eux. Ils en feraient une complainte country. Levon Helm est tellement fantastique. Avec qui vouliez-vous me coller ?

Morrissey.

Lovely idea. The Smiths étaient réellement révolutionnaires, avec d’excellentes paroles. Morrissey en solo fait de très bonnes choses mais peut-être est-il trop dans son monde. Ce n’est pas tout à fait pareil. Je vais garder The Band pour celle-là.

Et pour Where have all the good times gone ?

Paul Weller. Son énergie, son agressivité, ce serait parfait, non ?

Oui, et il partage avec vous une certaine nostalgie qui collerait bien avec le texte de ce morceau.

Oui, et sa voix soul, c’est un bon chanteur de soul. Je l’avais rencontré à un festival dans les années 70, il portait un badge « Who the fuck is David Watts ? » (NDR : les Jam ont repris David Watts des Kinks sur leur chef-d’œuvre All mod cons). Il m’a dit : « j’aime ce morceau, j’adore le chanter mais je ne sais absolument pas de quoi il parle. »

Oui, d’ailleurs, who the fuck is David Watts ?

C’était un organisateur de concerts qui était amoureux de mon frère Dave. J’ai essayé de les mettre ensemble d’ailleurs, mais en vain.

Nous voulions vous proposer Amy Winehouse pour ce titre.

Ah oui ! J’ai une chanson pour elle, toute prête. J’adorerais enregistrer avec elle. Elle est tellement spectaculaire. C’est LA grande artiste apparue ces dix dernières années à mon avis. Une grande chanteuse, c’est irremplaçable.

Illustration par Magdalena Lamri

Ensuite, Plastic Man…

J’adore cette chanson, l’une de mes meilleures. Je ne peux pas imaginer quelqu’un la chanter, je ne vais pas la donner comme ça (rires puis il chantonne la mélodie). Puis-je téléphoner à un ami ? Je suis vraiment bloqué…  Lady Gaga peut-être ?

Ok, imbattable. Prochain morceau, Alcohol.

Pete Doherty.

C’était notre choix, avec comme alternative Britney Spears.

Pas mal. Mais Pete conviendrait bien. A good pal, really. J’ai joué avec lui parfois, à la même affiche. C’était l’époque Kate Moss, ce qui n’est jamais désagréable en backstage. Avec les Babyshambles, j’ai fait une version de You really got me pour une association humanitaire. Pete jouait vraiment bien. Il m’a offert un drapeau Union Jack en cadeau. Mais il a fait une dépression quelques temps plus tard… C’est difficile pour lui.

Pour I go to sleep, nous avions prévu un duo avec Bryan Ferry.

Parfait, surtout que Bryan est déjà « endormi » à sa façon, si cool. Il serait superbe sur Plastic man d’ailleurs, ça y est, nous tenons le duo pour ce titre.

J’ai souvent pensé que les Kinks étaient une influence importante pour le glam-rock. C’est moins évident que le Velvet Underground ou d’autres, mais vous aviez le même sens de la sophistication, de la mélodie, une élégance un peu « précieuse »…

Oui, il y avait une parenté, une dimension très anglaise. J’ai adoré Roxy Music quand ils sont arrivés. Virginia Plain était fantastique. Après, ils se sont enfermés dans une musique un peu… codée. Mais Bryan Ferry est unique.

Pour Don’t ever change, nous voulions vous proposer Dr John.

Je ne me souviens même plus de cette chanson (rires) alors comment choisir ? Quelle drôle d’idée, Dr John…

C’était surtout pour vous parler de La Nouvelle-Orléans. C’est l’une des villes les plus fascinantes des Etats-Unis et vous y avez vécu.

Oui. J’ai d’ailleurs rencontré Dr John et je lui ai demandé s’il y vivait toujours et dans quel quartier. Il m’a répondu : « tu es dingue ! Je suis à New-York. A New-Orleans, je serais déjà mort. » Ce que j’ai pu vaguement vérifier d’ailleurs puisque je me suis fait tirer dessus là-bas. Mais New-Orleans, c’est comme Paris pour moi. A spiritual town…
Evidemment la ville est très pauvre. 60 % de la population est noire, 50 % au chômage, ce qui donne une ville très dure, très torturée. Mais je n’ai pas choisi New-Orleans, j’en suis tout simplement tombé amoureux. La scène musicale est si variée mais sans les cases et les séparations habituelles entre les genres. Les groupes alternatifs sont influencés par le jazz ou la fantastique musique cajun. Aucune ville n’est aussi musicale. Vous savez, j’ai failli découvrir les White Stripes là-bas. Je leur ai dit : « il vous faut un contrat, vous êtes bons. Il vous manque simplement un bassiste. » J’ai peut-être manqué de flair sur ce coup (rires). Le plus intéressant c’est que les ai vus dans un jazz club, ce qui donnait une ambiance vraiment particulière. Dans quelle autre ville pouvez-vous voir les White Stripes dans un club de jazz ?

Prochain morceau de See my Friends Vol.2, 20th century man.

Pourquoi pas Kings of Leon… Vous pensiez à qui ?

Ian Hunter, le fabuleux lead singer de Mott the Hoople.

Vendu ! Vous connaissez son disque You’re never alone with a schizophrenic ? Superbe. Nous avons tourné avec lui pour cet album. J’adore le morceau Cleveland rocks. Oui ce serait une bonne idée, deux vétérans… Les jeunes nous regarderaient avec de grands yeux, un peu étonnés, un peu apeurés.

Dans les années 60, vous avez connu et travaillé avec un grand producteur, un homme fascinant : Shel Talmy, un faiseur de tube. Quel souvenir en gardez-vous ?

Il était assez étonnant, en effet. Américain installé à Londres, il voulait s’imposer comme le Spector des groupes anglais. Il travaillait vite, était très efficace. C’était parfait pour les sixties, il s’agissait d’enregistrer vite, de ne pas se laisser dépasser par la concurrence. Mais c’était l’homme d’un son, d’une méthode. Un jour, nous étions en train d’enregistrer Dead end street et ça ne collait pas, je n’étais pas content avec le résultat. Il m’a dit : « tu l’as trop écouté, on s’en va et demain tu la trouveras très réussie. » Il est parti et nous nous sommes mis à enregistrer une version différente, qui me paraissait beaucoup mieux. Le lendemain, Shel Talmy est arrivé, nous avons écouté la nouvelle version et il m’a lancé : « tu vois, il suffisait de laisser reposer. Aujourd’hui, tu la trouves bien ». Il n’avait pas remarqué – ou ne voulait pas – les changements.

Dernier morceau, I’m not like everybody else ?

Soyons fin sur ce coup. Le titre est si ironique, il faut justement choisir quelqu’un qui est comme tout le monde… Robbie Williams. Ce n’est pas si simple de ne pas être « comme les autres », il faut être prêt à en payer le prix. Qui aviez-vous choisi pour le duo ?

Boy George.

Oui… lui, il connaît sans doute le prix.

Ray Davis // See my friends // AZ (Universal)
http://www.raydavies.info

Propos recueillis par Syd Charlus et Lidell.
Illustration: Magdalena Lamri

22 commentaires

  1. Encore moi,
    ca me fait kiffer qu’une legende (pour beaucoup, j en fais partie) comme le Ray tape le boeuf avec ce que beaucoup considerent comme des tocards (pas moi) comme Bon Jovi. Cela remet en cause l’etat mental de la legende, ou bien non, c est pas possible mais si la legende n’est pas aussi puriste que nous??? elle ecoute de la daube alors qu elle ecrit des merveilles?? ou elle veut une nouvelle piscine et a besoin d’argent de poche???
    Allons plus loin, le beurre de Johnny Rotten; les assurance de Iggy, nos idoles vieillissent mal???
    Un bon rocker est un rocker mort? ahahah que de betises, de la branlette mais que moi aussi je devore dans des bouquins bien ecrits, sauf que ca reste des mecs qui deconnent. Peu sont ceux qui pousseront leur ideaux eternels jusqu’au bout de leur vie et sans mourrir trop trop jeune, hmmm.. Oscar Wilde maybe?

  2. ça prouve surtout que le mec à complètement perdu le sens des valeurs, ce qui est certainement la pire chose qui soit
    mais bon déjà fin des seventies …

  3. (Ps – « Celluloid Heroes » et « Lola » sont atroces, Dead end street est pas si mal jusqu’à ce qu’il apparaisse… Cela dit, « Till the end of the day » me paraît tout à fait honorable. Quant à « Better things », il pourrait parfaitement figurer sur le dernier Springsteen (ah tiens, c’est pas très sympa, ça)

  4. Une interview vraiment (désolé du terme) cool. Je m’attendais à un papelard rentre-dedans, mais je suis positivement surpris de ton approche, que je trouve vraiment ludique. Elle permet d’appréhender les goûts et la culture musicale de Ray Davies (sur lesquels chacun se fera son opinion, dont on a le droit de n’en avoir rien à foutre). Et puis, comme tu le dis dans ton début d’article, est-ce que ça rime vraiment à quoi que ce soit de rentrer dans le lard d’un client pareil? Il a amplement payé le droit de se vautrer, s’il le veut bien.

  5. pas d’accord avec Blast it!
    fallait lui dire que tu aimes pas son dernier album, meme ceux d’avant surement, que tu ne comprends pas la demarche toute commerciale. Ce mec a fait le rock il y a longtemps ca n empeche que son travail aujourd hui ne te plait pas, bam bam tu lui dis, bam bam comme Lou/Lester, ca rentre dans l’histoire…

  6. Merci Peikaji. Je suis partagé. C’est l’éternel débat avec les Poilus du rock… Personnellement je ne pense pas que ça présente beaucoup d’intérêt de bastonner un Ray Davies en 2010. Lou Reed avec Lester Bangs? On n’est pas du tout dans le même contexte, désolé. Lou Reed était loin d’être obsolète à ce moment-là. Davies, lui, est carrément dépassé aujourd’hui. Secouer le quidam pour obtenir un dernier sursaut créatif? Ca me paraît un peu vain. Et puis je ne sache pas que le Ray Davies d’aujourd’hui se comporte comme la grosse raclure qu’était Lou Reed dans les années 70. C’était aussi le propos de Lester Bangs de montrer la rock star sous son jour le plus ridicule. Attention, je ne défends pas le concept de l’album qui me semble assez nullos, mais enfin il y a agressivité et agressivité gratuite.

  7. Mais moi aussi d’accord avec blast it!
    demolir gratos, tu peux le faire si tu interview lady gaga, la je parlais plus de rentrer dedans mais de maniere constructive. J’aime bien cette interview, dont get me wrong, mais la posture idolatre que certains peuvent prendre avec les legendes du passe, je trouve ca inutile et ca renforce son nombrilisme parfois.Qui va dire aux Stones d’arreter de sortir de la musique nouvelle et de se contenter de tourner et nous faire un best of qui s arrete a exile

  8. La question qui m’assaille suite à votre message :

    peut-on « rentrer dedans » Lady Gaga « de manière constructive » (je vous cite) ?

    signé : un ohm (rebattu)

  9. Pour revenir au début du débat, tout ça me rappelle une phrase que m’a un jour prononcé Patrick Eudeline en me regardant hors des yeux de ses yeux aveugles : « D’toute façon c’est plus l’époque qui fait les hommes que les hommes qui font l’époque. » Comprenne qui pourra !

    Sylvain
    http://www.parlhot.com

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