Coincé à Paris, rincé par l'ennui d'un été un peu trop pourri, c'est quelque part en Oklahoma que je devais retrouver la foi, projeté par la tornade symphonique du quintette de Stillwater. Other Lives m'offrait son Tamer Animals sur grand écran acoustique, transformant mon salon gris en un paddock inondé de soleil où des chevaux fougueux aux crinières grasses m'invitaient enfin au départ vers les grands espaces.

J’étais à un cheveu de me dire que j’étais définitivement maudit, condamné à errer comme le fantôme d’un Jesse James des banlieues, privé de son gun transformé en parapluie. Faut dire que je m’y étais mal pris, le coup du sort, le destin des vacances qui fuient, pas de réservation faite à temps pour cause de maladie. Saleté de maladie au nom imprononçable qui ne tue que par l’ennui du régime sec qu’elle m’inflige. Ajouté à la procrastination maladive dont je suis aussi atteint depuis mon âge le plus tendre, tout cela devait logiquement finir de plier le sort de ces trois semaines de vacances. J’aurais dû normalement les passer le cul au soleil avec des enfants rieurs et bronzés, le ventre tendu par les glaces et les beignets, puis la bourgeoise reconnaissante, détendue et hâlée à la Pénélope Cruz, retrouvant le soir la ferveur de ses vingt ans, merci petit Jésus, t’auras pas de bonbons sucrés cette année. Dégoûté ? Oui, en quelque sorte. Alors autant se rabattre sur l’idée que des vacances à la maison, ça le fait aussi, surtout quand on n’habite pas loin des parcs d’attractions où la connerie des hommes s’étale de manière internationale en vaste observatoire bidonnant. Le fiston s’en tape un peu, il a la PS3 greffée sur le cerveau à tel point qu’il ne lui reste plus qu’un long doigt, un œil exorbité, une oreille bionique et un rire niais caractéristique de sa puberté tout doucettement entamée. La petite, elle, a du mal à ne pas s’ennuyer, je le vois bien, alors on prépare des gâteaux entre deux séances de piscine. Elle a l’intégrale des Têtes à Claques à mater et son CD du Colonel Reyel, rillettes comme je l’appelle, je ne m’en ferais pas des tartines et de toute façon je n’en ai pas le droit. Vous l’aurez remarqué, je ne me préoccupe pas des goûts et choix musicaux de mes enfants, c’est à eux de faire leur chemin, tout comme moi, que va piano va sano.

Pour ma part, la trêve estivale de Gonzaï arrivait en plus – comme par hasard – assez mal.

Trois semaines sans os à ronger, ça allait être sacrément long. Comme un réveil à contre-sens sur l’autoroute, j’avais besoin d’un bon piment musical, juste assez piquant pour me sortir de ma torpeur, et assez goûtu pour faire exploser en moi tout un tas de sensations nouvelles aussi raffinées que sauvages. Je jetai alors mon dévolu sur le disque Tamer Animals, chronique arrachée in extrémis juste avant la trêve, comme la dernière chance de sauver ce qui pouvait rester de ces quelques jours de grisaille. Quand on est mélomane et qu’un seul album peut bouleverser totalement le quotidien, lui redonner un sens, on se dit qu’on a quand même le cul vraiment bordé de nouilles ou alors qu’on a du talent ou du nez pour dénicher les perles rares. Les Other Lives déboulent de l’Okla tels cinq anges justiciers vêtus de longs manteaux blancs et de chapeaux à larges bords, chevauchant des Choktaw fougueux, le dos droit et le doigt posé sur la Winchester prête à dégainer au moindre bruit suspect. Quand les cuivres de Dark Horse ou de Heading East résonnent, c’est comme un appel irrésistible aux grands espaces. Les tambours de As I Lay My Head Down annoncent une prière aux ancêtres et à la nature sauvage qui s’étale à perte de vue. Tout l’album est une ode nostalgique au western et à son bastion qu’est l’Oklahoma. Les musiciens de Stillwater, le chevelu Jesse Tabish en tête, distillent des compositions à l’instrumentation imposante et des chœurs de toute beauté alliant mélancolie et pathos dans une élégance et une classe à tomber de sa selle, la gueule dans la poussière. Une vaste toile sonore qu’aurait pu composer un Morricone devenu soudainement pote avec des Moody Blues en recherche de vraies sensations, un coup de polish sur les éperons. Si beaucoup de groupes font appel à leur amour inconditionnel de l’œuvre de Morricone pour vendre leur soupe – on citera par exemple le duo Danger Mouse/Luppi pas convaincant pour un seul dollar -, Other Lives se révèle quant à lui parfaitement crédible. Plus d’un an d’enregistrement pour cette grande fresque écologique en communication directe avec les ancêtres. De quoi redevenir amoureux de l’Amérique, celle qui fait vraiment rêver, loin des Sofitel. Coincé dans mon salon humide, j’ai fait la paix calumet avec mon être intérieur et redécouvert l’irrésistible envie de me tirer loin, très loin et pour longtemps. Je ne sais pas où je passerai mes vacances l’année prochaine, sans doute quelque part en France, mais j’emporterai certainement Tamer Animals dans ma besace, au cas où il se remette à pleuvoir. Ugh !

Other Lives // Tamer Animals // PIAS
http://www.myspace.com/otherlives

17 commentaires

  1. Tout à fait d’accord avec toi Poulpe; une vraie épopée que cet album. Le terme ‘fresque écologique’ est assez juste. Ils ont vraiment ce côté américain du bon côté de la plaque (minéralogique); quelque part entre les Fleet Foxes, Midlake et The National. Bonne rentrée même si t’es pas parti. Aïe.

  2. Thanks Blandine, oui on peut le dire, c’est vraiment le « côté américain du bon côté de la plaque (minéralogique) ». Pour ce qui est des références que l’on lit, citées un peu partout, j’ai fait l’impasse. Pour moi le couple Morricone/Mody Blues est parfait même si on est très loin des states.

  3. Pour ma part, Tamer Animals sera sans aucun doute possible mon album de l’année 2011 et For 12, Old Statues et Desert mes trois pépites d’or de cette même année. J’écoute cet album en boucles depuis sa sortie US et sa beauté n’en finit plus d’ensoleiller mes journées. J’ai même failli faire l’aller retour Metz – St Malo pour aller les apercevoir de visu au coeur du mois d’août, au Palais du Grand Large. A côté de ces colosses, les Fleet Foxes – que l’on peut comparer à ce groupe pour baliser un peu cette musique – me paraissent particulièrement fades. J’aime bien la référence faite par l’auteur de cette chronique aux Moody blues, voire pour ma part aux très anciens BJH. Par contre, contrairement à tout ce que j’ai pu lire ça et là sur ce groupe, je ne trouve toujours aucune trâce de The National dans cette musique…Aidez-moi sur ce point, je suis preneur.

    J’espère qu’ils passeront vers chez moi un de ces quatre soirs, en attendant je regarde et lis tout ce qui touche de près ou de loin à ce groupe. A ce sujet, je vous conseille vivement d’aller jeter un oeil à la prestation faite par ce groupe en 2010 à l’Amoeba de Los Angeles, avec en point d’orgue une reprise énormissime de The Partisans de Leonard Cohen. Voici le lien de ce concert :

    http://www.amoeba.com/live-shows/videos/other-lives.html

    Enfin, bravo au Poulpe pour cette chronique si bien écrite et dans laquelle je me suis retrouvé de A à Z. Steston bas cher Poulpe, vous avez la même sensibilité que la mienne, ça fait chaud au coeur de te lire. A bientôt dans une autre vie j’espère 🙂

  4. @grenatine: la référence à The National ne tient en fait surtout qu’à une chanson de l’album. Celle qui lui donne son nom, à savoir Tamer Animals. Pour moi, c’est la même ambiance, qui repose surtout sur la batterie et le chant. Donc c’est assez circonscrit comme comparaison je te l’accorde, mais ça m’a suffit pour être une super porte d’entrée et aimer cet album à peu près autant que toi. Le 2 novembre au Festival des Inrocks je crois? à vérifier.

  5. Merci grenatine pour ce joli comment. Les Moody Blues oui pour le côté mélancolique et sentimental avec un petit côté BJH qui est de la même époque, un peu plus jeune même. J’ose pas trop en général faire référence à BJH, c’est le groupe qu’on a un peu honte d’avoir été fan ah ah. Pour les références il y a aussi la mention d’urban noir … oui peut-être dans l’utilisation des mandolines, un petit côté maffia, je ne sais pas. Bref un très bel album oui!

  6. @Blandine : Oui, effectivement, la batterie ténue et légèrement asymétrique de Tamer Animals -le morceau j’entends- rappelle un peu The national. Dans ce même ordre d’idée, le clavier présent dans ce même morceau me fait immanquablement penser à Shearwater…Mais quand je lis -je ne sais plus où d’ailleurs- que Other Lives serait le nouveau Arcade Fire, je cris, je peste, je me tape les oreilles contre ma platine et je deviens noir de colère -j’exagère biensur-. Arf, pourquoi toujours chercher des références aux choses que l’on aime un peu, beaucoup ou à la folie…

    NB : je ne peux pas me rendre en semaine à Paris, j’en suis le premier attristé. Je sais qu’ils joueront également à Marseille et à Lyon de mémoire. Je guette un concert au Lux ou en Allemagne…

    @Le Poulpe : depuis que je me suis remis aux vinyls, j’écoute avec plaisir et sans honte aucune BJH, groupe que j’adorais plus jeune. Ce groupe est sans doute très mésestimé, à mon sens. D’ailleurs, le premier disque que j’ai acheté était Eyes of the Universe…Souvenirs souvenirs…Sinon je ne connais pas Urban noir, désolé. Cordialement.

  7. L’Urban noir est un genre (d’après ce que j’ai lu) relatif à une atmosphère type films américains NB et piano d’ambiance jazzy, qu’on me rectifie si je me trompe hein. D’ailleurs le cover nébuleux est noir et blanc. Ensuite il y a aussi peut-être le piano de Tamer animals mais bon … je n’ai pas été super convaincu par l’association … Comme toi, je pense que Old Statues est le meilleur titre de l’album, très Moody blues ET il y a Desert oui!! Avec ses mandolines et percus tribales avec sa lente, très lente montée mélodique vers les sommets, du grand Art. Et cette orchestration foisonnante … comme je l’écris, à tomber de sa selle, la gueule dans la poussière.

    Pour ce qui est de BJH, je pourrais en écrite un texte mais ça ne serait encore une fois que nostalgie.

  8. Desert, effectivement, avec sa longue montée vers les cimes du bonheur…C’est ce morceau qui me fait peut-être le plus penser à BJH. Si non le Poulpe, la nostalgie, c’est aussi une petite partie de notre vie, non ?

    NB : tiens je viens de lire un article où l’on évoque The Coral pour parler des Other Lives. Où vont-ils s’arrêter ?

  9. hum hum du coup tu m’interpelles grenatine, je réécoute leur dernier album là Butterfly House … pop anglaise assez plaisante mais bien loin de Stillwater là … à mon goût. On n’est pas dans le même registre, pas aussi riche et travaillé. Je reste encore dubitatif sur l’association mais bon, chacun ses références. Quand dans Tamer Animals les cuivres de Heading East me font parfois penser à certains passage des symphonie de Mahler (grandes parties de cuivre illustrant les alpages dans les symphonies autrichienne du XIXe), je sais que je m’égare, que je ne peux pas le mettre dans une chronique ah ah. Et pourtant, la richesse de l’orchestration est là, chez les Other Lives, pas chez The Coral, en tout cas pas au même niveau. Bref.

  10. Comme toi le Poulpe, je trouve qu’Old Statues est le moment le plus fort -s’il en existe de faibles…- de cet album. La version enregistrée en live à Big Sur (lien ci-dessous) me donne la chair de poule et me rappelle que ce lieu sera éternellement mon paradis terrestre.

    Cette mélodie si forte, à la fois mélancolique et enjouée, me transporte à nouveau vers ces rivages mythiques, ces falaises majestueuses, ces routes sinueuses et grandioses.

    J’aurais tant aimé être à Big Sur pour assister à cette prestation, je pense que je n’aurais pas pu m’empêcher de verser quelques larmes à l’écoute de cette pépite taillée dans le marbre…Jusqu’à présent, dans un registre très différent, seuls les Thrills avaient su -à mon sens- immortaliser la beauté de ces lieux. Other Lives vient de réussir la même chose et ces quelques minutes qui tournent en boucles sur mon pc me procurent de folles sensations, aussi tristes que joyeuses. Bref, toutes les humeurs d’une vie normale concentrées en quelque quatre minutes….

    http://www.youtube.com/watch?v=cKD9GN-iUaQ

  11. C’est marrant pour moi Old Statues a des accents d’Atom Heart Mother; avec les choeurs qui ressemblent à des mellotrons, la montée en puissance, le break puis rebelote. Bref, c’est beau c’est beau cet album! Ça fait juste chier de devoir se taper Florent Marchet pour les voir au Casino de Paris.

  12. C’est assez vrai Blandine. D’ailleurs, lorsque j’ai parlé de ce morceau sur un forum foot -pas taper pas taper- j’écrivais « Quand Pink Floyd rencontre Midlake »…

  13. Tamer animals d’Other Lives, meilleur album de l’année, une évidence…

    Lendemain de réveillon. Gueule de bois. Cerveau dans les limbes. Langue en papier de verre. Plus de goût à rien et 400 bornes à me taper. Arras/Nancy au volant de ma Clio. Ma main se dirige vers le lecteur cd, y glisse Other Lives.
    Montée d’adrénaline. Les étoiles brillent. La route s’estompe et apparaît le royaume de la mélancolie et des grands espaces. Violons, violoncelles et cordes m’entrainent loin du bitume. Si loin…
    Le Cd en boucle. Fini la fatigue. Besoin d’avancer. De voir plus loin. Halo de grâce. majesté harmonique. Un autre voyage.
    Arrivée. Ma fille dort sur la banquette arrière. Sur mon épaule elle s’abandonne. Cheveux qui chatouillent. Odeur sucrée. Pulsations du cœur.
    C’est décidé. J’achète deux places pour le concert à la Laiterie de Strasbourg le 24 mars. Je veux revivre. Sentir le sang couler dans les veines. Partager en live.
    J’espère, mon pt’it amour, que tu t‘assoupiras sur mon épaule.

  14. Hello ybnancy,

    Merci pour ce joli commentaire, je réponds vite en espérant que mon PC usé m’en laisse le temps. J’aime le lien que tu fais entre la galère que tu vis, le disque puis la présence de ta fille qui finissent par tout transformer en bonheur (et la correspondance parfum / musique / douceur), très beau.

    Meilleur album de l’année pour moi aussi pour sa richesse émotionnelle et instrumentale, son équilibre (aucun morceau à jeter) . Je ne m’en lasse pas, je l’écoute plusieurs fois par semaine.

    2012 est là, je vais encore écouter plusieurs centaines de disques en espérant en trouver un seul comme ça …

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