Peter Falk est à Columbo ce que le serre-tête est aux footballeurs italiens: un truc solidement ancré dans l'inconscient collectif. Pourtant l’homme à la 403 cabriolet et au cigare a aussi tourné avec des monstres du cinéma indépendant, prouvant ainsi qu'il avait plus d’un tour dans son imper’. Pan! Peter.

La mort de Peter Falk l’année dernière n’a engendré ni journée de deuil national ni une troisième guerre mondiale. Tant pis pour moi. Sa bouille à la fois cocasse et débonnaire nous était pourtant familière. Et pour cause, la série Columbo a squatté les chaines du monde entier pendant 35 ans avec 69 épisodes et son lot de rediffusion sur TF1. Deux milliards de téléspectateurs au total – mieux que l’Eurovision – et l’affaire était pourtant mal engagée.

Columbo, c’était d’abord une pièce jouée à Broadway au début des sixties, un gros bide. N’ayant rien d’autres à se mettre sous la dent ils font appel à Mr Falk qui n’a pour l’instant dérocher que quelques seconds rôles au cinoche (« Crime, société anonyme » de Stuart Rosenberg, « Milliardaire pour un jour » de Frank Capra). « J’étais pas le premier choix, c’était Bing Crosby, mais il devait participer à un tournoi de golf. » Et comme disait Albert Willemetz, « le golf donne aux ratés l’occasion de faire leur trou ».

Anti-héros

Cette attitude d’ostrogoth un peu brouillonne, hasardeuse mais chanceuse, on la retrouve dans Columbo. Son subterfuge: se faire passer auprès de ses suspects pour une sorte d’idiot du village pour mieux endormir leur vigilance. Sans armes ni violence, bien loin du cliché des autres séries policières survitaminées aux deals de crack et aux bastos entre gangs. Les assassins ici – toujours révélés au début de l’épisode – appartiennent tous à la haute société. Ce qui confère à Peter un petit côté Columbo des Bois bien simpatoche.
Son point faible: les sensations fortes. Columbo est sujet au vertige, au mal de mer, ne sait pas nager et ne supporte pas les autopsies sanguinolentes. Sans remettre en question son orientation sexuelle – il évoque d’ailleurs fréquemment sa femme – toutes ses mimiques et imperfections ont rendu son personnage célèbre, attachant et vachement plus coolos que son collègue Derrick dont l’extrême droiture, très germaine, assommerait d’ennui un furet sous acide. Et sinon, Peter possède aussi un basset – le même que celui de Télé Z – qu’il appelle « le chien ». Car il ne réagit à aucun nom et, de manière générale, n’obéit à aucun ordre de son maître.

L’homme à l’oeil de verre – dû à une tumeur à l’âge de 3 ans – a su alors enfiler d’autres costumes sans pour autant retourner sa veste. Au contraire. Fin des années 60, Falk se lie d’amitié avec le réalisateur John Cassavetes, trublion du cinéma américain, et l’acteur Ben Gazzara et sa gueule de tombeur rital. Premier bébé mutant né de cette camaraderie: Husbands, réalisé par Cassavetes en 1970. Un film anti-conventionnel qui met en scène l’un des trios les plus prodigieux de l’histoire du cinéma. Pitch: après l’enterrement de leur quatrième ami, trois quadragénaires plutôt aisés – Cassavetes, Gazzara, Falk – décident de mettre en suspens leur vie de convenance pour une virée chargée en alcools, femmes et situations grotesques. La plus marquante des scènes est celle où les trois gus, après avoir atterri dans une soirée arrosée, martyrisent une femme entre deux âges, l’obligeant à chanter à moult reprises une chanson pour un un concours improvisé sur le vif. Tout comme l’est d’ailleurs l’interprétation des trois acolytes alcooliques, ce qui a de quoi surprendre même l’actrice en question.

Le tour de force de Cassavetes, dans Husbands comme dans la plupart de ses films, est de réussir à capter l’authenticité du « jeu » d’acteurs pour un résultat ultra réaliste et plus vibrant encore que la contrebasse d’un Mingus en pétard. « Les mots étaient écrits, l’émotion était improvisée » disait Cassavetes. De quoi rendre marteau le flegmatique Columbo. « Il y avait une pression énorme pour Columbo car on avait dix neuf jours maximum pour mettre en boîte un épisode. Avec John c’était le contraire, on arrivait sur le plateau sans jamais savoir ce qu’on allait tourner. C’était amusant, parfois difficile aussi. John, lui, utilisait notre humeur du jour, nos tics, nos défauts, pour les intégrer aux personnages ».

Dans Une femme sous influence, de Cassavetes toujours, il ne s’agit plus d’un trio en crise de la quarantaine mais d’un couple de la classe moyenne formé par Peter Falk et Gena Rowlands, femme du réalisateur au civil. Dans un quasi huit clos, celui-ci parvient encore à nous balancer sa vérité toute crue, sans fioritures. D’ailleurs il ne reçoit aucune aide financière des studios américains. Ca peut se comprendre: qui voudrait se coltiner un film de plus de deux heures et demi sur une femme au foyer qui a, on ne sait pourquoi, yoyote de la cafetière?

Cassavetes est obligé d’hypothéquer sa propre maison pour financer le film et Peter Falk, convaincu qu’ils tiennent là un chef d’œuvre, investit toutes ses économies d’honorable lieutenant Columbo. Et à en voir le résultat, on se dit que le père Falk, après pas mal d’enquêtes résolues, possède déjà plus de flaire qu’un teckel en rut. Oui, ce film est une œuvre majeure version do it yourself dont Cassavetes est le père incontesté – et qui a depuis fait des petits: Abel Ferrara, Harmony Korine, Jonathan Caouette etc.

Glasnost

1987. Peter Falk fait une deuxième rencontre ovniesque en la personne de Wim Wenders. C’est par un coup de fil tardif que le cinéaste allemand demande à Falk de se ramener fisssa à Berlin. « Au bout du fil, j’entends un type parlant tout bas, un peu n’importe comment, avec un accent terrible. Comme je n’avais pas saisi son nom, j’essayais plus de deviner qui il était plutôt que de comprendre ce qu’il disait. Soudain, il évoque « Paris, Texas », et je réalise que c’est Wenders. » Peter Falk chope le premier avion du matin pour l’Allemagne et débute le tournage le jour même.
Dans un Berlin encore séparé en deux par le mur, Les ailes du désir suit l’itinéraire de deux anges recueillant les monologues intérieurs d’êtres humains isolés sur une terre d’anxiété faites de terrains vagues, d’avenues glaciales et de bunkers éventrés. Comme Cassavetes, Wenders tourne ce film sans scénario ou presque, se basant seulement sur des idées de scènes. Un exercice d’improvisation auquel Falk était pour le coup acclimaté. Crédité dans le film comme « lui même », Falk apporte un peu d’humour à ce film d’une splendeur fantasque et baroque. Tout cela relevé par une épaisse sauce froide et accrocheuse de Nick Cave and the Bad Seeds. Un menu de choix comme on en fait plus.

En 1993, une suite post/chute du mur est réalisée, Si loin, si proche, avec encore plus d’accompagnements  dans l’assiette; la fascinante Nastassja Kinski au talent équivalent à celui de son père et avec l’intelligence physique en prime. William Dafoe, acteur incontournable du cinéma indépendant américain. Lou Reed jouant son propre rôle – comme Falk toujours présent – et surtout Mikhail Gorbatchev – seule personne à avoir accéder au statut d’homme d’Etat malgré un angiome plus hypertrophié encore que celui de Jean-Luc Reichmann, accessoirement connu pour être l’homme qui a précipité la fin de l’URSS.

Quant à notre chère Falk, il ralentit peu à peu la cadence, se consacrant plus volontiers à la peinture et plus particulièrement aux courbes féminines. Décidément, c’est le grand-père qu’on aurait tous aimé avoir. Celui qui pimente un peu ces fastidieux repas de famille du dimanche à coup d’anecdotes foisonnantes et tordantes. Un vieil homme qui n’avait malheureusement plus toute sa tête sur la fin de sa vie et qui souhaitait seulement qu’on se souvienne de lui. Et bien comme c’est bientôt Noël, faisons-lui au moins ce cadeau.

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