Dans sa recherche de rédemption, Marc avait appris à composer avec les sentiments les plus extrêmes : jalousie du passé d’autrui, amassement des corps qui s’entrelacent, regards amers des anciens frères d’armes et débâcle de l’esprit qui aspire pourtant à de plus hauts sommets. Marc avait expérimenté l’année 2010 comme celle de l’écartèlement : son corps était tombé si bas que son esprit s’était fêlé en une palette de miettes calcinées. L’humanité l’avait déçu sans qu’il y porte un grand intérêt. Il avait cru trouver un allié meurtrier dans la liqueur qui, pourtant, ne daignait plus lui faire battre la cadence sur le ventre des maharadjahs. La quête appartient à ceux qui explorent l’inconnu et Marc ne voyait désormais la ville qu’en nyctalope : les lumières éteintes, personne ne pouvait être accompagné par sa propre ombre.

Perdu dans les rues d’une cité-dortoir où ne se côtoie que la fine fleur de la Bucolique Internationale, Marc prenait son ticket pour un grand huit direction le passé : retrouver les sensations de ses 22 ans grâce à la force des poignets de Matt Verta Ray, prêtre clouté de Heavy Trash. Confesseur de toutes ses prières secrètes, le matador new-yorkais avait une place de choix dans le coeur de Marc : il restait le condensé exact de ses plus furieux brûlots et des braises de son romantisme. Des épopées, Marc n’acceptait que l’exactitude des hommes embarqués pour une aventure qui les dépasse. Matt, lui, guitariste par sa nature, avait réussi à souffler sur la flamme des Hommes croyant à l’insensé : la musique pouvait ainsi sauver la vie sans que l’on en comprenne la destinée. Ce concert ne pouvait se solder par un échec, car quand on prête allégeance au capitaine, on accepte que la terre se fasse parfois plate. Toutes voiles dehors et équipé des gri-gris qu’abordent parfois les hommes superstitieux (chapelet, talons cubains et skull ring), Marc retrouva l’équipée sauvage qui avait fait la gloire de ses 20 ans. Beau, vigoureux, lettré ; le clan avait connu les remous qui s’activent dans la transition des âges. Et pourtant, ce soir, ils étaient redevenus la fierté de tout une génération : désinvolture, la réplique légère qui assassine le simple d’esprit, les tendons gonflés et les regards qui s’entrechoquent en feintes de fleuret. Cette alchimie de camarades où chacun meurt pour l’autre était animée par le sentiment oublié des citadins occupés : l’amour. Aimer un groupe à en perdre ses dents, aimer sa vie à en perdre le sommeil… Salvateur, Marc goûtait le sentiment comme on le fait des meilleurs repas : à pleines molaires et en bonne compagnie.

Il faudrait ici remettre les choses dans leur contexte : six jours auparavant, alors que Marc dédicaçait des livres pour une jeune fille ayant l’air plutôt encline à lui montrer sa poitrine, le seul réel dandy qu’il connaissait avait fait vibrer un peu plus que son téléphone. Un simple verbe conjugué à la première personne, un « je t’aime », ou l’histoire d’une déclaration perdue dans le labyrinthe des répertoires numériques. Confondu, l’homme de goût s’excusa du mauvais portage, et Marc comprit que face aux sentiments, même les plus hauts principes du savoir-être doivent s’effacer. « L’histoire d’un amour » étant avant tout l’acceptation que si Dieu se faisait discret, les hommes avaient tendance à prendre une place de choix dans les esprits attentifs. Marc plaça donc ses livres à cette place et pensa à toutes ces bonnes âmes qui donnaient sans espoir de recevoir en retour. Dans la liste se côtoyaient parents, martyrs, belles épaules et nombre de prétendants à la « guitar army » où la musique est avant tout pratiquée pour connaître « l’un touchable ».

Inculte de l’architecture, Marc pensait que Mains D’oeuvres avait tout de la salle de sport pour personnes en convalescence.

La grande salle de restaurant était équipée d’un mobilier peu enclin au repos ; une suite d’escaliers à incendie donnait accès à des salles de douches où il était de bon ton d’uriner. La faune compacte était composée de visages aux résonances spectrales : images du passé que l’on évoque uniquement dans le but de se rassurer sur notre état actuel. L’équipée sauvage ronronnait au rythme des cigarettes brûlées, et l’attente du retour des rois se faisait dans la certitude d’une soirée réussie. Quant on a connu comme Marc l’embarras des familiarités enterrées, on sait que le plus dur est toujours derrière soi. En apéritif corsé, ils allaient donc prendre Cheveu : groupe capable de beaucoup de ravages avec un ingénieur du son peu clément envers les tympans. Mais les verres de bière furent vite abandonnés sur deux considérations : petit a/ le groupe sonnait mou ; petit b/ le leader méritait un gros câlin car b1/ il avait l’air d’être en souffrance continue et b2/ il se montrait pourtant de plus en plus passionnant. Nouveaux morceaux, guitares compressées ; du fond de la salle, Marc comprenait que les cinq premiers rangs ressemblent à une marée humaine emportée dans un cyclone. Trop faible de par sa nature et son manque d’équilibre, Marc n’avait pu rejoindre le grand large, enfermé dans le mystère d’un public singeant le garde-à-vous lors d’un concert punk. En avant marche donc, pour le poste de franc-tireur du grand concert.

Feinte de coup droit et dégagement de l’axe de visée d’une ancienne maîtresse trentenaire (« ce n’est pas de mon âge » pensa Marc) les fracas du rock’n’roll avaient gardé tout le sel de ce que l’on trouve dans les récits d’Yves Adrien : pas de bonjour, directement dans les cordes et tout le monde mélange sa langue au troisième morceau. Heavy Trash, ambassadeurs des causes perdues de notre époque : grands musiciens, techniciens invisibles, tricotage d’un show sans accroc et répertoire 100% trans-Atlantique. Le backing-band danois (Power Solo) avait beau être moins bon que leurs comparses new-yorkais ; les concerts de cette trempe se faisaient aussi rares que les albums écoutables d’un bout a l’autre du sillon. Spencer avait beau ressembler de plus en plus à un coucou incendiaire… Mais ce n’était que pour Matt que Marc n’avait d’yeux. Dans une émotion piquée d’homosexualité, les attaques du matador et les sourires de l’homme évoquaient à Marc un bonheur parcouru de cicatrices. Cette guitare était taillée dans la conviction que l’homme juste se présente debout et PROPOSE une alternative. Certainement, la prise d’otage reste la stratégie des défroqués. Mais l’invitation, elle, est celle de l’homme honnête. Chanson country, bluette et proto-Chuck Berry, tout ici n’était qu’une invitation au voyage, une vision de paradis offerte généralement par les jupes  allant chercher les livres en haut de la bibliothèque.

« Vous serez baptisé par l’eau, vous communierez par le corps« . Marc eut des visions de ce corps : cette veste à strass qui pressait ses hanches contre une braguette dorée ; ces cheveux courts et sauvages qui tiraient d’un marasme d’ombres des lèvres dessinées de sang. Le fracas, l’entraide : chacun avait choisi son partenaire et s’offrait une rédemption dans un déchaînement de vitalité. Marc redécouvrit son chapelet au quatrième bouton sauté de sa chemise, le groupe entamait un groove moite et tout pouvait bien redémarrer ici. Ceux qui gardent la foi seront toujours remerciés par la grâce.

Le froid mordant les corps en sueur, l’équipée allait devoir lever le siège une nouvelle fois. Chaque membre savait qu’il venait d’assister à une sorte de miracle ordinaire : celui de la camaraderie en valeur absolue. On s’y serra chaleureusement et sans promesse pour le futur. Passé quelques évocations sur ce tour de piste ayant circonscrit les limites, Marc partit offrir ses livres : la vie n’est qu’une suite de présents que l’on ne cesse de s’échanger.

http://www.heavytrash.net/
Crédits photos : tous droits réservés par Kmeron

4 commentaires

  1. Je ne sais pas si c’est parce qu’il est trop tôt le matin, si j’ai du mal à bien lire et comprendre sur mon écran de portable, l’effet des médocs que je prends ou mon manque flagrant de culture littéraire que j’ai du mal à piger ton article. J’ai l’impression de lire du Tournier ou du Bachelard … Du coup je reste dubitatif comme après la première fois que j’ai vu Mulholland Drive et je me demande si après 15 lectures (tout comme les 15 visions du Lynch) je ne vais pas rester planté là à me dire que je n’y comprendrai jamais rien …

    Bah, je ne critique pas ton article, mais j’ai l’impression d’être complètement à côté de la plaque. J’apprécie ton style mais le fond reste un questionnement qui ne me permet pas de rentrer dans le sujet. Il s’agit bien d’un CR de concert ?

    Désolé d’avoir du mal à accrocher et surtout à piger.

    Amicalement,
    Poulpy

  2. « ce n’est pas de mon âge »
    Et c’était pourtant ton idée. Même surpris tu étais que je ne revienne pas.
    Avec la maturité viendra la suite dans les idées


  3. donc une « réalité fiction » (pardon?) et même dotée d’interactivité, où les personnages répondent à leur auteur et à ses manières cavalières 🙂

    ( comme on dit « Toute ressemblance avec des personnages ou des situations réelles est purement fortuite » )

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