Il est bien loin, le temps où le rockeur britannique avait une aura sexuelle palpable à 3 kilomètres à la ronde. Aujourd’hui, la querelle oppose les Kooks aux Arctic Monkeys, rien de très excitant. Et quand bien même suis-je accro au binôme Rolling Stones/Kooks, Miles Kane est quant à lui 100% Beatles/Artcic Monkeys, tout droit sorti d’une publicité pour Penhaligon’s feat. the Kooples, avec une tête de sale gosse et des futals trop bien coupés pour être honnêtes. Miles Kane ? Un nom qui est à lui seul une véritable marque de fabrique "made in UK".

Mais bon, en musique, tout est question de contexte. Le nôtre est celui d’une musique commerciale agrémentée d’une façade en PVC rose paillette à vomir, le tout illustré par des femmes nues aux formes généreusement industrielles. Il est vrai que la musique actuelle ne laisse, pour beaucoup de la production, qu’un goût d’amertume face au trop-plein de fantaisies sonores auxquelles se sont livrés les musiciens par le passé. Force est de constater qu’une grande partie de la jeunesse actuelle ne vit que dans les années 60. Et encore, beaucoup d’entre eux ne comprennent pas la portée de ce qu’ils écoutent et sont à mille lieues de se douter qu’ouïr un morceau des Beatles à l’envers peut ouvrir une autre dimension. Mais il se trouve qu’un jeune chanteur britannique semble avoir trouvé grâce aux yeux des petits Français.

Il faut dire que Miles Kane a tout pour plaire aux bobos rockeurs. Il est jeune, talentueux, guitariste, possède un physique atypique sentant la bière et la Soupline, ainsi que de belles pompes. Pourtant ses prestations scéniques sont intouchables. Quand ses pieds foulent la terre promise, Dr. Kane laisse place à un Mr. Hill torturant le plancher de la scène grâce à son public enflammé. Ivre de live, son cœur ne bat qu’à la lueur du néon «on stage », si possible en harmonie avec les claquements de mains de ses milliers de groupies. Bien qu’ayant un dégoût naturel pour toute personne sentant l’Ajax et le tabac à pipe à 500 mètres, je n’ai pas su dire non lorsque l’occasion de rencontrer Miles s’est présentée. Bien au contraire.

Il est 17 h 45 le lundi 30 avril lorsque Havana Blue, photographe, et moi-même arrivons devant la Cigale pour rencontrer le jeune éphèbe. Dehors, il y a déjà foule ; on n’est même pas à Liverpool. Néanmoins, des adolescents aux allures de rock stars britanniques, arborant Ray-Ban et de Perfecto, attendent bien trop sagement le début du concert en se dévisageant mutuellement, jouant à qui sera le plus beau, le plus rock, se livrant à une lutte entre mâles dominants. Vu d’ici, le concert semble s’annoncer tel Casimir revenant sur l’Île aux Enfants après plusieurs mois d’absence.
À ce stade du récit, il faut que tu comprennes, chère lectrice – ou cher lecteur – que je parle aussi bien la langue de Shakespeare qu’un Anglais arrive à prononcer le mot « écureuil » en français. C’est-à-dire très approximativement. Fort heureusement, je le comprends quite well. C’était sans compter  l’incroyable accent liverpudlien de Miles Kane. Imaginez-vous un Anglais essayant de parler en français à un Marseillais pur cru Pagnol… À ce moment précis, je réalise que les Beatles ne sont plus aussi sexy qu’avant, si tant est qu’ils le fussent un jour.

Un British ressemblant à une belle solanacée rouge – je ne sais toujours pas s’il s’agit du tour manager ou d’un ingénieur du son – nous attend pour nous annoncer que, contrairement à ce qui était initialement prévu, nous ne pourrons pas prendre de photographies à la fin de l’entretien. De toute façon, j’ai à peine le temps de négocier que la porte s’ouvre sur le principal intéressé. «Voulez- vous boire quelque chose ? », nous demande le gentleman en ouvrant le micro-frigo de la loge. « Bière, Coca, eau ? » Une bière, s’il te plaît. De toute évidence, le stress nous pousse à la consommation d’une boisson moins délicate que le Coca. Après les Beatles, c’est le mythe de la Française qui s’effondre. L’interview avec cet Anglais débute ainsi, autour d’une bière et d’une bouteille de Cristalline, pour parler d’un nouvel EP, de scène et de musique de grenouille.

Ton dernier clip, First of my Kind est en partie tourné à Paris.

Pour cette vidéo je voulais faire simple, que la musique prime ; ne pas avoir une grande mise en scène et tout. Juste une camera, comme Richard Ashcroft dans sa chanson Bittersweet Symphony. Seulement chanter devant la camera et être moi-même. On avait commencé à Londres et ça s’est terminé a Paris. C’était une très longue journée. Mais c’est que j’aime tellement Paris, merde !

Tu as l’air d’une personne généralement assez réservée, alors que sur scène tu es beaucoup plus confiant…

Je pense que c’est parce que je me sens chez moi sur scène. J’adore ça, tout simplement. Mais en fait, je ne vois pas trop de différence entre parler ici avec toi et chanter, jouer de la guitare sur scène. C’est juste que sur scène, je ne peux plus me contenir, je perds la raison, tu vois ?

Oui, ça j’ai vu. Gardes-tu as un souvenir de scène particulier ?

Il y a eu plein de concerts géniaux, surtout cette dernière année. En fait, là je viens de terminer ma grande tournée en Angleterre.

Mais ça marche bien en France, non ?

Oui, je pense qu’on y arrive. On est sold out ce soir, donc on va pouvoir faire exploser la baraque.

Tu as débuté avec deux groupes (The Little Flames et The Rascals), puis enchaîné avec un duo (avec Alex Turner, dans The Last Shadow Puppets) et l’année dernière tu as publié un album solo. Etais-tu guidé, depuis tes débuts, par l’envie de ce disque en solitaire ?

Ce n’était pas vraiment planifié. Cela fait partie des choses qui arrivent comme ça. C’est vraiment juste histoire de faire de la bonne musique et de poursuivre mes rêves. À la fin, le groupe ne marchait plus vraiment bien et je me suis dit « laisse tomber, tu vas le faire seul ». Donc à présent je joue du bon rock’n’roll, c’est tout. Et le faire seul m’a aidé à améliorer des choses, musicalement. Faire vraiment les choses comme je les sens, en progressant.

Parlons de « Colour of the Trap« . J’ai remarqué que les paroles de toutes les chansons ont pour thème l’attirance pour une même fille. C’est un thème récurrent dans l’album,  j’aurais voulu savoir pourquoi ce choix uniquement.

(Sourire gêné) Eh bien… Euh…

Je vois que tu es gêné et ce n’était pas mon intention… Passons à la question suivante.

Non, non, je vais te répondre. Je suppose que c’est parce que lorsqu’on écrit un album, c’est toujours avec les émotions du moment. Tu sais, des histoires sur une fille que tu as rencontrée, toutes les émotions liées à ce genre de choses.

(Je remarque un gobelet avec un fond d’eau et des cendres)

On peut fumer ici ?

Bien sûr.

Tu veux une cigarette ?

(Long moment d’hésitation) Non, j’essaie d’éviter, j’attendrai la fin du concert.

Pour la voix ?

Oui, et j’essaie d’arrêter.

Ta musique est assez travaillée, disons que ce n’est pas uniquement guitare/basse/batterie avec des riffs basiques. Composes-tu seul, ou es-tu épaulé ?

C’est du genre 50/50. J’aime travailler avec des gens. Un groupe ou un producteur… Ça aide à donner un meilleur rendu, mais ça dépend du morceau.

Tu as eu beaucoup de contributions dans « Colour Of The Trap » (Noël Gallagher sur My Fantasy ou Gruff Rhys pour Quicksand), penses-tu collaborer avec d’autres musiciens pour le prochain album ?

Je ne sais pas trop pour le moment, on y réfléchira lors de l’écriture. Mais ce n’est pas encore vraiment décidé. J’aimerais beaucoup refaire un duo dans l’album, avec une voix féminine.

Ton nouvel EP est sorti le 20 avril. Vu que c’est récent, ce soir c’est la grande première ?

Il a été écrit en décembre et enregistré en février. On l’a déjà joué quelques fois récemment, mais ce soir sera la première où nous le jouerons nickel.

Pour le moment il n’y a que quatre titres, mais comptes-tu sortir un album faisant suite à cet EP ou est-ce juste un entre-deux ?

Je suis en train d’écrire en ce moment, pour avoir ce deuxième album et l’enregistrer cette année. Il y aura un single qui sortira bientôt. Je n’ai juste pas envie d’arrêter de travailler. Mais c’est, comment dire… une porte fermée et verrouillée, en ce moment. Je ne donne pas beaucoup d’infos parce qu’on est toujours en train de réfléchir sur comment on va le faire, et tout.

Dans « Colour Of The Trap » on retrouve les influences d’Oasis ou de T-Rex, alors que dans le EP « First Of My Kind », nettement moins. C’est toujours pop, mais ton style ressort d’avantage. Par contre Looking Out My Window m’a fait pensé à un mélange de groove et de Echo & The Bunnymen, The Killing Moon.

Oui, j’adore Echo & The Bunnymen. Cette influence groove, c’est pour te faire danser, te faire « grind and groove » et j’adore ça. C’est ce que je voulais pour les prochaines chansons, ce coté groove sexy. On le retrouve un peu sur le premier album mais on voulait accentuer ça, le rendre plus lourd, plus rythmé et le faire évoluer un peu.

Plus dansant, donc ?

J’aimerais beaucoup cela pour le prochain album, oui.

Et jusqu’à aujourd’hui, toujours aucune mélodie mélancolique.

Oui, je veux juste être positif. J’ai la flemme d’être morbide.

Tu n’en as pas marre d’être comparé à d’autres artistes ?

On me dit souvent « ah, tu ressembles aux Beatles ou aux Jam ou encore à T-Rex ». Je pense simplement que ce sont eux qui m’ont inspiré, qui m’ont appris à chanter et à jouer de la guitare. Donc toutes ces comparaisons, je ne m’en préoccupe pas, je m’en fous un peu parce que j’aime ces groupes.

Comparé à beaucoup de chanteurs étrangers, tu possèdes une culture musicale française et j’ai cru comprendre que tu aimais beaucoup Jacques Dutronc.

J’adore Jacques Dutronc.

Et tu comprends ce qu’il dit, où ça te plaît uniquement d’un point de vue musical ?

Non, j’ai un ami qui m’aide à traduire. Mais c’est compliqué pour leur donner du sens en anglais…

Je me souviens d’ailleurs d’une première partie des Arctic Monkeys où tu avais repris l’une de ses chansons.

Oui, c’était Le Responsable il me semble, non ?  J’ai dû l’arranger un peu pour qu’elle ait un sens en anglais. Sur cette chanson, Dutronc dit qu’il est un homme responsable et qu’il en a rien à foutre. J’aime bien.

Et comme tu connais Dutronc et Gainsbourg, je me demandais si tu avais entendu parler d’Alain Bashung ?

Ah non, je ne connais pas… Il est contemporain ?

Il a commencé à la fin des années 70 mais il nous a malheureusement quitté il y a quelques temps…

Si tu peux m’écrire son nom, j’irai jeter un coup d’œil.

Sans problème. Hormis ton duo avec Alex Turner, penses-tu que tu pourrais un jour faire à nouveau partie d’un groupe ?

Je ne sais pas. On ne peut jamais prévoir ces choses-là, mais en ce moment je suis très heureux avec ce que je fais et je ne changerais vraiment rien.

Où te vois-tu dans 20 ans ?

Avec un peu de chance, je serai toujours en train de faire du rock’n’roll, avec une bonne coupe de cheveux et, avec un peu de chance, mon propre yatch.

Peux-tu déjà t’en payer un ?

Non, pas encore. Il me reste beaucoup de chemin a faire !

Fin de l’interview, Miles Kane nous dit galamment au revoir. Je lui note le nom de Bashung sur un bout de papier, avec les titres de quelques morceaux. Havana et moi regardons nos bières à peine entamées sur la table, n’osant pas repartir par peur de passer pour deux pochtronnes notoires. Derrière la porte, le cerbère attend de nous voir sortir définitivement de la Cigale, du moins jusqu’au concert. C’est certainement pour cela qu’il se donne la peine de nous raccompagner prestement jusqu’en bas, devant une porte  débouchant sur la file d’attente, déjà bien longue sur le boulevard Rochechouart, une heure avant le début de la première partie.

« Revenez pour le concert, vous êtes sur la liste presse.
– Et pour les photos ?
– Apparemment on vous a donné l’autorisation. »

Sourire forcé de courtoisie, il nous met dehors. Un vigile nous avait prévenues : « Les Anglo-saxons sont de gros paranoïaques. Ils surveillent tous le monde, les moindres allées et venues. Pour Jack White, c’était une horreur. » Hey mec, je ne suis pas une groupie hystérique, même pas une fan, juste une nana qui aime bien la musique de ton poulain.
Il n’empêche que j’étais à mille lieues d’imaginer l’épopée que cela allait être. Oui, cher lecteur, j’ai constaté que le reportage de guerre existe aussi dans le genre littéraire estampillé « mauvaise foi » auquel tu t’adonnes avec délectation : le « warrior live report ».

Arrivées à la régie, nous faisons signe au « manager » multitâche pour passer. C’était sans compter sur un autre vigile, qui nous explique d’un ton des plus agréables que l’on peut aller se toucher avec des pâquerettes pour passer afin de prendre quelques photos. « En régie, j’ai des consignes. Pas de pass, pas de place. Même si machin vous a dit OK. » L’homme-solanacée exprime un timide « sorry » avant de définitivement nous tourner le dos.

Le concert commence, nous avons trouvé un spot et en profitons pour mitrailler en toute tranquillité. Miles Kane est lancé, aussi sexy que les soutiens-gorge que lui envoient quelques fans du premier rang. Quand je vois ça, je ne peux m’empêcher d’imaginer à quoi pouvait ressembler un concert des Stones en plein âge d’or. Je me demande si une future Patti Smith dira un jour qu’elle a eu sa première excitation sexuelle en voyant Miles Kane à la télévision. Mettons-nous d’accord : les Stones et Miles Kane ne jouent pas dans la même division. Et si la pratique de la groupie rock’n’roll tend à se perpétuer, il en faut quand même peu pour émoustiller les hormones post-pubères des bombes des premiers rangs.

Troisième titre, Miles Kane est perdu dans son monde ; troisième titre, nous sommes foutues et ça gronde. La règle de la photo de concert est qu’au delà de trois morceaux, il faut couper les appareils. Soit 9 micro-minutes de mise en bouche pendant lesquelles tu t’adaptes aux différentes volontés de l’ingénieur lumière, qui s’amuse avec les projecteurs comme un gamin de quatre ans qui aurait tout juste compris l’utilité d’un interrupteur. Or, nous n’avons nullement l’intention d’arrêter de jouer du reflex. S’ensuit une course-poursuite infernale avec les vigiles. Nous courons entre les gens pour en perdre deux qui nous avaient repérées un peu trop vite, nous nous séparons pour attirer leur attention ailleurs, nous nous plaçons dans tous les coins de la salle afin d’obtenir le bon cliché.

Huitième interprétation, très rythmée, c’est parfait. Le morceau s’accorde à merveille avec la chorégraphie que nous menons à bien pour atteindre l’escalier une énième fois. Un vigile arrive en courant. Réflexe. On se baisse, on avance à moitié à quatre patte en s’adonnant à une prouesse contorsionniste. Un homme ayant compris la situation s’interpose « accidentellement » et bloque le King Kong en sueur. Nous atteignons the place. Sur la marche, la vue est plutôt sympa et les gens semblent nous avoir oublié. Je me demande pourquoi c’est si calme, tout d’un coup. Je regarde l’homme à côté de moi : c’est Philippe Manœuvre. Il ne fait pas attention à nous, nous sommes tranquilles. Est-ce sa présence qui a finalement calmé la sécurité ? On n’en saura jamais rien. Après avoir couru partout, nous nous sommes finalement posées pour regarder les photos prises à la volée. Profitant encore un peu du live, hallucinées par la Kane report experience que nous venions de vivre.

Miles Kane // EP First of my kind // Sony
https://www.mileskane.com/ 

Photos: Havana Blue
Merci à Pascale Cohen pour son aide sur la traduction de l’interview

 

2 commentaires

  1. Miles Kane n’a clairement pas le même talent que ces groupes des sixties qui inspirent tellement son public. Cela dit, il apporte une fraicheur sur scène assez inédite. Le public est souvent confondu avec un rassemblement de groupies frustrées de n’avoir pas pu vivre la Beatlemania mais, quand on regarde bien, le public de Miles Kane est composé de tous les âges et de tous les genres. Juste des personnes qui, enfin, se lâchent pendant un concert et deviennent eux-mêmes. Alors, un conseil pour votre prochain concert de l’anglais, posez votre appareil et profitez.

  2. J’ai déjà eu l’occasion de profiter de Mr.Kane sur scène. Nous sommes d’accord, c’est loin d’être chiant, et ça fait du bien.
    Maintenant je ne pense pas qu’il s’agisse de groupies frustrées, juste des filles qui s’éclatent, et hurlent quasiment au moindre de ses gestes.. Je trouve ça plutôt amusant, dans le bon sens du terme.

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