Peu d'auteurs ont vécu la contradiciton comme Philip K. Dick : auteur de science-fiction archi-culte aux intuitions visionnaires, capable de jouer sur les niveaux de réalités pour susciter une paranoïa inédite, et dont l'oeuvre influence souterrainement toute l'esthétique contemporaine, le natif de Chicago devenu inséparable du San Francisco mythique a pourtant toujours professé une religiosité dévote. A la fin de sa vie, il réconcilia ces deux tendances dans une œuvre étrange, aux accents pop et sacrés, trois romans connus aujourd'hui sous le nom de « Trilogie divine ». Pacôme Thiellement, éxégète des cultures populaires, en dévoile toute la beauté, et même un peu plus.

220px-Philip_k_dick_drawingPhilip K. Dick est une figure phare de la contre-culture, c’est entendu. Et si sa carrière littéraire s’était arrêtée à Substance mort (1977), nous en garderions l’image qui prévalut longtemps dans les milieux de la science-fiction des années 60 et 70, celle d’un auteur génialement paranoïaque, drogué jusqu’à l’os, sentant comme personne les tendances intellectuelles du vingtième siècle, et évoluant dans les sixties psychédéliques comme un poisson dans l’eau. Dick était l’écrivain que Timothy Leary et John Lennon appelaient en pleine nuit pour lui dire combien Le Dieu venu du centaure était formidable. Quand la science-fiction était une culture underground parallèle au rock, Dick était un demi-dieu adulé pour ses univers emboîtés et ses réalités parallèles – tous motifs qui parlaient la langue des amateurs de LSD. Maintenant qu’il est l’écrivain de genre le plus adapté au cinéma après Stephen King, et qu’il peut revendiquer la paternité des films les plus symboliques des 90’s (Matrix, Existenz, Truman Show), il apparaît comme un pape de la cyberculture aux côtés de Bateson, Wiener, McLuhan, Leary, ou Gibson. Et pourtant…

Et pourtant, Philip K. Dick était un chrétien, tendance bigot. Sa conférence à Metz en 1977 est restée célèbre pour avoir révélé à un parterre de fans ébahis ses croyances véritables, loin de l’image qui semblait parvenir de ce témoin du Summer of love. De fait, Dick n’avait pris du LSD qu’une seule fois et l’expérience s’était révélée désastreuse (« Mes enfants, j’ai été en enfer et j’ai mis deux mille ans à en sortir, en rampant », déclara-t-il le lendemain). Son vrai truc, c’était le Christ, l’amour du Christ, et la vie aux temps apostoliques. En 1974 d’ailleurs, il avait une certitude : nous vivions toujours dans les premiers temps du christianisme, et l’univers visible était entièrement faux, émanant d’un démiurge malfaisant qui assurait la permanence de l’Empire romain et dont le représentant terrestre était Richard Nixon. Une personne du nom de « Thomas », mise en sommeil pendant presque deux mille ans, s’était réveillée à l’intérieur de Dick et s’adressait à lui en grec koiné. L’Esprit emprisonné tout ce temps se répandait à nouveau sur le monde depuis la découverte de la bibliothèque de Nag-Hammadi, et la mission de Dick consistait à répandre cette incroyable nouvelle. Que les choses soient claires : il n’y avait absolument aucun second degré dans son discours. Manifestement, il y croyait dur comme fer.

Évidemment, ce jour-là à Metz, tout le monde est tombé de haut. Devant une assemblée de babas-cool tendance Hara-Kiri et Métal Hurlant, athées et anti-cléricaux comme seuls les Français savent l’être, Dick raconta son expérience et ses convictions nouvelles en pensant convertir l’assistance et ré-orienter l’époque : four monumental. Comme l’écrit Emmanuel Carrère, « les conventionnels de Metz pensaient voir débarquer de l’avion une loque ricanante, hébétée par la drogue, et connurent la déception des chroniqueurs de rock qui entendent leurs déjantés favoris faire l’éloge, bouteille d’eau minérale en main, de la vie de famille et de la pensée positive ». Philip K. Dick était croyant, et ses théories folles sur la nature du réel étaient à relire à l’aune de cette vérité. C’était gênant, et l’on préféra sans doute croire à une ruse ou un caprice, en tous cas quelque chose de passager, mais ce diable de Dick ne s’arrêta pas là.

Il persista, et signa trois romans au statut très particulier dans sa bibliographie, que l’on regroupe aujourd’hui sous le nom (un peu abusif) de « Trilogie Divine » et dont une édition complète révisée paraît ces jours-ci chez Denoël : Siva, L’Invasion divine, La Transmigration de Timothy Archer. Trois livres proprement habités, à l’intrigue extrêmement ténue, pleins de débats et digressions théologiques, et dans lesquels Dick semble introduire, dès que l’envie lui en prend, ses lectures du moment et ses réflexions de la veille, sans plan établi. Tous passionnants, ils sont pourtant de valeur inégale, et seul Siva peut prétendre au rang d’indispensable. Dans ce récit au montage schizophrène, dans lequel Dick est à la fois le sujet d’une expérience mystique (sous le nom de Horselover Fat) et son commentateur sceptique (sous le nom de Philip K. Dick), les éléments autobiographiques se mêlent aux références savantes qui tentent de donner un sens à l’épiphanie de 1974 et aux longs mois d’hallucinations qui ont suivi. Mélange de science-fiction et d’exégèse religieuse, Siva est un ovni absolu, hanté, qui suggère que la pop culture, au-delà de sa frivolité, peut être une porte d’entrée vers la spiritualité la plus haute.

Comme c’est cette voie ouverte entre Pop et Gnose qu’arpente Pacôme Thiellement depuis une dizaine d’années, à travers des études empruntes d’ésotérisme et portant sur le rock (Poppermost – Considérations sur la mort de Paul McCartney, Cabala, Led Zeppelin occulte, Economie Eskimo – Le rêve de Zappa) ou les séries (La Main gauche de David Lynch – Twin Peaks et la fin de la télévision, Les Mêmes yeux que Lost ), le bonhomme semblait tout indiqué pour nous aider à comprendre le sens de cette aberration littéraire qu’est la « Trilogie Divine ».

Il s’est passé alors ce qui se passe toujours avec Pacôme Thiellement : on commence par discuter de Philip K. Dick, on dérive vers l’analyse de Strawberry Fields Forever, et on finit par s’interroger sur la place du rock dans sa propre vie, et la nécessité (ou pas) d’un rapport exégétique à la pop music. Dans un entretien autour d’un livre bourré de digressions, quoi de plus normal ?

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Que représente la Trilogie Divine pour toi ? Quand l’as-tu lue ? Fait-elle partie des œuvres qui t’ont orienté vers la gnose ?

J’ai lu la « Trilogie Divine » pour la première fois au printemps 1998. J’avais déjà 22 ans. J’étais dans un pseudo-Tex Mex parisien tout à fait atroce du cinquième arrondissement de Paris, avec des maragaritas à la pisse de chèvre et des tacos au vomi de pigeon quand je commençais La Transmigration de Timothy Archer et toutes ces allusions à la mort de John Lennon, au révérend Pike et à la fin d’une période pleine d’espoirs ou d’illusions. Ca m’a donné envie d’enquêter sur toutes les théories bizarres qui mélangent culture pop, mythologie, coïncidences, folie – ça m’a amené, lentement mais sûrement, à mon premier livre, mon premier essai, Poppermost, sur le mythe de la mort de Paul McCartney, que j’ai publié chez MF en 2003. En 2004, alors que, avec plusieurs amis et complices (Fabrice Petitjean, Adrian Smith, Patricia Rousseau), en préparation de notre ouvrage collectif Schreber Président, nous avions ouvert une sorte de permanence d’études théologico-paraphréniques où s’entassaient les livres de et sur Schreber, Jaynes, Panizza, Strindberg, Rousseau, Burroughs, Weininger, les fous littéraires et les écrits sans sépulture, Siva prit un tout autre sens et nourrit l’hypothèse d’un monde dont seuls les schizophrènes auraient la clé ; un monde dont le schizophrène serait l’homme initial, l’ « homme étalon ». Enfin, entre 2005 et 2006, alors que je relisais pour la troisième fois L’invasion divine et les autres romans de la série, je me suis mis sérieusement à la gnose. J’ai acheté L’Evangile de Thomas, Les évangiles secrets de Elaine Pagels, En quête de gnose de Henri-Charles Puech, toutes les réfutations (Irénée de Lyon, Tertullien, Hippolyte), les Homélies clémentines et quelques volumes regroupant des traductions du codex de Nag Hammadi que proposait les éditions Ganesha – la pléiade des Ecrits gnostiques n’avait pas encore été publié à l’époque… La Trilogie Divine m’a orienté d’abord vers l’exégèse pop ; ensuite dans les études parano-théophaniques ; enfin vers la gnose. La prochaine orientation sera la bonne.

Parlons-en, de la gnose. Qui étaient les gnostiques ?

Les gnostiques ne voulaient pas spécialement qu’on sache qui ils étaient. De fait, on ne sait des gnostiques que ce que leurs réfutateurs ont dit d’eux : ils n’acceptaient pas la hiérarchie, ils ne se reconnaissaient ni dans l’empire romain ni dans l’église chrétienne telle qu’elle se construisait, ils se prévalaient d’une expérience directe, sans médiation, de la divinité, ils pensaient que la réussite sociale était un signe d’enténébrement spirituel, ils détestaient le monde, ils trouvaient la vie épouvantable, ils étaient très rigoureux avec eux-mêmes et ne faisaient la morale à personne… Tous les « courants gnostiques » apparaissant entre la fin de l’écriture de l’Ancien Testament et l’établissement du corpus du Nouveau Testament (valentiniens, basilidiens, séthiens, barbélo-gnostiques, marcionites, etc.) ont développé des théories très différentes sur le monde, l’homme ou la relation entre les deux, mais ont pour point commun la certitude que le dieu de ce monde est un mauvais dieu : un démiurge aveugle, fou et méchant. Comme le personnage de Justine dans « Melancholia », ils savent que  la vie sur Terre est mauvaise. Les gnostiques avaient une relation directe, épiphanique, avec la divinité – une divinité très éloignée, en exil, sans relation avec le dieu de ce monde. Ils étaient souvent égalitaires (les femmes pouvaient avoir les mêmes pouvoirs que les hommes), souvent indifférents aux questions de sexualité (certains étaient débauchés, d’autres complètement asexués)… Pendant très longtemps, on ne connaissait d’eux que les opinions que les Pères de l’Eglise ont réfuté    alors que, parallèlement, ils étaient persécutés puis exterminés. En 1945, dans des conditions tout à fait extraordinaires sur lesquelles il faudra revenir un jour, on a retrouvé dans le désert de Nag Hammadi un codex de 52 textes qui représentent plus de 1500 pages d’écrits gnostiques. C’est cela qu’il faut lire. En un livre – la Pléiade « Ecrits gnostiques » – c’est tout l’Univers qui peut, pour nous, changer de sens.

En écrivant Siva, Philip K. Dick semble prendre conscience d’une chose  : les motifs obsessionnels de son œuvre (nature illusoire du « réel », réalité tronquée ou manipulée, pluralité des mondes) se retrouvent mot pour mot dans le gnosticisme. En somme, même loin du Jourdain, il a fait de la gnose sans le savoir…

Oui. En écrivant Siva, ou plutôt, en écrivant son « Exégèse », les 1000 pages de notes qui précèdent l’écriture de Siva (et dont une sélection a été publié, pour la première fois, aux Etats-Unis, en novembre 2011), Philip K. Dick découvre que les motifs de son œuvre sont déjà présents dans les écrits gnostiques. Il a, en somme, une anamnèse de son véritable être – et le principe de l’anamnèse étant présent lui-même dans les écrits gnostiques, le principe étant annoncé comme fatal, dans des temps courts ou longs – on se dit que, pour l’avoir vécu ainsi dans son chair et dans sa mémoire, Dick ne peut être autre chose qu’un authentique gnostique.

Oui, alors deux-trois mots sur l’anamnèse, qui fait partie des termes que tu emploies souvent : c’est littéralement l’ « action de rappeler à la mémoire »… Cela consiste à se re-souvenir de choses oubliées ou cachées. Celle de Philip K. Dick a lieu le jour où une infirmière vient lui livrer un analgésique, et se présente à sa porte le cou ceint d’un pendentif en forme de poisson, comme les premiers chrétiens. Il a alors une révélation : il ne vit pas en 1974 mais en 70 après Jésus-Christ, la Californie du vingtième siècle est une immense simulation visant à masquer le fait que l’Empire n’a jamais pris fin, et nous évoluons dans une prison dont seuls quelques individus connectés avec l’Esprit ont l’intuition de la nature factice. C’est à la fois totalement dickien et éminemment gnostique.

Dans les écrits gnostiques, il y a l’idée que l’homme a oublié qu’il était gnostique mais qu’il s’en souviendra. Et, depuis l’extermination des gnostiques, d’abord, puis celle des cathares, ensuite, il y a eu un nombre incalculable d’anamnèses gnostiques et cathares : chez un grand nombre de soufis ou de mystiques musulmans d’abord (Al Hallâj, Sorhawardî, Attar, Ruzbehan, Rûmî, Ibn Arabi), chez les kabbalistes juifs également (Shimon Bar Yohai, Moïse de Leon, Moïse Cordovero, Isaac Louria), chez les poètes dits maudits ensuite (Nerval, Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Jarry, Le Grand Jeu), chez certains romanciers (Joyce, Lézama Lima, Lowry, Queneau, Abellio) et enfin chez des musiciens pop : des Beatles et David Bowie à Secret Chiefs 3 ou Eyvind Kang – en passant par Tori Amos qui parle longuement des écrits gnostiques dans son autobiographie Piece By Piece et a décrit sa propre anamnèse dans le disque « The Beekeeper »… Quoiqu’en pensent tous les suppôts d’une politique théologique unilatérale animée par l’amour d’une forme limitée et déterminée de la divinité, il y aura toujours des gnostiques. Il y aura toujours des personnes qui auront cette anamnèse et qui décriront ce monde comme une prison dont il s’agit de s’extraire. Il y aura toujours des êtres pour épiphaniser cette mystérieuse lumière.

La « Trilogie » se décompose de manière étrange : alors que Dick se scinde en deux dans Siva (Horselover Fat et Philip K. Dick), il semble laisser chacune de ses personnalités écrire « son » livre  par la suite – L’Invasion Divine pour l’illuminé Horselover Fat, La Transmigration de Timothy Archer pour le sceptique Philip K. Dick… De sorte que l’expérience mystique semble se clore avec le dernier tome     : à la fin, les visions ont quitté Dick, qui semble définitivement avoir replongé «   dans le bourbier » (Guénon). Comment décrirais-tu cette expérience au final ?

la-trilogie-divine-tome-1-siva_couvLa Trilogie Divine n’est pas vraiment une trilogie. Ce sont trois livres différents qui se recoupent sans jamais arriver à produire une signification globale. Ce sont trois livres qui parlent de Dieu ou des dieux. Comme la division de Dick entre le narrateur et Horselover Fats dans Siva, ou comme le Serveur et le Géant dans « Twin Peaks » : c’est le même et ce n’est pas le même. Trois personnes différentes en Dick ont écrit ces trois livres qui eux-mêmes comprennent plusieurs significations possibles, plusieurs possibilités d’interprétation. En effet, L’invasion divine est le plus mystique des trois, mais c’est aussi le plus fictionnel, le plus  illusoire. La Transmigration de Timothy Archer semble le plus sombre, mais c’est peut-être le plus innocent, parce qu’il tente de décrire au plus près la réalité et les violentes déceptions que celle-ci comprend, sans jamais les atténuer par des fictions faciles. Il retrouve, transfiguré par le kaléidoscope de toute la science-fiction qu’il a traversé, le romancier réaliste que Dick voulait être lorsqu’il était jeune : ce romancier réaliste pessimiste très poétique qui pouvait écrire un livre bancal mais bouleversant comme Sur le territoire de Milton Lumky. La Transmigration de Timothy Archer n’est probablement pas le plus grand roman de Dick, mais, comme The Yellow Shark pour Frank Zappa, c’est le livre qu’il aurait voulu faire avant de quitter la Terre. Zappa a excellé dans le rock parce que c’est un musicien classique raté. Il a réussi un disque de musique classique avant de mourir et c’est l’idée la plus optimiste qu’ait exprimé de toute sa vie un homme dont la propension à l’échec a formé la trame d’un chapitre entier de son autobiographie («Failure » in « The Real Frank Zappa Book »). Dick a excellé dans la S.F. parce que c’est un romancier réaliste raté. Il a réussi un roman réaliste avant de mourir : ce roman ayant beau être assez pessimiste, le fait qu’il ait réussi à l’écrire est, en soi, une sorte de miracle merveilleux qui vaut tous les romans mystiques possibles.

On croise un tas de personnages de la pop culture dans la Trilogie : des écrivains de science-fiction, un évêque dissident (Pike), des hippies, des charlatans New Age… Mais la présence la plus marquante est paradoxalement celle de John Lennon, dont l’assassinat ouvre La Transmigration de Timothy Archer… Que représentent les Beatles pour Dick ? La narratrice de ce troisième tome ne supporte plus les Beatles, et en même temps c’est Strawberry Fields Forever qui a révélé à Dick la maladie de son fils…

Dick ne sait pas forcément lui-même ce que les Beatles ou Lennon représentent dans le cadre de sa vision gnostique de l’époque. Il a simplement l’intuition de leur importance – comme le film L’Homme qui venait d’ailleurs de Nicolas Roeg par exemple et qui nourrit toute la partie de Siva consacrée à Mother Goose (lui-même un mixte bizarre de David Bowie, Alice Cooper et Frank Zappa). La chanson qui a révélé à Dick la hernie inguinale droite de son fils un jour de printemps 1974,    Strawberry Fields Forever, est une chanson gnostique, qui ne parle que de ça : l’anamnèse de notre véritable nature, et le côté illusion en carton-pâte du monde : « Rien n’est réel (…) Vivre est facile les yeux fermés / Se méprenant sur ce que l’on voit / C’est dur qu’être quelqu’un mais ça finit par marcher (…) Toujours je sais, parfois, croire que c’est moi / Mais tu sais que je sais et c’est un rêve.» Non seulement elle ne parle que de ça, mais elle ne fait vivre à son auditeur que ça : à savoir basculer d’une irréalité à une autre, en utilisant pour la première fois un mellotron, non plus comme un enregistreur, mais comme un clavier ne reproduisant plus le jeu de son son-source, la flute, mais la jouant comme on jouerait d’un orgue; ensuite, en juxtaposant deux prises distinctes de la même chanson, jouées à dix jours d’écart, avec une instrumentation distincte, sur des clés et dans des tempos différents. La coupure entre les deux enregistrements s’opère à la première minute : on y glisse d’un morceau à l’instrumentation archétype du groupe pop (deux guitares, une basse, une batterie) auquel on ajoute le mellotron, à un ensemble de trompettes et de violoncelles, rythmés par une batterie lourde, une cymbale enregistrée à l’envers et une sitar à une corde séparant les couplets. En accélérant légèrement le tempo de l’un et en ralentissant l’autre, le producteur George Martin les a ajusté approximativement sur la même clé et dissous magiquement une prise dans l’autre, faisant basculer l’auditeur entre deux univers parallèles, l’un représentant la pop d’avant (celle de 1957-1966), l’autre la pop d’après (1966-1974), comme si il plongeait dans un univers-ombre ou un monde miroir. Le mellotron, c’est l’homme conscient de son identité falsifiée, de sa nature de double, de bateleur ou d’escamoteur. Le basculement des deux prises à la première minute, c’est la révélation, en retour, de l’irréalité du monde ; et cette révélation permet, par le vertige qu’elle provoque, la conscience intime de son étrangeté, de sa nature « autre » et de sa possibilité d’être « relié » à un courant interpersonnel divin.

On peut dès lors soupçonner que c’est à cet instant du morceau, lors de la collure entre les deux univers, que Dick entendit la  Voix  lui révéler la maladie de son jeune fils. Lennon et Dick avaient de plus, dans les soixante-dix, le même ennemi : Richard Nixon, présenté par Dick comme l’Antéchrist dans Coulez Mes Larmes, Dit le Policier et Radio Libre Albemuth sous le nom de Ferris F. Frémont ; le « F » valant cabalistiquement pour le chiffre 6, soit 666, le nombre de la Bête dans « L’Apocalypse » de saint Jean, souvent assimilé à l’empereur Néron. « Tricky Dick » avait fait des pieds et des mains pour expulser Lennon des Etats-Unis et ce dernier lui avait répondu d’un ton saumâtre dans Gimme Some Truth (« Imagine », 1971) avant de lui renvoyer son chiffre de néronien à la gueule – 666 – dans Bring On the Lucie sur « Mind Games » en 1973. « Nous avons sorti les grands moyens contre M. Nixon. Oui, nous avons recouru à la magie, à la prière et aux enfants pour défendre notre juste cause » écrira Lennon dans Éclats de Ciel Écrits par Ouï-dire. Tant que l’ordre du monde sera truqué, nous n’aurons d’autre choix que de devenir gnostiques.

De fait, Dick et les Beatles semblent être les deux illustrations majeures de la fusion entre Pop et Gnose. Ce sont des livres ou des disques à la fois plaisants, modernes, et ouverts sur des traditions extrêmement anciennes, qui nous invitent à redécouvrir ce fond spirituel. Mircea Eliade disait : « on peut avoir, à partir de n’importe quel moment culturel, la révélation du sacré la plus complète accessible à la condition humaine »? La pop culture, c’est le matériau ésotérique de notre temps pour nous reconnecter avec des vérités éternelles ?

La culture académique ou classique est une culture coupée de l’anamnèse ; c’est une culture coupée de la vérité. Elle n’exprime que la conception du monde des maîtres de la matière, des seigneurs de la manifestation. Presque tous les philosophes et écrivains classiques sont des «     amoureux de la matière » ; en France, c’est très facile à démontrer. Voltaire, Diderot, Flaubert, Stendhal, Mérimée, Renan, Anatole France, Hippolyte Taine, Auguste Comte, André Gide, Jean-Paul Sartre, Albert Camus… Tous adorent la matière, et, en fin de compte, ils adorent les maîtres de leur époque, ils adorent les forts, ils adorent les salauds. Seule la culture populaire peut nous reconnecter avec la pensée ésotérique ou gnostique parce qu’elle entretient avec elle une relation du même type que le folklore. Elle comprend le dépôt immémorial du peuple initial, les Gitans, les Bohémiens – et elle fonctionne comme le support de l’anamnèse de ses spectateurs ou auditeurs. C’est démontrable pour les Beatles ou Led Zeppelin, Black Sabbath ou les Beach Boys. C’est démontrable pour Lovecraft et Philip K. Dick et toutes les grandes séries télévisées. Scoop : je prépare un recueil de 42 textes écrits sur les quinze dernières années sur tout un tas d’artistes épars (Elvis Presley, Lars von Trier, Fred, Alfred Jarry, Kiyoshi Kurosawa) tous reliés par leur quête de la parole perdue. Le livre s’appellera Pop Yoga et sortira en automne de cette année aux éditions Sonatine. Il ne parlera que de ça.

Tu parles de « seigneurs de la manifestation » et du « dépôt immémorial des Gitans » comme d’évidences… Rappelons, car tu ne t’en caches pas, que ton travail reprend en partie les thèses développées par René Guénon dans Le Règne de la quantité (1945)… A ce propos, je crois qu’on te pose souvent la question     : crois-tu que les artistes dont tu parles ont conscience de tout ce que tu évoques à leur sujet ? Quel est ton garde-fou contre la surinterprétation ?

Je m’en fous. Plus exactement, j’ai eu la chance inouïe de rencontrer et de discuter avec quelques uns des artistes sur lesquels j’ai écrit et qui m’ont convaincu que, non seulement je n’avais pas tort de relier leur travail à ces dimensions immémoriales, mais, à la limite, que je n’allais pas assez loin… On ne va jamais assez loin. La question est de ne jamais surplomber la réception d’une œuvre par l’interprétation, mais, au contraire, de créer le plus de relations possibles. La question qui se pose toujours est : comment une œuvre d’art peut nous aider à vivre, comment une œuvre d’art peut nous aider à nous orienter. Et pour s’orienter, il faut pratiquer l’exégèse. Tout cela je l’ai appris de Sorhawardi et des métaphysiciens chiites duodécimains : l’exégèse est une méthode pour sortir de notre exil occidental, notre exil dans le monde matériel, vers notre royaume, notre Terre promise qui n’est pas de ce monde. Pour cela, l’exemple des Gitans est capital : « notre pays, c’est là où on est : où c’est qu’on pose nos pieds » dit la Reine des Gitans. A partir de toute œuvre d’art, un film de Stanley Kubrick, un disque des Who, une bande dessinée de Killoffer, on part pour retrouver une relation, la plus directe possible, avec la divinité orientatrice. On doit utiliser les œuvres d’art comme les cartes d’un Tarot qui nous indique, non là où l’on vient, mais là où l’on doit aller. On y ira de toutes façons.

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Tu dis que ceux qui se contentent de l’aspect extérieur des Beatles (des chansons plaisantes, un groupe à succès) sans s’atteler à l’interprétation de leurs chansons sont eux-mêmes des gens très superficiels, condamnés à na jamais voir que la surface des choses, et s’interdisant d’en faire le support d’une expérience plus fondamentale, d’ordre spirituel ou métaphysique. Mais beaucoup  refusent l’intellectualisation excessive du rock, préférant mettre en avant son énergie, son aspect frontal, direct, libidinal… Tout le rock garage peut se résumer à ça : les Beatles moins le fatras intello. Tu ne crois pas qu’il y a un aspect, disons wildien, dans le rock, où tout le fond est dans la forme, dans l’image, et qui est aussi     fondamental ?

Je n’aime pas du tout les amateurs de rock frontal, direct ou libidinal parce que, selon moi, leur relation n’a rien de frontale, rien de directe ni de libidinale. Mon amour de Frank Zappa, de Harry Partch ou de Wild Man Fischer est frontal, direct et libidinal ! Leur amour des Stooges, de Sonic Youth ou de Patti Smith ne l’est pas du tout : ils ne rient pas, ne frappent pas dans leurs mains et ne dansent pas en criant et en riant lorsque les chansons qu’ils sont supposés aimer passent à la radio. Comme leur pauvre maître, le sinistre Lester Bangs, je vois surtout en eux des snobs, des droitards malhabiles qui tentent là d’exprimer leur désir d’appartenir à une élite, et surtout des gens qui n’aiment pas du tout la musique ! Ils aiment un certain nombre de poses associées à la musique. Ils aiment les looks et les attitudes et les phrases désagréables et les moues dédaigneuses de leurs idoles et ils aimeraient probablement avoir une vie sexuelle plus excitante mais la musique ne les intéresse pas. Ils n’aiment pas la musique. Sinon, soyons sérieux : ils écouteraient autre chose que du Lou Reed.

Tu forces un peu le trait… D’abord, Lester Bangs est peut-être un poseur, mais c’est avant tout une super plume, un vrai écrivain américain impregné de Burroughs et Thompson. Le rock n’est chez lui qu’un prétexte (comme chez Richard Meltzer). Greil Marcus par exemple, c’est horrible : il s’empare d’une époque du rock et la rattache aux luttes sociales et à l’histoire profane, il explique par A + B que tout était déterminé et prévisible, et que l’extase musicale, le sentiment de vivre quelque chose d’unique et radicalement neuf, n’était qu’ une illusion d’optique. On a l’impression que ce type n’a jamais vu un concert. Et donc, voilà, il y a comme une négation de l’expérience dans le commentaire savant du rock. Je m’interroge tout de même : tu choisis souvent des artistes qui ont arrêté très tôt de faire des concerts (Beatles, Beach Boys), d’autres qui me tapent sur les nerfs au bout de trois titres (Zappa), d’autres que je n’ai jamais aimés (Led Zep’)… Tout cela manque un peu de sauvagerie. Et si tu choisis le Grateful Dead ou Pink Floyd pour ton prochain livre, honnêtement, je ne sais pas si je le lirai, ah ah ah.

Ce qui est important c’est la façon dont ce que tu écoutes oriente ce que tu vis. Je déteste le divertissement. Je déteste la détente, le dilettantisme. Je n’écoute pas de musique comme passe-temps. Quand j’écoute de la musique, elle modifie ma vision de l’espace et du temps. Elle modifie ma manière de vivre. Elle m’apprend à vivre, à pleurer, à aimer. Un jour, peut-être, si j’en ai les capacités, j’écrirai sur la musique soul. Et j’écrirai des textes soul sur la musique soul. J’écrirai des essais soul. C’est vers ça que je veux m’orienter, si j’y arrive : quelque chose de proche du prêche ou du gospel écrit et parlé – d’où mon amour de la forme  conférence , et, lorsqu’on a fait la soirée d’inauguration de la résidence Satan Trismégiste au Monte-en-l’air au début de l’année, avec Olivier Mellano à la guitare et moi qui parlait, debout, sans notes, je me suis dit que c’était la bonne direction. Tout cela a longtemps été inconscient bien sûr : sans trop savoir ce que je faisais, je plongeais dans la culture occidentale pour faire remonter tout ce qu’il y avait d’oriental en elle. J’ai essayé de faire surgir Sorhawardî et Ibn Arabî dans les œuvres des Beatles ou dans la série Lost. J’ai essayé de parler du Japon à travers Hara-Kiri. J’ai essayé de parler des Gitans à travers Bob Dylan et « Inland Empire ». Il faut aller beaucoup, beaucoup plus loin. J’aurais accompli mon travail le jour où je serai capable de produire des essais qui évoquent ou retrouvent la puissance de vie et d’amour des chansons de Aretha Franklin, de Nina Simone, de Al Green, de Otis Redding ou de Marvin Gaye… Jusque là, tout n’aura encore été qu’apprentissage. Jusque là, tout n’aura encore été qu’une répétition.

Philip K. Dick // La Trilogie divine // Denoël/Lunes d’encre

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14 commentaires

  1. C’est assez marrant, dans le bon sens du terme, que l’auteur d’un article qui parle de K.DIck soit cet amateur de « rouges » qu’est Pete Bondurant…

    Cependant, aussi intelligent soit il, Pacôme Thiellement est trop manifestement un fils à papa (sadique, vu le prénom qu’il a donné à son fils) qui essaye de paraître profond à coup de mélange entre pseudo analyses philosophico-spirituelles et « pop culture ».

    Son livre sur Led Zeppelin-occulte est un gros navet, sans aucune exagération. C’est vraiment faire passer des vessies pour des lanternes (et dieu (lequel ?) sait que je déteste cette expression).

  2. « Strawberry Fields Forever, est une chanson gnostique, qui ne parle que de ça : l’anamnèse de notre véritable nature, et le côté illusion en carton-pâte du monde »

    VOILA C EST EXACTEMENT CE QUI M’EST ARRIVE!!!!!! lorsque j’ai vu le clip de strawberry field la première fois

  3. sublime ! jamais rien lu d’aussi sensé depuis fbayrou !
    à noter cependant que Dick a émis une autre hypothèse que celle de l’anamnèse gnostique, à savoir un contact extraterrestre !!!

  4. La dernière chose dont veulent les gens, c’est la liberté offerte par le Christ. Ce que les gens veulent, ce sont des maîtres à penser pour éviter d’avoir à le faire eux-mêmes, et de la musique pop, rock, gospel, pour se rassurer.

  5. Passionnant entretien qui « modifie ma vision de l’espace et du temps »…
    Par contre le paragraphe consacré au rock est pitoyablement de parti pris et de triste mauvaise fois : quand j’entends Sonic Youth, les Stooges ou Patti Smith il m’arrive avec les gens présents de sauter partout en tapant dans mes mains et en rigolant comme un benêt.
    Ce qui n’arrive absolument JAMAIS quand j’entends Zappa ou Led Zepplin !

  6. Le monde est une prison que l’on ne peut pas y échapper parce-que l’on sait même pas que l’on est dedans … bla bla bla encore du caca cathoblique mal digéré
    Y en aurait pas marre des fois ? On en sortira jamais ? Ah bah non passke ça fait partie de la prison …
    désolé mais il y a sûrement une raison pour laquelle on n’arrive pas, même avec la meilleure volonté d’auto persuasion du monde à croire que le monde est une prison de fer manipulée de l’intérieur par l’empire de nos 5 sens c’est que c’est FAUX et que ceux qui ont réussis à passer de l’autre côté sont, avec tout le respect que j’ai pour eux des schizophrénes et alors c’est super toute cette mixture adolescente de les fous détiennent le secret du passage … cool moi aussi j’y crois mais il y a un moment où ça va les fariboles de on n’est pas de ce monde et tout est un rêve la la la ….
    c’est beaucoup plus difficile de faire sortir un petit moment de vérité et de beauté dun jour ordinaire qui devient parfait juste par la force de la présence au jour et de sa reconnaissance ( lou Reed perfect Day , pour ceux qui suivent ) et ça demande un vrai talent!
    tout comme il en faut pour transformer ses obsessions masturbatoires en meilleure critique rock que la terre ait jamais portées ( lester bangs pour ceux qui suivent toujours ) et l’alchimie de pilules en feuilles d’or
    y a plus de matière grise et un peu jaune aussi dans un de ces mouchoirs que dans ce torchon ( surtout les 4 ou 5 derniers paragraphes le reste ca va passke je comprend pas ) tout numérique qu’il fut ….
    Et lester lui il a écrit soul , psychédélique , rock , et j’irai même:
    jusqu’au comble de la richesse de sa propre vie ,pourtant nue et debile et morne et ennuyeuse et comateuse et même a contre courant de ses intuitions parfois! Et ainsi Transformer tout le raté de sa vie et d’une époque en épopée
    et ça ça demande des couilles !
    Beaucoup plus que se branler sur des autres mondes de merde qu’on verra jamais
    on t’a connu plus en forme Pacôme … le relent d’agressivité et le Power trip te siéent mal
    Écrit soul au lieu de parler de le faire … et la prochaine fois je viens voir ton rock parlé chanté si ça ressemble à du prog rock barbu t’inquiètes pas je ferai danser la foule avec les stooges

    Faut pas attaquer lester je crois en fait

  7. Étrange que cet article fasse l’impasse sur « Radio Libre Albemuth », qui est pourtant la matrice de toute la « trilogie divine », et peut-être le meilleur opus de l’ensemble.

  8. Intéressant. J’aime l’idée que le réel s’efface comme une brume. Mais si c’est pour déboucher sur la vision d’un passé historique, l’intérêt est réduit. C’est une brume aussi. Même si l’image des gnostiques y évolue. Les gnostiques et les cathares ne sont pas non plus des anges vivant sur Terre. Il s’agit juste d’êtres humains. Si derrière il y avait des anges, pourquoi ne pas le dire ? Lovecraft et Lynch font allusion à un monde derrière le monde, et s’y trouvent des êtres grandioses, à demi divins. Pacôme Thiellement devrait s’intéresser à Charles Duits, s’il ne l’a pas fait. Lui a parlé avec une déesse. Lui pour moi est digne de Lynch et Lovecraft. La grande littérature contient aussi du reste de l’ésotérisme : Victor Hugo a beaucoup pratiqué, et la Tentation de saint Antoine de Flaubert en est remplie. Le citer dans le sens adopté ici est maladroit. Prendre parti systématiquement pour la pop culture et l’alternatif me paraît naïf. Comme disait George Lucas, il y a des héros dans les deux camps. Comme schizophrène pas connu en Amérique, il y a en France l’écrivain de science-fiction Michel Jeury. Pacôme ne le connaît pas ? Son père Hervé, bon écrivain aussi, l’avait pas mal lu et admiré, même si à la fin de sa vie il lui reprochait son obscurité.

  9. Je ne sais pas si Fat était gnostique et Dick chrétien – et la seule position intellectuellement honnête est de dire que lui non plus ne le savait probablement pas -, mais ce qui est sûr c’est que Ibn Arabi, Rûmî ou Isaac Louria (etc) n’étaient ni gnostiques ni cathares : point de Démiurge ou de Monde Mauvais chez eux.

    On se demande quand même comment l’essayiste peut affirmer ce genre de choses sans s’étrangler – mais non en fait, on connaît la réponse : il le peut parce qu’au fond de lui il sait que la majorité de ceux qui le lisent n’iront pas vérifier l’exactitude de ces affirmations (d’où l’intérêt d’écraser ceux-ci sous d’innombrables références érudites : ça tient à distance).

    Une itw replie d’erreurs, factuelles et intellectuelles – mais cela fait longtemps que l’essayiste nous y a habitué.

    1. Disons que Pacôme Thiellement est plus un créateur qu’un érudit. N’oublions pas qu’il a une formation de monteur avant tout : il prend et il colle. C’est la poétique qui l’intéresse, pas la Métaphysique.

  10. « Aux yeux de Dick, la conception gnostique du monde comme réalité illusoire créée par une déité mineure mais néfaste revêtait un attrait irrésistible (…). Dick n’était pas pour autant convaincu d’être lui-même un gnostique. »

    (Lawrence Sutin, Invasions Divines. Philip K. Dick, une vie, p. 293–294)

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