Du 26 juin au 6 juillet 2019, près de deux millions de mélomanes et autres curieux sont venus célébrer les 40 bougies du Festival de Jazz de Montréal. Une édition en grande pompe qui a su repousser les limites de son propre registre. Du jazz, du rock’n’roll, du blues et de la pop regroupés dans les divers lieux qui jonchaient le centre de la ville. C’est parti pour la visite guidée.

Le soleil tape fort sur l’asphalte de la Place des Arts, surnommée la “Place des Festivals”. En plein cœur de Montréal, sur l’axe principal Sainte-Catherine, l’écrin est ombragé ici et là par de grandes tours aux étages interminables. Au fond se niche une scène à ciel ouvert rassemblant près de 22 000 personnes. Mais avec ses 500 concerts (dont 200 en accès libre) et ses quelques 3 000 musiciens – Norah Jones, Alan Parsons, Lee Fields & The Expressions, Courtney Barnett, Suuns, Connan Mockasin pour ne citer qu’eux – , difficile de tenir 10 jours confiné dans un seul espace.

Jadis établi sur l’île de Saint-Hélène, lors de sa première édition en 1980, le festival international de jazz de Montréal a finalement migré, en 1988, sur la Place des Arts et ses alentours. Aujourd’hui, plus d’une vingtaine de lieux accueillent les artistes lors de ce rendez-vous incontournable, que ce soit sur le perron d’une église ou face à un cabaret de strip-teaseuse. En ce mercredi 3 juillet, 18 heures, des centaines de festivaliers fourmillent déjà autour des baraques à poutine et stands de bières disposés sur la Place des Arts. Chacun tentant de trouver un coin d’ombre en attendant que détonnent les premières notes dans l’air caniculaire.

PJ Morton en plein jet lag

Pour cette première soirée, mon attention se porte sur PJ Morton, originaire de la Nouvelle-Orléans. Ancien claviériste de Maroon 5, il s’est lancé depuis quelques années dans une carrière en solo, oscillant entre pop, soul et R’n’b. De quoi chatouiller ma curiosité. Le club de l’Astral peut accueillir à vue d’œil près de 200 personnes. En arrivant, quelques festivaliers sont accoudés ici et là à des tables qui jonchent le bar, tandis qu’une scène surélevée domine le reste de la salle. Sur scène, six musiciens sont installés en demi-cercle, dont je devine la présence de PJ Morton tout à droite.

Casquette vissée sur la tête, il balade frénétiquement ses doigts sur le clavier, harangue le public, tandis qu’à l’extrémité gauche deux choristes lumineuses chantent les chœurs. D’un seul coup, j’ai comme l’impression d’assister à une messe de gospel en plein cœur de Harlem. La voix des fidèles triomphe sur celle du pasteur sermonnant les paroles de Religion ou encore Alright, issues de son album « Gumbo » sorti en 2017. Bien qu’un certain sentiment de piété s’empare de moi, je rentre lessivée par le jetlag dans ma chambre d’hôtel, contactant en chemin quelques copains locaux pour qu’on se jette une bière avant la fin du festival. Rendez-vous pris : ce sera demain, après le concert de Connan Mockasin.

Une rumeur circule à Montréal

21h30. Jeudi 4 juillet. Une foule s’entasse sur le parvis du Club Soda, salle de spectacle aux allures de cabaret, dressée au 125 boulevard Saint-Laurent. Ce soir, l’artiste néo-zélandais Connan Mockasin vient présenter son dernier album « Jassbuster », sorti en 2018. Depuis « Caramel » (2013), ce dernier s’était fait plutôt discret. Son grand retour sonne alors comme une invitation au voyage et à l’intime.
Vêtu d’une chemise ample de sultan, pantalon type sarouel, et d’un bob enfoncé sur la tête, Connan Mockasin entame sans attendre les paroles de Charlotte’s Thong, balade alanguie de neuf minutes. Avec sa pop indolente mêlée à des moments de groove, l’univers de celui qu’on surnomme “le maître du chill” appelle au lâcher-prise. Les têtes et les corps balancent lentement, et ainsi, sur Momo’s, Les be Honest ou Forever Dolphin Love, la voix suave de Connan Mockasin se fait de plus en plus lointaine et vaporeuse. Elle devient le fil rouge d’un doux songe vers lequel on bascule avec autant d’élégance et de délicatesse. Lorsque je sors du concert, encore dans les vappes, je pars rejoindre mes copains locaux au bar L’Esco, 4461 rue Saint-Denis, sur le Plateau-Mont-Royal. Attablés en terrasse, nous discutons par-delà le clinquement des verres : «

Alors, comment se passe ton séjour à Montréal ? T’as vu quoi comme concerts ? », me lance l’un d’eux.
Puis un autre : « T’as entendu parler du grand événement de clôture qui a lieu samedi à 21h30 sur la Place des Arts ? »…

Interloquée, je déplie mon programme : Matt Holubowski. « Tu le connais toi ce gars ? » C’est vrai ça. Qui est donc ce Matt Holubowski ?

« Écoute, une rumeur circule à Montréal. C’est quand même les 40 ans du festival, et puis surtout, l’année prochaine, les deux fondateurs passent la main. C’est leur dernière année. »  Puis  d’ajouter : « À ce qui se dit, Matt Holubowski ne serait que la première partie d’un concert surprise. Et certains ont déjà leur petite idée… Ce serait… Les Rolling Stones. »

Sans détourner les yeux et avec une assurance déconcertante, il m’explique qu’Alain Simard et André Ménard, les fondateurs donc, connaissent l’un des membres du légendaire groupe de rock et que ces derniers viendraient clôturer cette édition d’adieu en leur honneur. Croyez-le ou non, mais si bien que je sois éberluée par cette théorie totalement capillotractée, le doute (l’envie) m’envahit. Il n’est pas vrai que dès mon arrivée à Montréal l’une des organisatrices m’a fortement conseillé de me rendre au concert de ce Matt Holubowski ? « Surtout venez, ça va vraiment être le fun, il ne faut pas manquer ce concert. En plus, il y aura une tour à gauche de la scène pour les journalistes et photographes. » N’est-il pas vrai non plus que les artistes ayant joué sur cette grande place cumulent les millions d’écoutes sur Spotify et Youtube (Charlotte Cardin, Nick Murphy fka Chet Faker) quand ce dernier n’en totalise que quelques centaines de milliers ? En rentrant dans ma chambre d’hôtel, je me précipite sur Internet, scrollant de part et d’autres les réseaux sociaux ainsi que les dates de tournées de Mick Jagger et sa bande. Tiens donc, il n’ont pas de concert prévu à la date du 6 juillet.

De Courtney Barnett au Marché des possibles

22h. Vendredi 5 juillet. Courtney Barnett vient de prendre d’assaut la scène du Mtelus, 51 rue Saint-Catherine. À la vue de cette trentenaire qui gesticule avec une aisance incroyable, aucun doute possible : c’est elle qui incarne rock aujourd’hui. Et finalement, celui-ci tient à peu de choses. Un batteur légèrement surélevé à gauche, un bassiste planté comme un piquet à droite, et Courtney en pantalon et t-shirt blanc, occupant à elle seule le reste de l’espace. Venu présenter son dernier album « Tell me how you feel » (2018), elle ouvre le show avec Hopefulessness, gracieuse balade mêlée à des solos de guitare hargneux, tranchants, glissant doucement vers un ensemble cacophonique. Derrière elle, des jets de lumières multicolores illuminent un dessin d’enfant placardé en arrière-plan. Comme possédée, chaque note semble la catapulter de droite à gauche de la scène, puis au bout du précipice vers une foule de plus en plus surexcitée. Alors qu’elle rase le public, la chanteuse harangue fièrement les paroles de « I’m not your mother, I’m not your bitch », morceau fiévreux et féministe qu’elle souille jusqu’à s’enrailler la voix.

À mesure que le concert s’installe, Courtney Barnett sous ses airs de garçon manqué crache en l’air et se tord, prise au piège d’une énergie incontrôlable. Nameless, Faceless ou encore Help YourSelf finiront par mettre le parterre de fans en totale ébullition. En sortant du concert, totalement lessivée, je tends l’oreille pour écouter les debriefs des festivaliers. C’est un groupe montréalais, Pottery, qui a ouvert le show de l’Australienne. Malheureusement, au même moment, je dégustais un Cuba libre devant un concert de rock psyché au Marché des possibles, espace en plein air dans le quartier Mile-End, au nord de Montréal. L’écrin a été surnommé comme tel après que des prêtres l’aient racheté, rasant tous les bâtiments qui s’y trouvaient, puis rebaptisé le « Champ des possibles », de sorte à offrir aux locaux un espace sans limites. Ainsi, chaque année, concerts de rock et autres animations en tous genres prennent possession de ce grand jardin d’Éden. Affalée dans un transat, j’envoie ici et là des textos aux organisateurs du festival : « J’ai entendu dire qu’il y avait une surprise demain, lors du concert de clôture sur la grande Place des Arts… t’es au courant ? ». Certainement en lendemain de cuite, l’un d’eux me répond : « Oui, trop bien ».

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Bizutage Outre-Atlantique

21h30. Samedi 6 juillet. “Grand événement de clôture”. Je file à toute vitesse du Marché des possibles où j’ai encore passé l’après-midi, pour arriver à temps sur la Place des Festivals. Comme prévu, une tour est installée à gauche avec vue imprenable sur la scène. La foule s’agglutine (environ 20 000 personnes) et applaudit éperdument le discours timide et émouvant d’Alain Simard et d’André Ménard, avant le début du concert. J’entends de loin l’allocution des deux pères, tandis que je soudoie l’un des agents de sécurité : « Vous êtes au courant d’un concert surprise prévu ce soir ? Après le concert de Matt Holubowski ? » Personne n’est au courant. Le Québécois déboule enfin sur scène. La foule est en délire, je reste perplexe. Originaire de Montréal, il est en terrain conquis. Les minutes s’allongent et toujours aucune apparition divine. Je dois me rendre à l’évidence. Les Rolling Stones ne viendront pas ce soir.

Prise en proie à une réelle frustration, je rentre avant la fin du show, souriant malgré moi. Était-ce une sorte de bizutage cruel de la part de mes cousins d’Outre-Atlantique ? Ai-je été la seule à croire à cette intox ou la rumeur circulait vraiment dans les rues de Montréal ? Sincèrement, n’aviez-vous pas, vous aussi, envie de croire à ce joli bobard ? Il est minuit, le rideau se ferme sur le Festival International de Jazz de Montréal. Malgré ma déception, il va sans dire que la cité montréalaise recèle bien d’autres mystères, et que je serais la première à me prendre au jeu l’année prochaine.

2 commentaires

  1. Un concert gratos , les Stones ??
    depuis Altamont c’est plus trop leurs trucs, (69 au fait date anniverssaire i Too…)
    de toutes façon ne regrette rien, les papys du rock sont vraiment au bout que ça fait peine
    j’ai assisté peu avant sa mort a un concert de Johnny Winter dans le même sale état de délabrement que Keith que j’en suis toujours traumatisé

  2. Hey ,
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    Anto Desouza

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