Un physique de poupée rigide en faïence, un passé de nécro-chanteuse chez Sex In Dallas, de longs silences radio entre Paris et Berlin, Mohini reste une énigme à plusieurs trous. Qu'à cela ne tienne, son nouvel EP Milk teeth affole tout le Paris avec des pleins et des déliés, des synthés frôlés par des gestes désarticulés, des échos venus d'ailleurs et des mentors de premier choix (Nicolas Ker, Koudlam).

Un physique de poupée rigide en faïence, un passé de nécro-chanteuse chez Sex In Dallas, de longs silences radio entre Paris et Berlin, Mohini reste une énigme à plusieurs trous. Qu’à cela ne tienne, son nouvel EP Milk teeth affole tout le Paris avec des pleins et des déliés, des synthés frôlés par des gestes désarticulés, des échos venus d’ailleurs et des mentors de premier choix (Nicolas Ker, Koudlam). Le visage de Mohini, lui, reste empli de grâce immobile: la beauté placide des mannequins, que voulez-vous, est un pare-brise à l’épreuve des belles.

Elle a ses petits pieds serrés qui louchent vers l’intérieur, un éternel look de midinette à chanter des saloperies en tripotant sa jupe plissée et puis cet éternel regard de bovin défroissé qui fait qu’on lui parle toujours de haut lorsqu’elle chante tout bas. Non, franchement, France Gall n’a vraiment pas eu de bol et plus d’une sucette à avaler comme des couleuvres. Mais soyons juste, le destin des muses n’est décidément pas facile. Vivre dans l’ombre des grands créateurs – souvent couchés sur le flanc des inspiratrices, épongeant leur créativité d’un coup de poignet bien transpirant, s’affranchir des étiquettes collées sur la peau, trouver sa place quand Mr Gainsbourg vous enfourne un pipeau à vous en crever la cellophane, gagner son indépendance quand Cloclo vous quitte1 et qu’il faudra encore se taper Julien Clerc dans la foulée… Bref, je m’égare; être une poupée gonflable s’avère être un exercice périlleux, la valve toujours prête à exploser.
Plus près de nous seigneur, ce sont d’abord Alizée et Uffie qui ont ouvert le bal de l’année 2010, prête à se faire gonfler à l’hélium pour quelques mélodies de Château Marmont, Mr Oizo ou Mirwais. Une belle façon de renouer avec la grande tradition des mannequins désarticulés parées pour souffler dans le micro de belles mélodies façonnées par d’autres. La chanteuse, ici, n’est qu’un conducteur, un mince filet de voix tout juste capable de transcrire l’émotion du créateur avec l’indifférence adéquate. Bien penser à régler la fréquence sur poupées de son(g), fermer les yeux et s’envoler au doux son des baudruches qui s’envolent. Etre gonflable, c’est bien souvent être plus légère que l’air de la chanson.

Compositrice, auteur et interprète, Mohini possède tout de même un nom à coucher dehors. Et pas avec n’importe qui. Mannequine à l’occasion – sans mauvais trait d’esprit – exilée à Berlin pour faire le point après sa rupture d’avec Sex in Dallas, Mohini Geisweiller possède un très juste physique d’hôtesse de l’air – décidément, cette métaphore n’en finit pas – au regard imperturbable, au chant désincarné, aussi loin de son sujet que sa propre existence. Sur ce nouvel EP 7 titres, Milk teeth, la « désintention » semble plus palpable que jamais, Mohini reste collée à son micro avec l’élégance des tops modèles et semble tripatouiller ses synthétiseurs avec l’innocence des filles un peu ailleurs – ou disons le franchement, un peu neuneu. Françoise Hardy des Korg ou Chloe des lofts parisiens, l’histoire ne dit pas où Mohini atterrira finalement, ce qu’on sait en revanche, c’est que les cinq nouvelles compositions originales relèvent parfois de l’anecdotique (Toward) et parfois du génial, lorsque la belle se maquille en Elli (mais sans Jacno dans le derrière) sur Paris 2013. La projection dans un futur sans affect, sans coït, où l’électro se consommerait uniquement en pilule. Rouge pour danser, bleue pour dormir. Au milieu, Mohini et ses comptines Nico Icon, forcément shootées vu les références. En étant sincère avec soi-même, la sortie de ce nouveau micro-disque restera finalement un micro-événement pour les branchés de la ceinture parisienne, Mohini jamais vraiment juste dans son timbre, parvenant difficilement à s’affranchir de son rôle de chanteuse unfuckable. Intouchable, dans tous les sens du terme, inviolable, sous l’épiderme.

Il faudra encore supporter un titre chanté en français, Tempe, avant d’arriver à la grande émotion d’un disque froid. Mohini se fait la voix grave, retient sa respiration de l’intérieur, soutient son champ d’un micro-synthé fin de monde, fin de connexion. Paris rien à faire, ou l’odyssée urbaine de zombies sous Méthadone. Puis déboule l’impensable, à ce stade. Deux remixs qui explosent le carcan souvent imposé par le lexique des Djs réduits au néant Guetto-Nietzschéen.
Frank Sinatra des dancefloors, Jean Genet des autobahn, Nicolas Ker (Poni Hoax) impose sa loi martiale sur son Milk Teeth revisité période décadente d’un monde affublé d’un suppositoire atomique dans l’orifice intérieure. C’est beau, puissant, maximaliste2, rempli d’une soul froide à chanter du Marvin Gaye dans les douches froides. Second remix à faire son petit effet, celui de Toward par Koudlam, qui forcément embarque la soucoupe direction les cités incas avec la promesse d’une injection létale avec maquillage inclus Tout Traumatisme Compris. Sans le savoir, Mohini fournit ici le grain à moudre, la poudre à exploser, à deux grands noms de l’électro française, confirmant son implacable rôle de muse qui n’amuse que les dépressifs, les amateurs d’O.D. et les lecteurs de littérature futuriste à l’abri dans un bunker.

Sept titres dont la moitié géniaux, deux remixs à jouir dans un freezer, Mohini est finalement telle qu’on l’avait longtemps fantasmé, mi-dent de loup mi-dent de lait, taxi girl improbable pour les voyages longues distances. Plus balle qu’une belle, écrira-t-on pour conclure, définitivement plus à un paradoxe près pour remonter le mécanisme des poupées.

Mohini // EP « Milk Teeth » // Columbia
http://www.deezer.com/fr/#music/mohini/mohini-geisweiller-597295

1Ne pas oublier que « Comme d’habitude » lui dédiée, quand Claude François largue France Gall. Une rupture trébuchante mais tout de même très sonnante, d’un point de vue financier.

2Le prochain genre musical, le grand chambardement culturel des prochaines années, je vous le parie sur facture.

6 commentaires

  1. Gonzaï, ou la voix de son maître (technikart)…

    C’est bien de tirer sur les ambulances, type arcade fire, pour ensuite laborieusement nous trouver du « génial » (!) dans un disque aussi insipide et surgelé, marrant de vous voir vous transformer en critiques couchés dès qu’il y a de la hypitude dans l’air…

  2. Réellement, je ne vois pas ce que ce commentaire vient faire ici. On pourrait au contraire parler d’Alister, Koudlam, Nicolas Ker défendus ici bien avant que la presse n’en parle.

    Il faut arrêter de penser que l’avis est guidé par les autres. Je n’ai pas besoin de l’avis d’autres personnes – quand bien même je les respecte au plus haut point – pour écrire des conneries ou des choses qui vous déplaisent.

    J’ajoute: les pistes de Mohini ne m’ont pas ébranlés autant que les deux remixs de – surprise – Ker et Koudlam.

    Bien à vous, sans hype.

  3. Ne finassez pas trop : je parlais avant tout de critique musicale. Il y a que vous (gonzaï) êtes complaisants, et que je ne suis pas le premier de vos lecteurs à vous en faire la remarque (voir le papier récent sur Hot chip). Je pourrais également vous rétorquer que vous avez parlé d’un groupe comme SunnO))) (au hasard) bien après « la presse », sans hype, mais avec opportunisme. Bref, libre à vous de vous prendre pour des défricheurs (vous me faites rire avec votre liste)… Ce n’est pas le premier disque plus que discutable, Bester, sur lequel vous en rajoutez un maximum (cf l’album de Joakim) et donnez dans l’emphase. D’où ma perplexité. Je me repète, mais vous parlez de titres géniaux là où je n’entends que boucles électroniques banales sur chant aseptisé. Je vous reproche d’être du côté du bon goût -et pire : indulgent- et de vous déguiser en franc-tireur. Et ce qui m’ennuie le plus, à mesure que je vous (gonzaï) lis, c’est de constater la morgue dont parfois vous pouvez faire preuve, cette volonté, que vous avez, de soi-disant vous démarquer, figures gonzos intouchables en modèles, lorsque tout lecteur sérieux ne peux que constater une ligne éditoriale et un ton ressemblant (de plus en plus) à ceux de vos « confrères ». C’est un fait. Cà me désole de me dire que votre webzine est dans l’ensemble constitué de petits malins suiveurs de tendances, adeptes -puisque c’est la norme- du jeu de massacre facile (« musique désincarnée », les papiers dégoûtants de Mr Ig), plutôt que de purs passionnés de musique; c’est en ce sens que je vous vois comme un énième relais tiède des mêmes produits culturels, et événements, que le voisin, alors que vos postures « esthétiques », si je puis dire, suggèrent sans arrêt un angle d’attaque différent, voire unique…Je me doute bien qu’il n’y a pas plus je-subjectif que vous, Bester, et qu’heureusement vous vous foutez de l’avis, comme des critiques, de vos lecteurs grincheux.
    Salut.

  4. Détrompez-vous, Yvan, je lis tous les commentaires négatifs deux fois plus attentivement que les autres, c’est toujours intéressant et souvent constructifs.
    Là, j’entends très bien ce que vous dites de façon générale.
    Je crois que l’exemple sur SunnO (un groupe que je ne comprends pas personnellement) n’est pas le plus probant dans votre réflexion, il était écrit par un VRAI passionné. Mais bref.

    En fait, je pense que je pinaille plus sur le fond que sur la forme, concernant vos commentaires.

    Là où vous parlez de complaisance, moi j’entends simplement de mauvais choix. La « complaisance », ce serait de faire plaisir à des annonceurs, des marques, des lobby, des gens qui nous paieraient grassement pour dire du bien de leurs artistes.

    Or, ce n’est heureusement pas le cas.
    Sur le déguisement, c’est une étiquette qui revient souvent dans les critiques négatives, je suis bien prêt à l’entendre de façon générale sur certains papiers, je suis même prêt à dire que vous avez raison.

    Les deux réflexions qui me viennent, en vous lisant, sont celles-ci:

    1. Cela fait plusieurs mois que je peine à entendre des groupes – qui plus est français – qui arrivent à m’émouvoir très profondément. Les derniers, c’était Mustang. Si vous avez des noms à me transmettre, je suis 100% preneur. (Ceci n’est pas une provocation second degré: je suis sincèrement preneur)

    2. La vérité brute n’a pour moi que peu d’intérêt. Je préfère mille fois lire un papier sur Tame Impala qui part dans tous les sens plutôt qu’une analyse technico-commerciale du disque et du pourquoi les batteries sonnent aussi bien avec la réverbération. De la même façon, l’idée qu’un rédacteur tente d’enfiler un costume de super-héros lorsqu’il commence un article est quelque chose qui m’a toujours plu. C’est parfois risque, raté, prétentieux, parfois génial, marrant, pertinent. On tente, et mieux vaut tenter que de ne rien faire. Ou ne rien dire.

    Bien à vous, et surtout très sincèrement.
    B.

  5. La reprise/remix de Koudlam mérite une vraie injection létale, absolument horrible dans un son médiocre.
    Toward par Mohini seule par contre, vraie beauté, lancinant, crépusculaire.

  6. Pour ma part, je suis complètement d’accord, rien dans cette album ne m’a enchanté, et juste un bon point, le sublime remix ou plutôt reprise/morceau de Koudlam. Le reste est sans saveur, mou, et parlé avec un ton mou qui ne me plaît pas. Et c’est dommage car on m’a fait écouté les versions initiales des morceaux, et c’était beaucoup plus vivant. Moins morose.
    Heureusement que le morceau de Koudlam vient sauvé un peu tout ça.
    Oui « Focus » Mohini, c’est bien lancinant, c’est vrai.

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