Douze ans. Voilà Douze ans que Pavement n’avait pas joué en France. A quelques heures de leur unique date parisienne au Grand Rex, nous sommes allés taper la discute avec le mythe américain du rock lo-fi.

Vous en connaissez beaucoup, des groupes qui sortent 5 albums en 7 ans et deviennent ensuite des légendes dans leur secteur ? Pavement en fait partie. N’importe quel malade de rock indé le sait, particulièrement celles et ceux de plus de 35 ans. Dans les années 90, la sainte trinité Pavement/Sonic Youth/Pixies était sur toutes les lèvres, y compris les miennes. Et pourquoi pas Nirvana ? Parce qu’une trilogie, c’est comme un threesome; à quatre, ça marche beaucoup moins bien. Trêve de blablabla inutiles : et si on laissait la parole à Robert Nastanovich, alias Bob, membre quasi fondateur du groupe ?

Music University Interview: Bob Nastanovich of Pavement - Des Moines Music CoalitionBonjour Bob. Parlons de vous pour commencer si vous le voulez bien. Depuis quand êtes-vous dans Pavement ?

Robert Nastanovich : En 1990, le groupe avait sorti un disque auto-produit et d’autres morceaux en quantité très limitée sur Drag City, un label de Chicago. Pavement avait alors décidé de faire une petite tournée. J’avais un gros véhicule et à l’époque, j’étais conducteur de bus. Pour rendre service, je m’étais rendu volontaire pour les conduire de date en date. Je me suis retrouvé de façon impromptu à devenir « manager » sur cette tournée. Stephen Malkmus et moi étions amis depuis quelques années, depuis l’université. Les jours précédant notre départ en tournée, Stephen a suggéré que je rejoigne le groupe comme remplaçant de leur batteur Gary Young, parce qu’il n’était pas très fiable et qu »il buvait énormément.

Plus qu’un simple batteur, vous êtes multi-instrumentiste. Quel est votre rôle exact dans le groupe ?

Robert Nastanovich : Tout a changé pour moi en 1993 quand Gary est parti et qu’il a été remplacé par Steve West. Il a fallu alors que je me diversifie. A ce moment-là, je me suis mis à jouer des cymbales, de la deuxième batterie et des instruments plus étranges, comme des jouets d’enfants. Il s’avère aussi que Stephen écrivait 95 % des chansons. En tournée, il se retrouvait à devoir chanter une vingtaine de chansons par soir, ce qui pouvait vite être très fatiguant pour les cordes vocales. Au fur et à mesure des années, je me suis retrouvé à chanter les parties chantées les plus abrasives. Sinon il aurait perdu sa voix. Je m’occupe donc des parties chantées où il faut plus crier ou chanter bruyamment. L’avantage, c’est que crier ne réclame pas de capacités particulières à chanter. Crier, c’est crier. Donc c’est dans mes cordes. Pour faire simple, voilà mon rôle aujourd’hui, crier, jouer avec des jouets d’enfants et faire un peu de batterie.

« Musicalement, nous n’avons jamais été aussi bons ».

Vous êtes en plein milieu d’une longue tournée internationale. Avez-vous suivi une préparation physique particulière ?

Robert Nastanovich : Nous nous sommes beaucoup entraînés pour cette tournée. On s’est retrouvés et nous avons appris ou réappris plus de 60 morceaux de Pavement. A chaque concert, on en joue environ 25. Au moment où l’on se parle, nous sommes dans une série de 3 ou 4 concerts à Londres. Nous savons bien que des gens viennent parfois à plusieurs de nos concerts dans la même ville, donc c’est cool de pouvoir leur offrir une setlist qui varie à chaque fois. Mais c’est vrai : on s’est préparés pour cette tournée. Plus que d’habitude. Musicalement, nous n’avons jamais été aussi bons. Je le pense et je l’ai lu dans de nombreux commentaires sur le net. C’est peut-être lié au fait que nous sommes désormais six sur scène, avec une femme super compétente aux claviers et au chant. 2022, c’est vraiment une splendide période pour venir voir Pavement en concert. On joue évidemment des standards du groupe, mais de façon plus variée, moins attendue. Ca tient vraiment à l’ajout de ce sixième membre.

« Etre dans un groupe de rock, c’est cool à 20 ou 30 ans mais que ça ne dure pas forcément indéfiniment ».

Pavement n’est pas vraiment un groupe hyperactif : 5 albums enregistrés dans les 90’s, et depuis les années 2000, des concerts de plus en plus rares. Avant ce retour, vous n’avez pas joué depuis 2010. Ca laisse du temps pour faire autre chose. Vous êtes un amateur de courses de chevaux. Vous avez même été ou êtes encore agent de jockeys. C’est comme ça que vous gagnez votre vie aujourd’hui ?

Robert Nastanovich : Tout d’abord, je dois dire que quand le groupe s’est arrêté en 1999, j’ai du assumer le fait qu’être dans un groupe de rock, c’est cool à 20 ou 30 ans mais que ça ne dure pas forcément indéfiniment. Durer jusque là, c’était d’ailleurs très inattendu, surtout si on compare avec la plupart des groupes qui avaient débuté à la fin des années 80 ou au début des années 90. Ceci n’est pas très original : nous étions encore inspirés mais on sentait que la source se tarissait peu à peu. Les choses avaient été très rapides pour Pavement au début de cette décennie. Et comme chaque groupe qui se retrouve très vite confronté à un certain succès, ça n’a pas toujours été simple à gérer. Les années 90 avaient finalement fini par ressembler à notre âge d’or. Ca semblait presque naturel de fermer la porte de Pavement avec la fin de cette décennie. Mes années 90 avaient été géniales. J’avais joué de la musique et voyagé dans le monde entier. Mais c’était fini et je devais faire autre chose. Depuis l’adolescence, je suis dingue des courses de chevaux. Sur un champ de courses, je suis plus proche du guichet des paris que des écuries ou du champ de courses. Et je n’arrive pas à me passer de cet univers. A la fin de Pavement, j’ai plongé dans ce monde hippique, dont les règles sont complètement différentes de celles de l’industrie musicale ou du journalisme, des jobs que j’avais eus par le passé. Ca a été une bénédiction pour moi de pouvoir bosser à nouveau dans un monde qui me passionnait.
Bien sûr, jouer dans Pavement c’était bien plus lucratif, mais je ne savais pas si le groupe se reformerait, ni à quel moment ça arriverait. En 2010, pour notre premier retour sur scène, j’ai été complètement surpris. En 2019, quand on a commencé à parler entre nous de shows en Russie, pareil. Et puis la pandémie est arrivée et tout s’est arrêté. En 2022, on a enfin pu jouer au festival Primavera. C’était pas si simple car tout le monde se remettait à jouer live au même moment, et l’offre pour les fans devenait démente. Mais ça a été incroyable. Nos fans sont encore là, parfois avec leurs enfants. C’est cool. Notre musique semble bien supporter les années.

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Depuis 3 décennies, vous avez croisé pas mal d’artistes en festival. Avez-vous parfois été déçu par certaines rencontres ?

Robert Nastanovich : Je vais essayer de ne me mettre personne à dos. Je suis un dingue de musique depuis que je suis gamin. Être dans un groupe qui marche, ça te permet d’accéder à d’autres artistes. Tu te retrouves à rencontrer tes héros. C’est cool, mais pas tant que ça, parce que tu as parfois envie qu’ils restent des icônes intouchables dans ta tête. J’ai rencontré des gens dont je n’aimais pas beaucoup la musique mais qui étaient si sympas que je me suis mis à les écouter avec attention ensuite. Et d’autres dont j’adorais la musique mais qui pouvaient être tellement ennuyeux que je n’avais plus aucune envie de les écouter après. Tout le monde a vécu ce truc. C’est comme dans les courses de chevaux. J’ai parfois rencontré des entraîneurs que j’adorais et qui se sont révélés odieux. Généralement, ce que j’ai constaté, c’est que les gens qui sont dans des groupes qui marchent sont quand même des personnalités assez heureuses et ouvertes. Comment peut-il en être autrement quand tu joues dans un groupe qui a de super chansons, qui te fait voyager partout, qui te fait gagner de l’argent voire qui te permet carrément de gagner ta vie ? Ne pas être heureux dans ces conditions ou être un connard prétentieux, c’est presque insultant, non ? Je veux dire…Des mecs payent pour venir te voir jouer. C’est assez dingue quand tu y penses.

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Des noms ?

Robert Nastanovich : Je ne vais pas en donner, même si certains me viennent en tête, aha ! Certains ont de l’humour et d’autres non. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’idée d’une tournée d’un groupe de rock, ça sonne fantastiquement bien sur le papier. Mais ça peut aussi se révéler un boulot difficile. Et fatiguant. Voire irritant. Qui voyage autant en si peu de temps ? Mais même quand tu es crevé, tu dois prendre un peu de recul, et apprécier tout ça. Parce que c’est rare. C’est tellement plus agréable de gagner ta vie comme ça que de te lever à 5 heures pour aller bosser au bureau où à l’usine de 9h à 17h.

Dans ton podcast Three Songs avec Mike Hogan, vous partagez chacun 3 morceaux et les commentez. Quels sont tes coups de coeurs de 2022 ?

Mike est un très bon ami à moi. Ce podcast, on l’a lancé il y a 4 ou 5 ans. C’était son idée. On adore acheter des disques depuis des décennies. On vit aux deux extrémités du pays mais ce podcast nous permet de rester en contact. Le concept est très simple. A chaque épisode, je viens avec trois morceaux de trois artistes différents. Lui aussi. Et on parle ensemble de ces 6 morceaux. J’étais confiant au départ car il y a bien 300 groupes que j’adore et sur lesquels je sais que je vais pouvoir parler dessus avec enthousiasme. Le problème, c’est qu’on en est désormais à l’épisode 176 et que ça commence à devenir plus compliqué ! J’en suis désormais à plus de 500 groupes. On a décidé de ne pas dupliquer. Un artiste ne peut donc être traité que dans un seul épisode. C’est un vrai challenge. Vous savez, il n’y a pas énormément de personnes qui aiment 500 groupes. Et finalement assez peu de gens sur cette planète qui écoutent plus de musique que moi. On a arrêté cette année de produire ce podcast parce que je suis vraiment trop occupé mais on va s’y remettre dès que ça sera possible.

Quels groupes avez-vous découverts ou appréciés cette année ?

Robert Nastanovich : Question intéressante mais pas simple. Nous avons joué avec des groupes fantastiques sur cette tournée. Comme Crack Cloud, un jeune groupe canadien. Ou Guerilla Toss aux Etats-Unis, un groupe super divertissant qui est aujourd’hui sur Sub Pop. Pour cette tournée, on essaye de jouer avec des groupes intéressants qui ont la moitié de notre âge. Quand je suis en tournée, j’écoute moins de choses. Par contre, je suis super attentif aux groupes qui joue avec nous. Il y a eu aussi Richard Dawson, en solo. C’était magnifique comme performance. D’autant plus que je ne le connaissais pas du tout. Ni son travail. Il y a tellement de bons groupes aujourd’hui que c’est d’ailleurs presque frustrant. On n’a pas assez de temps pour tout découvrir, d’autant qu’on a d’autres centres d’intérêt que la musique. Je ne peux pas en même temps regarder des chevaux anglais ou français et écouter de la musique. Il faut faire des choix. Ce qui est cool dans cette tournée, c’est aussi de présenter à un public des groupes qu’ils ne connaît pas toujours. Des choses pas toujours évidentes, d’ailleurs.

« Jusqu’ici, Stephen Malkmus n’a jamais vraiment exprimé fortement d’intérêt pour un nouvel album de Pavement ». 

Pouvez-vous donner une touche d’espoir aux fans du groupe : y-aura-t-il un jour un nouvel album de Pavement ?

Robert Nastanovich : Ca ne dépend pas de moi parce que je n’écris pas de morceaux. Pour le moment, Stephen est concentré sur notre tournée. Ce qui est marrant, c’est qu’il n’apprécie plus trop de jouer de la musique forte. Et celle de Pavement l’est. Il est aussi embarqué dans une carrière solo avec d’autres musiciens très intéressants. Sa créativité en musique ne s’est jamais arrêtée, c’est un songwriter très prolifique. Mais jusqu’ici il n’a jamais vraiment exprimé fortement d’intérêt pour un nouvel album de Pavement. Ni même pour écrire des nouveaux morceaux avec le groupe. Je ne peux pas dire que c’est un livre fermé non plus. On a le sentiment d’être vivants. Surtout qu’on peut aujourd’hui jouer tous nos morceaux, y compris ceux d’un back catalogue qu’on a très rarement joué jusqu’ici. Pour nous, il s’agit quasiment de nouveaux morceaux. Au Grand Rex, par exemple, certains morceaux seront des morceaux que nous n’avons jamais joué à Paris. Pour la suite, on verra.

Vous êtes un grand amateur de musique. Quel est votre avis sur le retour des groupes des 90’s auquel on assiste depuis plusieurs années. On pense par exemple à Pixies, Slowdive,…

Robert Nastanovich : Ca peut bien sûr m’intéresser, mais je serais encore plus intéressé de les voir en live, jouer des nouveaux morceaux et voir ce que ça donne. Mais je ne suis sûrement pas la bonne personne à qui poser cette question puisque nous n’avons jamais fait face à ce challenge. Composer des nouveaux morceaux, c’est une chose. Les intégrer à une setlist composée de vieux morceaux que les gens sont venus entendre et les faire adhérer à ces nouveaux morceaux, c’est bien plus compliqué. Personnellement, je n’ai pas d’attente d’un particulière sur un nouvel LP de Pavement. Tourner comme on le fait en ce moment, c’est déjà fantastique.

Pavement est désormais un groupe « culte ». Silver jews, dans lequel vous jouiez aussi, prendra peut-être la même voie. Quelles étaient les différences de fonctionnement entre Stephen Malkmus et David Berman, les leaders respectifs de ces groupes?

Robert Nastanovich : Silver Jews, c’est bien plus underground que Pavement. Pavement fait parti de l’industrie musicale. Silver Jews, c’est autre chose. Il faut voir ce groupe comme un vecteur qui a permis de lire et d’écouter la poésie de David. Si tu es un poète, peu importe la manière dont ta poésie est diffusée, tant qu’elle l’est. David était un songwriter fantastique. Lorsque Stephen jouait avec Silver Jews, il n’avait aucun problème à endosser un second rôle et juste jouer de la guitare pour mettre en évidence la musique et la poésie de David. Ceci dit, Pavement et Silver jews sont totalement différents. Silver Jews, c’était le groupe de David. Depuis les débuts du groupe, il nous virait tout le temps, puis nous reprenait. Il voulait absolument se dissocier de Pavement. Pavement, c’est différent. C’est l’histoire de fans de rock qui se retrouvent à monter un groupe. Une des choses vraiment tristes concernant la légende de David, c’est qu’il est devenu 10 fois plus important et connu maintenant que quand il était vivant. Mais c’est comme ça que la musique fonctionne. Le connaissant comme je le connaissais, il aurait probablement adoré être autant aimé de son vivant. Il prenait généralement très bien les compliments. Les dernières années avant son décès, il rencontrait quelques difficultés avec son égo. Il n’était pas toujours présent avec nous. Mais ce qu’il a accompli, c’est magnifique. Il y a aussi un malentendu sur lui, je crois. Beaucoup pensent qu’il était toujours malheureux. Alors qu’il blaguait souvent, et que c’est certainement l’une des personnes les plus drôles et divertissantes que j’ai jamais rencontré. C’est finalement très difficile de comparer Silver Jews et Pavement. Ce qu’on peut dire, c’est que le style vocal de Stephen est très reconnaissable. Quand il jouait pour Silver Jews, il pouvait se concentrer uniquement sur sa guitare et pas sur sa voix.

A lire sur le même thème : notre discorama consacré à Pavement

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