Au moment de ranger tous les musiciens dits « électroniques » dans un grand coffre à jouets, on se demande bien où seront placés les disques de Chapelier Fou. Dans la lignée de « Muance » paru en 2017, le messin contre-attaque ces jours-ci avec « Méridiens », où il prend encore une fois de court la concurrence, trop occupée à tripoter les boutons pour écouter le son des machines.

Tout au long des années 2000 et 2010, on a lu à longueur de papiers que les artistes souffraient des étiquettes musicales trop rapidement apposées par les journalistes. Ce besoin de catégoriser a flingué des carrières, mais fait émerger de nouvelles scènes plus décomplexées, affranchies de ce fardeau stylistique maintenant que les ventes d’albums et le streaming ont transformé l’industrie musicale en tiers-monde économique. Les discographies de Salut C’est Cool, Jacques ou encore Thylacine en attestent ; il faut être sacrément con pour, en 2020, avoir encore besoin de ranger un musicien dans une seule boite. Et c’est précisément de cela dont il est question sur « Méridiens », nouvel album de Chapelier fou à cheval sur plusieurs fuseaux horaire.

Inutile d’avoir à se taper l’intégralité de l’album pour en arriver à cette conclusion ; le ton est donné dès L’austère nuit d’Uqbar, premier titre de « Méridiens » où Louis Warynski, violoniste de Conservatoire, donne l’impression qu’on est en train d’écouter du Jean-Philippe Goude (l’un des artistes de musique contemporaine les plus méconnus et sous-estimés de l’époque, mais c’est un autre problème). Vous vous attendiez à un vulgaire disque de musique électronique ? Rompez, soldats. « Méridiens » est, comme le dernier album d’Arandel, la preuve qu’il existe un nouveau chemin : la musique électronique classique (encore une étiquette, voyez comme le besoin de nommer est fort…). Pendant ces 40 minutes de voyage, l’auditeur est baladé dans le bon sens du terme.

Il y a l’ombre de Nicolas Jaar sur Constantinople (qui fait penser très fort à la descente de basse sur le Heart du projet Darkside), des montées trippantes donnant l’impression d’escalader l’Everest en trottinette électrique dopée au RedBull, jamais un seul mot ; d’ailleurs pas besoin, « Méridiens » est un album que Christophe Colomb, ce con, aurait parfaitement pu écouter en boucle s’il avait eu un abonnement Spotify pour l’accompagner vers les Indes. Ca l’aurait du reste aidé à ne pas se tromper de chemin. Celui de Chapelier Fou, depuis 5 albums, continuera encore d’agacer ceux qui n’arrivent pas à imaginer qu’un musicien électronique puisse se placer dans l’interstice entre Rone et Apparat sans avoir à jouer des coudes. Et c’est pourtant le cas. Et c’est pourtant tout sauf fou.

Un bien beau bras d’honneur adressé, archet à la main, à une partie de la profession qui croit encore que les machines ne sont pas des instruments, ou que Metz ne peut compter que sur les bras cassés RMIstes de la Triple Alliance de l’est pour exister sur la carte. A la fin de l’album, on pense également très fort à un autre aventurier également signé chez Ici d’Ailleurs, David Chalmin, et dont le récent « La Terre invisible » méritera lui aussi d’être réécouté au calme, quand la fureur de l’époque aura laissé place aux beaux silences.

Chapelier Fou // Méridiens // Ici d’Ailleurs

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