Avis à nos lecteurs les plus blasés, il se passe un truc en France en ce moment ! De plus en plus de groupuscules se mettent à produire dans leurs caves des disques suintant bon les synthés modulaires, la beatbox eighties et l’écoute intensive de Suicide, Kas Product ou Bashung circa 1981 sous forte influence Alan Vega/Joy Division. De Maman Küsters à Monsieur Crâne, de Larme Blanche aux Lignes Droites – comme c’était déjà le cas chez Mendelson ou Bruit Noir – toute une génération d’ex-guitaristes métamorphosés en men machine décide de ne plus dissimuler leurs harangues derrière la facilité de la langue anglaise et plonge sa plume acide dans le cul du petit Larousse. Il était temps que des artistes français issus de l’underground se décident à chanter dans la langue de Molière avec classe et élégance, et renvoient à leur Brevet des collèges tous ces crétins des radios mainstream juste bons à finir en sonneries pour smartphones.

Grand connaisseur de Gainsbourg, The Hacker m’a un jour raconté une anecdote de l’époque ou Alain Bashung se trouvait en studio en 1982 pour l’enregistrement d’un album culte dont le grand Serge avait écrit les textes. Tard dans la nuit, et après avoir cramé dix paquets de Gauloises sans filtre, les deux légendes de la chanson française se sont retrouvées à court de flotte et Gainsbourg bien allumé a fini par proposer à Bashung de diluer leur fond de Ricard avec de la vodka pure. De ses mythiques sessions arrosées naîtra l’album « Play Blessures », dont un des titres Scènes de manager est une sorte de matrice des projets dont je parle dans ce papier.

 

Commençons tout d’abord par Monsieur Crâne qui bien de publier son dernier LP « Apocalypso ». De son vrai blaze Mickaël Appollinaire, connu initialement comme leader du groupe bordelais Lonely Walk, l’artiste prêche ses fulgurances textuelles dadaïstes depuis une bonne décennie dans des projets aussi divers que Strasbourg ou en solo sous le nom de Monsieur Crâne. Après avoir écumé, avec sa formation Lonely Walk, quelques labels aussi réputés que Born Bad, Le Turc Mécanique ou Satanic Royalty (sur lequel on retrouve les punks de Cobra), le doux dingue armé de son micro se décide enfin à composer en solo avec des boites à rythmes vintage (entre autres la fameuse LinnDrum qu’on entend sur Enola gay d’OMD ou chez Absolute Body Control) et des synthés antédiluviens. C’est sombre sans être lourd, efficace sans être putassier, surréaliste et pince sans rire, potache parfois aussi, mais bordel que ça fait du bien ce nouvel album synthétique et minimaliste chanté en français. Le garçon m’a contacté il y a quelques années quand il était à la recherche d’un label pour un album de Lonely Walk, j’avais décliné son offre pour des raisons stylistiques, mais une chose est sûre si cela avait sonné comme cet « Apocalypso » je l’aurais sorti les yeux fermés. Mais je n’ai pas de regrets puisque le LP vient de sortir sur l’excellent label synthwave Tonn recordings de Belfast dirigé par Mary McIntyre.

 

En traînant mes Doc Martens par hasard sur Bandcamp je suis tombé miraculeusement sur un quintette parisien nommé Les Lignes Droites. Dès la première écoute d’un de leur vieux track Rêve Avéré sur YouTube je me suis pris une grosse claque rockab’ synthétique entre Suicide et les Cramps. En voulant en savoir plus j’ai acheté toute leur discographie, et je me suis jeté tout particulièrement sur leur dernier album « Karl » (sorti ce mois-ci sur le label Velours). A l’écoute de la chose, frappé je fus par l’esthétique tordue de leurs sons et la beauté de textes soignés et chantés sur des compositions en mode ternaire façon Electronicat en son temps. Oscillations sous un néon, on voyage entre des univers orwelliens et des réalités quotidiennes existentielles, dans ce chaos texturé et maîtrisé de ces fils de Paname on se surprend à penser à un Taxi Girl ou un Complot Bronswick remixés par My Bloody Valentine. La majorité des titres du dernier album ont été composés entre septembre et décembre 2019, peu avant la pandémie. Après des débuts intéressants, mais encore trop proches d’une pop française éclairée façon vieux Dominique A, Nicolas Ker ou Feu Chatterton, on sent qu’aujourd’hui avec « Karl » le groupe joue sur le fil du rasoir, tutoie les abîmes de la mélancolie et d’un certain nihilisme romantique cher à notre époque passablement anxiogène, avec un regard habité, lucide et détaché. Combo vivement recommandé aux fans de Vox Low, Deus, Limiñanas et Avril (qui se souvient d’Avril et de son superbe Be Yourself ?).

Le dernier de ma liste est un projet solo nommé Larme Blanche (pour éviter tout conflit d’intérêt je précise que ce keum cagoulé est signé sur mon label mais qu’on se fout totalement que vous achetiez ou pas ses disques tant que vous écoutez ses paroles, Ndr). Parisien d’adoption, le garçon porte la cagoule et la parka couleur taïga mais rechigne à donner son identité, chose que je peux comprendre quand on écoute ses paroles trempées dans un mélange de bile et d’acide sulfurique. Ce projet c’est un peu le chaînon manquant entre Death In June, Suicide et… Musique Post Bourgeoise ! Rarement une plume aura pesé aussi lourd dans le contexte actuel, défiant les lois de la gravité et de la bien-pensance, Larme Blanche raconte son quotidien de fils de France esseulé, morose mais ultra-lucide, il ose coucher sur le papier des constats amers mais sans amertume, affine ses rimes comme il affinerait la lame d’une baïonnette avant de se lancer dans un corps à corps décisif.
Dans « Egotripes » il dénonce ce que nous n’osons pas regarder en face, avec une pointe d’ironie et de cynisme qui peut parfois s’avérer salutaire quand il ne te reste plus rien pour survivre jusqu’à la fin du mois. Sur une base minimaliste qui s’inspire à la fois de la folk industrielle de Death In June, et des stances synthétiques de Suicide, rythmées par une diction semi-parlée/semi-rappée qui n’a rien à envier à Stupeflip, Casey ou Musique Post Bourgeoise, Larme Blanche témoigne de l’impitoyable quotidien d’une jeune urbain avec autant de délicatesse que le regretté Philippe Nahon (décédé en 2020), dont il sample une tirade percutante du film de Gaspar Noé, Seul Contre Tous, et la balance comme un glaviot dans ta gorge de fin de race apeurée. Après un premier album prometteur en 2019 (« Demain Est Mort ») dont les 3 tubes principaux Paris la nuit, Taïga et 88mph ne cessent de tourner insidieusement dans l’esprit de celles et ceux qui réussirent à chopper ce skeud (aujourd’hui épuisé), Larme Blanche se place au-dessus de la mêlée, il titille nos références, faisant fi des influences les plus évidentes pour en extraire les plus fines des outrances, emporté par la joie des jeux mots, et la déformation décadente du verbe. Un futur antérieur pour âmes damnées, tel un Templier les couilles en équilibre sur le gouffre de la vie. Avant lui il y a bien eu Musique Post Bourgeoise dans le genre cynique synthétique, mais derrière lui ce sera beaucoup plus difficile de pondre des textes aussi acérés ! Vous apprécierez ce flow sous fentanyl et les tentaculaires mises en abyme littéraires à faire passer Fuzati et son Klub de Loosers pour des comiques de cabaret.

4 commentaires

      1. c’est l’UPR ton label c’est ça? ahah c’est exactement ça:l’arnaque du faux prophète déguisé en sauveur. Tu finiras comme Pac Katari.

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