« Palavas-Vegas », le film « réalisé » par Thierry Théolier et Rébecca Mafille va être projeté dans une église à l'occasion de la clôture du Kino Knock Out Festival à Altkirch. Qui l'aurait cru hein ? Cet objet cinématographique étrange est un concept-movie, peut-être LE nouveau genre de demain, à moins qu'il ne s'agisse d'un gros foutage de gueule, au choix. Pour connaître la nature de ses intentions, il serait nécessaire que je définisse quelques points sur Thierry Théolier, alias TH. Qui est-il exactement ? Et quelles sont les choses qui nous lient, moi, BKZ meilleur écrivain inconnu de ma génération... ou salopard d'imposteur ?

Palavas-Vegas : La vidéo démarre, pas de dialogues, pas même de narration, c’est comme ces films d’intellos chiants à crever, chiants à se mettre une balle dedans la tête après s’être ouvert les veines dans une baignoire. Sauf que là, bizarrement, ça m’intrigue, ça m’intéresse, sa « beauté Sternberguienne » – BS dans le texte –  sourit d’amour à Théolier. Se rend-elle vraiment compte, à ce moment du film, que ce sera diffusé sur tous les réseaux ? Et que son amoureux est un fou, un cinglé, un malade complètement niqué de la tête ? Peut importe ! TH sort de l’eau, je pense d’abord qu’il a mis un tas d’algues sur sa tête mais non, ce ne sont que ses cheveux.  J’avance rapide, TH sur la plage hurle à la mer des trucs incompréhensibles à propos de la hype, il me fait penser à ces mecs en descente de crack qui zonent la nuit sur les quais du métro Pigalle. J’avance encore… TH derrière le rail de sécurité d’une autoroute coiffé d’un bonnet enfantin, ridicule et inquiétant, hurle encore ses trucs de hype au flot de voitures…

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« J’aime bien ce que tu fais. L’important quand tu écris, c’est d’être honnête. Si t’es honnête à quoi… quatre vingt pour cent ? Soixante ? C’est déjà bien ! »

Ça c’est TH chez ma meuf, devant le four il surveille la cuisson d’un gratin qu’il nous a apporté par un dimanche midi ensoleillé. Ça fait presque trois mois que je suis parisien, et lorsque je suis retourné à Nice pendant les fêtes, à l’heure où sonnaient les douze coups annonçant la nouvelle année, j’ai réfléchi à qui je pouvais téléphoner, les gens auxquels je tenais et y avait pas grand monde alors, je ne sais pas pourquoi, j’ai appelé ce type rencontré à Paris. Il avait aimé un de mes textes, nous nous étions croisés dans une soirée où des journalistes de France 3 s’étaient pointés, la femme se mis à genoux, posa une main sur ma cuisse et tendit le micro à TH. Une lumière froide et crue s’était allumée au dessus de la caméra, derrière, alors je les avais menacés de défenestration. TH m’avait demandé de me calmer, il m’avait dit qu’il ne fallait pas trop s’en faire et qu’il s’agissait d’amis à lui. Plus tard assis le cul sur un banc glacé – il y avait une belge et aussi Le Krokemitaine, un crevard de soirées qui nous parlait d’un plan pour manger des moules à volonté dans une chaine de restaurant, rapport à des bons de réduction, moi je n’avais pas réussi à lui expliquer exactement – parce que je n’étais pas encore un « écrivain » – que ces gens avec leurs micros, leurs caméras et leurs mauvaises manières voulaient en réalité qu’on les aide à mentir au monde.

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« Tu connais Jean-Charles Blinblin ? Il a écrit un papier là-dessus dans ouin-ouin magazine en octobre 2001, il a popularisé ce mouvement, mais c’est Maurice de Baiseville qui l’a théorisé en 1965, novembre je crois… Tu devrais le lire BKZ. »

Ça c’est TH qui me raconte ses trucs dans l’arrière salle d’une gargote arabe de Belleville. Devant nous il y a peut-être un kilo de barbaque dans chaque assiette pour moins de six euros par tête. J’ai l’impression d’avoir dans mon assiette mais en morceaux mélangés l’intégralité d’un l’animal. TH arrose généreusement de harissa sa part et je ne m’étonne plus de ses petites bizarreries, c’est comme son look, sa barbe sa casquette et tout l’attirail, TH ressemble à un père Noël de supermarché auquel aucun parent ne confierait son gamin. La plupart du temps je ne fais plus attention à ce qu’il me raconte, les illustres inconnus qu’il connait et qui forment la « Hype » parisienne, l’armée de musiciens dépressifs cold-cream, d’écrivains pédants façon dix huitième ou de journalistes accros à la coke. TH me name droppe sa vie en pensant que célébrités et médias valent quelque chose, que ce sont ses amis. En même temps il finit de vider le pot de harissa sur sa viande. Il avale une bouchée et s’étouffe, lève le bras, engueule le vieux serveur.

Ensuite on se balade le long d’un canal. TH m’explique que les écrivains ne peuvent pas avoir de femme, c’est comme ça : « Je suis un artiste sans œuvres mais je ne suis pas un bourgeois ! L’amour c’est bourgeois, le couple tout ça… Moi je ne baise jamais plus de trois fois la même et je suis au RSA. »

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Dans son film Palavas-Vegas TH et sa BS sont dans un autocar. Il montre à travers la fenêtre : « Tiens, t’as raté l’église ! ». Ils se filment tout le temps. Ils se filment sur la plage en train de se courir derrière, entre deux séquences TH déclame quelques lignes d’un texte, on comprend mal à cause du vent…

– « Vous avez vu ce film de vacances qu’il a balancé sur le réseau ! Bon Dieu mais vous avez vu ça ? Il a carrément pété les plombs, non ? T’en penses quoi toi BKZ?
–  Bah j’sais pas trop, je crois que je suis toujours fan des mecs qui montrent leurs nanas en maillot de bain. »

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En bon passionné de cinéma nanar, Thierry Théolier ne signe pas avec Palavas-Vegas son premier crime cinématographique. On peut le voir aussi dans Le Moules Mystery Tour. Ma nana me file le DVD et part faire ses trucs. Ça commence en discussion dans ne voiture, TH parle de sa couille droite et il y est dit que « le Redbull c’est pas bon ». A la fin du film TH git sur le ventre aux pieds d’une scène en Belgique, il n’a pas l’air bien, on dirait un bébé otarie échoué. Au dessus sur la scène le performer se doigte le cul. Je rigole tellement que je crois que je vais en crever.

Palavas-Vegas est son nouveau fief. Il existe une photo où on le voit à contre-jour, debout, sur la plage, en maillot de bain, absorbé dans une transe mystique. Ils ont fait de grands tirages de cette photo et l’ont placardé sur les murs de la ville. Hors cadre, une bouteille de soda orange est posée sur le sable et sur l’étiquette est écrit « on rigole bien ! ». Je le sais, ne me demandez pas comment. « On rigole bien », cette phrase tourne en boucle dans ma tête, cet assemblage de mots débiles et inquiétants annihile toute pensée, il s’agit d’un mantra déstructurant émanant des affiches et de la photo du gourou TH. Il semble vibrer sur le papier ou sur le mail dans un bruit orange. La couleur orange me brûle les yeux. Un petit groupe d’avions datant de la première guerre mondiale est parti de Palavas Les Flots rebaptisé Palavas-Vegas, ils ont largué du gaz sarin sur un écrivain, ça a fait exploser son paquet génital. Un autre écrivain périt empoisonné il y a quelques jours, à La Rochelle, il paraît que son sang était devenu noir. Le gourou a lancé un nouvel ordre mental et le suicide se propage maintenant comme une de ces nouvelles grippes. Je n’ose plus sortir de chez moi de peur qu’un défenestré me tombe dessus. Comme un Black-De-Gaulles, le Gourou a prit sa retraite à Palavas et je ne peux plus rien, trop tard, j’ai laissé passer ma chance. Je me traine au sol avec les dernières forces qu’il me reste. Seigneur Cobain m’avait pourtant prévenu dans ses textes. Je lance une dernière prière à Jésus, inutilement. Les messies ne peuvent pas nous aider, aucune connectique, pas assez upgradés. Laissez moi tranquille, je ne suis pas responsable, tout aurait dû se jouer en 1998, mais je ne sais quel sentiment arrêta leurs bras. TH l’agneau Christique a fui le sacrifice. Quelques hommes ont essayé de le rattraper, TH n’était que légèrement blessé au cou, l’un d’eux releva sa machette bien haut mais… Je vous l’ai dit, je ne sais pas quel sentiment ou événement arrêta sa main, et aujourd’hui… Il est trop tard.

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Je galère à le retrouver aux Buttes-Chaumont y a un DJ merdique qui passe des trucs électro, j’ai mal au crâne. Je m’allonge dans l’herbe à côté de lui. Ce sont nos vies, oui cela est ma vie.

Une existence passée à sortir les nuits, des filles plein de filles, des lignes de textes comme des lignes de coke pour d’autres, de la rage de la rage et me voilà allongé à côté de lui. C’est le genre de vie à faire rêver le bourgeois. Lorsque je lis des journalistes qui racontent des trucs comme « je me réveille de ma cuite sur les seize heures j’ai une interview à faire et je ne sais pas qui est la fille allongée à côté de moi… », je me demande qui ça peut faire rêver putain !

« – Tu sais ce dont je rêve TH ?
– BKZ, tu me l’a raconté déjà cent fois depuis que je te connais…
– Oui mais c’est important, je répète ! Bon, imagine la scène, je vendrais des assurances ou des téléphones, on s’en fout, et puis je serais propriétaire d’un pavillon en banlieue parisienne – ou en province pourquoi pas, j’aurais une femme des gosses et un chien. Le week-end, mes amis se pointeraient en survêtement, nous ferions cuire des cheeseburgers sur un barbecue dans le jardin…
–  … Le barbecue oui je sais…
– Attends merde laisse moi terminer ! Bon, on parlerait de foot ou des trucs qui sont passés à la télé, nos chiards cavaleraient partout en criant et les femmes formeraient un groupe de femelles… La mienne… La mienne de femme… Chaussée de claquettes en plastique comme ces Nike bleu pour piscine, elle porterait un short – son épilation ne serait pas parfaite – et elle viendrait poser sur la table des litres de limonade qu’elle aurait faite elle même !
– Oui.
– L’épilation approximative et la limonade sont les derniers éléments ajoutés à l’Histoire !
– Cool.
– Ouais putain ouais ! Je donnerais tout pour avoir ça ! »

Silence… Je reprends :

« – T’es qu’un salopard t’es plus mon ami. T’as rien compris à rien et tu t’en fous de toute façon, toi tu t’en fous des gens, sorti de tes trucs… de ta putain de Hype !
– Je ne peux pas être dans ce genre de problème BKZ, j’peux pas c’est tout. Une fois on m’a mis un mec dans les pattes, et un jour le type s’est foutu en l’air… je ne peux pas c’est tout. Pour le reste… A Paris tout le monde attend quelque chose de toi, si tu ne peux pas vivre avec, ça te tuera. »

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Un type me demande si je suis fâché avec TH, il me dit en rigolant que TH est « fini », que s’il a eu son heure de gloire, elle est largement passée aujourd’hui. Le looser me raconte avec fierté comment il essaya de manipuler TH et son réseau y a de ça trois ans. Je rigole en coin car TH ne programma jamais ce naze à ma connaissance…

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Sur scène TH commence la lecture d’un texte que je connais, il tripote les boutons des pédales et ça larsen. J’attends un moment que j’ai défini comme mon point d’orgue : lorsqu’il se met à s’exciter et à gueuler « hypra-Jésus » et des trucs du genre. Étonnamment à part moi et deux ou trois autres dont la BS, personne n’est là devant la scène, la foule se tient six mètres derrière en rang serré un verre à la main. Je vois tous ses « amis » qui se marrent en racontant de bonnes blagues à l’oreille de leurs pouffiasses endimanchées. Les petites célébrités sont fières de connaître « la bête », ils se permettent même de l’apostropher en pleine lecture pour que cela se voit. Je regarde les faces de culs, leurs façons condescendantes de lui filer parfois un truc à droite ou à gauche, une lecture ici, une interview là, une entrée pour une soirée gratuite, un mix dans un bar…

Et puis je réfléchis et je comprends que TH et moi formons les deux faces d’une même pièce. Même s’il me saoule tout le temps avec ses affirmations comme quoi les écrivains ne travaillent que pour la gloire et la baise, et son ramassis de vent composé de philosophie pop et d’art contemporain, je comprends que TH est l’idole honteuse à laquelle la hype apporte régulièrement ses offrandes, c’est un bébé agneau christique, le représentant d’un culte païen important avant, un bouddha barbu que tous veulent avec soi afin d’attirer la chance. TH aime tout et tout le monde pratiquement quand moi je suis un Caligula qui veut saisir violemment les menteurs par les cheveux afin de leur mettre le nez dedans. Peu importe la manière, au fond je crois que nous bossons ensemble pour un monde meilleur. Et nous vivons libres.

A Palavas-Vegas, la BS filme TH qui danse doucement comme ces chinois dans ces parcs en Chine. Elle le filme qui cavale sur le sable comme un enfant en chantonnant un air pour elle-même, sait-elle que tout ceci sera envoyé sur les réseaux ?

Palavas-Vegas sera projeté le 14 avril 2012 au Kino Knock Out Festival à Altkirch
Plus d’infos en cliquant ici.

 

3 commentaires

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