Vicelarde jusqu’au bout, 2020 nous aura même enlevé MF DOOM avec l’annonce de sa mort dans ses prolongations. La perte de l’emblématique et si unique rappeur, qui avait pourtant toujours respecté le port du masque, est immense.

Il faut voir la courte vidéo captant la première rencontre entre MF DOOM et les tout jeunes Tyler the Creator et Earl Sweatshirt. Sortie de nulle part à l’annonce du décès du Metal Face, elle montre – visiblement dans le cadre d’un festival – l’excitation suscitée chez ces futures valeurs sûres du hip hop au moment de checker le quadragénaire un peu bedonnant et la véritable hystérie qui s’empare d’eux en assistant à son concert quand il lance le Curls issu de « Madvillainy » (son indéboulonnable collaboration Madvillain avec Madlib). Et contrairement à la légende, c’était bien lui cette fois sur scène, et pas un de ses remplaçants masqués. Un peu comme si un Ortega ou un Riquelme débutants voyaient aux premières loges un déboulé de Maradona en 1986.

La séquence résume aussi ce qu’était le DOOM dans le milieu du rap. « Le MC préféré de tes MCs préférés » punchlinait parfaitement un autre papa du rap jeu, Q-Tip, au milieu des kyrielles d’hommages publiés par ses congénères ces derniers jours. Car, sans connaître le succès interplanétaire des mastodontes du nouveau courant musical dominant, il était respecté de tous. Un artiste tellement à part qu’il réconciliait les plus hardcore et les plus conscients de ce courant souvent segmenté et même au-delà.

Daniel Dumile de son vrai nom, né anglais à Londres au début des années 70, mais grandi dans le New York des battle de rimes, du graff et du breakdance des années 80 est donc mort. Il est même mort depuis la nuit des masques le 31 octobre mais sa veuve a attendu la toute fin de cette chienne de 2020 pour officialiser la nouvelle sans révéler les causes de sa disparition à 49 ans.

J’ai découvert sa musique au début des années 2000 quand le rap dit alternatif bousculait le genre notamment avec le fameux « Madvillainy » précédemment cité. Il avait déjà ce style idiosyncrasique – pour utiliser le mot à la mode – qui le différenciait des autres cadors du mouvement comme Company Flow, Dr Octagon, Antipop Consortium ou plus tard Edan et Spank Rock. J’aimais son rap « musical » assez authentique et imperméable aux modes puisant ses samples au-delà de la soul ou du jazz dans le rock psyché, l’easy listening, la library et des dialogues venus de dessins animés ou de séries hors d’âge créant une forme de nostalgie pouvant parfois rappeler Boards of Canada. J’aimais son flow rauque peuplé de rimes improbables, ses beats aux structures insensées, son éclectisme qui l’emmenait à travailler aussi bien avec des membres du Wu-Tang, Damon Albarn, Danger Mouse, Beth Gibbons ou son homologue français masqué Fuzati du Klub des losers.

En raison de ses multiples alias (JJ DOOM, Viktor Vaughn, King Geedorah, DANGERDOOM, DOOMSTARKS…) et d’une époque où trouver de la musique ne se faisait pas en deux clicks, je découvrirai au fil des années – un peu comme avec Aphex Twin autre amateur de pseudos multiples – le reste de sa production colossale comme ses essentiels deux premiers albums solos (« Operation: Doomsday » 1999, « MM…FOOD » 2004). Et il m’en reste sûrement encore à découvrir sur Adult Swim ou ailleurs.

J’ai appris aussi plus tard sa tragédie originelle. Jeune MC connu sous le nom de Zev Love X avec son frère DJ Subroc, il fonde le groupe KMD qui débute en fanfare avant un deuxième album trop sulfureux pour le label Elektra et surtout la mort de Subroc renversé par une voiture à Long Island en 1993. Quasiment hors-circuit pendant plusieurs années, il se réinvente sous le nom MF DOOM comme le méchant des 4 Fantastiques traduit chez nous en Fatalis et son fameux masque de fer qui participera à la légende du rappeur avec son univers mental peuplé de héros Marvel et de SF vintage (Star Trek, Godzilla…). La mort ne l’a jamais lâché. En 2017, c’est celle son fils de 14 ans Malachi, qui le rattrape. Cette fatalité ne l’empêchera pas de continuer à produire à outrance avec notamment une collaboration prévue avec Flying Lotus juste avant sa disparition. Je préfère peut-être imaginer qu’au regard du bordel ambiant il a choisi de se barrer avec son blunt et le surfer d’argent vers une autre galaxie.

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