« La programmation du festival Sonic Protest, c'est une gigantesque botte de foin dans laquelle toutes les aiguilles sont bonnes à trouver ». Bien que le festival parisien touche bientôt à sa fin, on a pris rendez-vous avec son programmateur historique, Arnaud Rivière, qui s’est piqué au jeu des questions-réponses.

Vous gérez un festival assez atypique, qu’est-ce qui le caractérise?

C’est un festival pour susciter la curiosité, qui tourne surtout autour du sonore plutôt que du musical. Dans l’organisation, on retrouve des concerts mais aussi des ateliers, des rencontres, des échanges… Depuis quelques années on a également réussi à incorporer une exposition, qui constitue l’un des axes principaux du festival. Ce qui caractérise aussi le festival, c’est peut-être aussi le choix qu’on a fait d’être nomades. En fait, on produit plus ou moins deux festivals à la fois : Sonic Protest en région parisienne et Sonic Protest Ailleurs, pour le reste de la France et l’Europe. On s’invente mini-tourneurs, en faisant venir des artistes de loin pour les mettre sur la route, histoire de ne pas garder une forme d’exclusivité parisienne.

Arnaud Rivière

Pourquoi ne pas se contenter de faire comme les autres et rester sur Paris ?

C’est une histoire d’échelle. A la base, on est juste une bande de passionnés de curiosités musicales qui pensaient monter un festival de musiques expérimentales. Puis on s’est rendu compte que c’était un grand fourre-tout. Nous ce qui nous intéressait, c’était de montrer des artistes qui ne sonnaient pas comme les autres, qui avaient un discours très fort et propre à eux-mêmes. On n’est pas là pour promouvoir un mouvement musical, mais plutôt des personnalités, des artistes uniques. En faisant cette addition là, on avait cette envie avec Franq de Quengo et Benoît Sonette de créer un objet qui nous ressemble. Et puisqu’on avait remarqué que les mélanges musicaux ne se faisaient pas en soirée, on a créé cette manifestation qui ne ressemble en rien aux autres. Ça ne veut pas dire que c’est mieux ou moins bien, mais que Sonic Protest va là où les autres ne vont pas. Le postulat de départ c’était de faire péter les barrières entre les scènes. Et puisque le terme de musique expérimentale est rédhibitoire, il a fallu bannir l’idée d’un public spécialisé, qui nous emmerdait.

Donc, le but de Sonic Protest, c’est de faire écouter ou aimer la musique différemment ?

Aimer je ne suis pas certain… Mais au moins que le public puisse y être confronté. Pour nous, les formes que l’on propose sont des formes qui nous excitent. On pense qu’elles sont des bijoux précieux et qu’il n’y a pas de raison que nous soyons les seuls à les examiner, en les gardant pour nous. L’œuvre artistique est pour toutes et tous. Le boulot de Sonic Protest c’est de l’offrir à un maximum de personnes, pour qu’ils se fassent leur propre avis. A chacun de voir si ça leur plaît ou pas.

« Plutôt que de parler de déficience, nous on a envie de parler de capacités ».

Il y a des critères de sélection pour la programmation?

C’est là que ça devient particulier. On s’interdit les programmations thématiques à l’année. On ne veut pas non plus jouer la carte du producteur en réunissant deux artistes qui selon nous auraient dû avoir l’idée de collaborer ensemble. Pendant les dix premières éditions, on a aussi strictement limité la redondance des programmations; on a vu trop de festivals qui avaient un gang qui revenait d’années en années, pour nous c’était le contre-exemple de la démarche à suivre. Avec le temps, on a des listes qui grossissent sans cesse, de choses qu’on aurait envie de montrer. Parfois on y arrive en quelques mois, parfois ça prend des années. On compose aussi en fonction des lieux, puisqu’on a la chance de ne pas se cantonner aux simples salles de concerts. C’est totalement différent d’assister à une prestation dans un appartement ou au fin fond d’une cave. On explore des emplacements atypiques, comme l’église Saint-Merri, dont l’acoustique retranscrit bien la couleur du festival.

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Mais du coup, vous protestez contre quoi ?

J’ai l’habitude de répondre qu’on ne proteste pas contre quelque chose, mais pour quelque chose. Derrière tout ça, il y a un entrain positif, relativement joyeux et rigolard. Tout part de l’exposition « Sonic Process » qui avait lieu au musée Pompidou. C’était intéressant qu’une aussi grosse institution traite de l’art sonore, mais de notre point de vue, l’expo était décevante. Quand on a choisi de monter le festival, c’était une forme de pied de nez. Un truc très planqué qu’à l’époque on avait baptisé « le festival des musiques noïses, drones et drôles ». C’était la première baseline. Maintenant le festival a plutôt évolué pour montrer quelque chose de l’ordre de la polyphonie.

Dans cette édition, le festival se tourne à nouveau vers les pratiques brutes de la musique. Qu’est-ce que ça signifie pour vous ?

C’est cet art qui est censé se faire sans référence à l’environnement culturel; l’idée de faire de l’art sans réellement savoir qu’on en fait. Les rencontres qu’on organise pendant le festival découlent directement des ateliers que l’on anime autour de cette thématique depuis 2012. Dès le départ, on a travaillé dans les lycées ou avec des étudiants en art, mais aussi avec des jeunes autistes de l’Hôpital de Jour d’Antony. Avec eux, on fait des expériences autour de la musique libre et de l’approche personnelle qui y est rattachée. En plus de permettre à ces personnes autistes de monter leur propre groupe (Les Harry’s ), ces ateliers leur ont donné l’occasion d’enregistrer un disque et de partir en tournée. Assurer ce suivi, c’est l’occasion de rencontrer des initiatives similaires. Du coup il nous a paru indispensable de créer un endroit où tout le monde pourrait se parler. La nouvelle édition de Sonic Protest assure aussi ce rôle, en permettant de se réunir dans une même pièce pour faire le point en se posant les bonnes questions. Plutôt que de parler de déficience, nous on a envie de parler de capacités, de quelque chose qui pourrait échapper à d’autres.

Comment on s’y prend pour organiser un festival aussi conséquent ?

On a visité beaucoup d’endroits et tenté pas mal de partenariats avant de trouver les bons. Avec du recul on travaille simplement à l’évidence : nos partenaires ont tous des préoccupations communes aux nôtres. On a une façon de concevoir l’économie de la musique de la même manière, avec les mêmes enjeux et les mêmes problématiques. Forcément, en tant que petite association semi-bénévole, on n’a pas les mêmes soucis économiques que les grosses institutions, on ne parle pas le même langage. On essaie d’éviter ce genre de problématiques, en trouvant des gens qui nous comprennent facilement. Et puis même si c’est beaucoup de travail, j’ai l’impression que c’est quand même plus facile d’être nomade et de se balader de lieux en lieux.

C’est l’une des raisons pour lesquelles vous êtes installés dans la banlieue parisienne ?

Le festival est littéralement né en banlieue. C’est pas le point Godwin du handicap, mais c’est comme si on réfléchissait en se disant : « il y a des handicapés et des pas handicapés ; il y a une banlieue et pas de banlieue ». En fait, ce qui est intra-muros c’est la gentrification et la réduction des poches de liberté. Ce n’est pas pour rien que les Instants Chavirés ont été créés dans les années 90 à Montreuil et qu’il y a plein d’initiatives qui se font de l’autre côté du périph’. Sauf que pour l’instant on ne peut pas voyager de manière assez souple entre ces choses-là. On n’est pas encore dans une ville semblable à Londres ou Berlin où l’on peut jouer dans trois endroits différents sans avoir à se heurter à une dépréciation, comme c’est le cas à Paris et sa banlieue.

« On n’est pas au Festival de Bourges à vouloir proposer l’artiste de demain et de l’année prochaine, on est là pour pousser celui qui a été sous-exposé et dont on n’avait pas saisi l’essence du travail  »   

Pas trop dur attirer les gens quand on peut rapidement être catalogué comme un festival « de niche »?

On déploie une grande énergie pour essayer de ne pas être perçu comme tel. Mais il faut bien dire que la spécificité de notre programmation ne nous aide pas beaucoup de ce point de vue-là…. D’un autre côté, on voit quand même que l’édition de l’année dernière, qui est la plus grosse jamais réalisée, a réuni plus de 10 000 personnes au total. C’est un chiffre complètement fou qui dépasse totalement notre échelle personnelle. Le mot semble être passé que chez Sonic Protest, c’est l’occasion de venir se faire surprendre. Par exemple, pour fêter les 10 ans on avait invité Brigitte Fontaine & Areski Belkacem à jouer dans l’église de Saint-Merri. Dans la même soirée il y avait aussi Jéricho et Mammane Sani qui évoluent dans des registres totalement différents. Evidemment beaucoup de ceux qui ne connaissaient pas le festival étaient venus voir Brigitte & Areski. C’est le principe de la curiosité : de se dire que si l’on ne connaît qu’un seul nom de la programmation, on pourra peut-être prendre goût pour l’inconnu et découvrir des choses. On n’est pas au Festival de Bourges, à vouloir proposer l’artiste de demain et de l’année prochaine, on est là pour pousser celui qui a été sous-exposé et dont on n’avait pas saisi l’essence du travail.   

Vous avez des perspectives d’évolution pour le festival?

Les choses se font pas après pas. Il y a 14 ans, on n’avait pas visé d’être là où on en est aujourd’hui. Souvent la reconduction du festival n’était pas évidente. Parfois à cause de nos vies ou simplement pour se permettre une petite pause et se redonner envie, se rappeler pourquoi on fait ça. Sonic Protest, c’est une histoire qui se déroule en improvisation, on n’écrit pas l’avenir du festival, on le vit. Pour l’instant on n’a toujours pas réussi à le pérenniser à coup sûr, donc on passe un temps fou à aller gratter des sous à droite à gauche. Le festival est autofinancé à 65%, ce qui est un non-sens total. Puisqu’on compte beaucoup sur le nombre de participants, on fait attention à ce que les tarifs soient accessibles. Déjà on essaie de tenir ces paris d’année en année, sans avoir un grand objectif de conquête de la planète ou de la région.

Dépêchez-vous, il reste plus que deux jours pour profiter du festival.
Toute la programmation est à découvrir ici : http://www.sonicprotest.com/

 

7 commentaires

  1. dixit baleapopNine st j de louze les festi (sic!) ne connaissant aucun groupe et n’y trouvant aucun interêt…Blah, blah, blah;;;; f$$k f££k £$sheitan branleurs!

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