Il y a des années plus merdiques que d’autres... On ne va pas comparer nos petites misères, ça fait pauvre. N’empêche, je ne pensais pas devoir un jour dormir avec un couteau sous mon oreiller, visiter un service d’oncologie et négocier en caleçon à l’aube sous la menace du flingue d’un policier, tout cela en seulement une douzaine de mois.

Vous avez 3 nouveaux amis : le service des duplicata de la préfecture, le Lexomil et le procureur de la république. Entre les salles d’attentes où je bataillais pour mes droits civiques et les cabinets médicaux pour ne pas finir sur une civière, j’ai bouffé une tonne de bandes dessinées. J’avalais en particulier les albums de quelques éditeurs de BD amicaux, qui certes vendent du rêve mais qui surtout, là, me le donnaient. Service de presque… Pas pour chroniquer, juste pour fuir. J’avoue. Mais là, il faut revenir aux lois universelles : si on a inventé l’écriture pour transmettre, la littérature est vouée à compromettre. Or con promis, chose due. Peut-on garder son esprit critique pendant un traitement de substitution ? Je n’en sais rien, et le plus souvent je ressortais de mes lectures plutôt contenté ; oh le beau trait, haha le bon gag. Voilà. Par trois fois par contre, j’en suis revenu avec des étoiles dans les yeux. Ravivé. Ranimé. Le truc qui te permet de sourire même en face de ton assureur. Ou juste de continuer à manger chacun de tes trois repas quotidien.

Le premier, c’était Rorschach, de notre vieux confrère Terreur Graphique ; beau comme ta première nuit blanche, fascinant de noirceur, insurmontable (de chevet). Je ne l’ai pas chroniqué par pure couardise de passer pour un lèche-cul digne de siéger au jury du prix de Flore (intestinale). La deuxième fois c’était TMLP de Gilles Rochier, chez le même éditeur. Tout est dit. Maintenant qu’on avait conforté ma confiance en le genre humain, il était temps de la pervertir. C’est là qu’est arrivée la troisième claque, celle qu’on donne du revers de la main, avec des mots salaces dans l’oreille : c’était Paf & Hencule et sa méchanceté gratuite. Enfin gratuite…

« Peut-on rire de tout ? Oui, à condition de faire du fric avec. »

Affublées de blouses de French Doctors pour justifier qu’on fait dans la bidoche et le frottis, ces deux parodies grotesques (ceux qui n’ont pas pensé à Pif Gadget peuvent aller se pendre) servent un jeu de massacre hilarant comme une blague nazie dans un repas de famille dominical. Avec pour seul cahier des charges l’obligation de faire rire, les auteurs répondant (sur ordonnance du tribunal) aux doux pseudonymes de Goupil Acnéique & Abraham Kadabra ne réinventent rien, tout en faisant le boulot le mieux du monde : trois cases /un gag /une vacherie. Pas de jeu de mot ou de retournement côté scénario, on va dans le mur façon Ayrton Senna. Avec le dessin dans le rôle de la F1 qui brûle dans les graviers : craché sur des vignettes taille timbre-poste, couleurs limitées au rose (!), le trait étiré comme une virgule sur un mur de chiottes. Sexisme, racisme, violence sur enfants et animaux, tout passe à la broche. Mais on n’a rien dit tant qu’on n’a pas évoqué des dialogues comme « Vous êtes en phase terminale du cancer. – Ça… ça veut dire que je vais mourir ? – Oui oui, ne vous inquiétez pas. » ou des concepts comme les clowns de bloc opératoire ou l’euthanasie déguisée en accident de chasse. Sic(k).

L’éditeur, Même Pas Mal, s’est fait plaisir en foutant tout et même le reste, bébé, eau du bain et placenta, avec la récup des ‘débuts’, des femmes à poil en pleine page (16,5 x 24 cm, ne nous emballons pas) mais aussi une histoire de Satin & Miloutre au Congo qui n’a rien à voir avec la choucroute sinon les mêmes crapules au volant. Rapide recherche, tout cela vient d’un blog, Damned! qui avait fait assez parler de lui pour être applaudi à Angoulême. N’empêche, merci pour la poilade, je m’ai bien marré à m’en décollé la plèvre. Y a du rab ? Oui, répond Même Pas Mal.

Massilia Sonde Cystite

For the record, en deux ans cette asso marseillaise a sorti six autres volumes dans des collections nommées gaiement Condylome ou Tenailles (faites le rapprochement) dans des formats popu mais soignés – ce qui signifie qu’on ne fait pas du fanzine à agrafes, mais qu’on reste loin de la planche à découper cartonnée de Dargaud – qui tous mériteraient un coup de chapeau. Sinon, les kékés, vous pensez bien que je me casserais pas le cul à faire ce papier.

Chroniquer une maison d’édition ne doit pas se résumer à énumérer un catalogue, mais là attention le tableau de famille. Je fais vite, promis : dans L’Infiniment Moyen, Fabcaro, auteur de perles négligées par les grands éditeurs probablement parce que trop souvent autobiographiques, collecte ses planches les plus hargneuses (il était temps) ; Luv Stories, ou l’avènement du foutre et de la merde dans un recueil des Frères Guedin, esprits bipolaires particulièrement appliqués en dessin, dont Gonzaï avait déjà pré-publié l’une des historiettes dans son Luxe Intérieur ; il y a encore l’intégrale des aventures de Dingo Jack, croisement de Bill Baroud et de la coccinelle de Gotlib pré-publié dans le Psikopat, ici dans un format énoôorme sans raison évidente, et un recueil (oui oui encore) de Cha dont je ne dirai rien puisque je me suis refusé à le lire, n’ayant jamais accroché la bestiole. Enfin il y a Snack, œuvre originale d’Olivier Besseron qui fait des dérapages quelque part entre Robert Rodriguez et Álex de la Iglesia, vous savez l’espingouin cinoque ayant réalisé El Día de la bestia et Acción mutante. Besseron est sous-utilisé, c’est un mec unique, taillé dans la glace à la tronçonneuse. Un type qu’on verrait bien faire des blagues avec le congélo de Véro Courjault. Buffet froid. Le Bernard Blier de la BD. Ça vous plaît, c’est moi qui l’effraie. Et puis le tout dernier venu, le divin enfant, un livre de Terreur Graphique épais comme une bible dégueulasse rempli de saloperies inmontrables qui vous ferait demander l’internement à l’asile de Charenton tellement on a honte d’en rire. Il parait que Xavier Dupont de Ligonnès a demandé à rédiger la préface en cas de réimpression… Enfin, je ne peux pas être objectif sur le fond mais le bouquin, lui, est purement somptueux. Ton shotgun enveloppé dans du papier de soie par le vendeur.

Bref, après avoir hurlé avec les loups que la BD était à l’art contemporain ce que la pédale de fuzz est au garage-rock, après m’être égosillé à expliquer partout que c’était une littérature à part entière et pas un truc fait juste pour ri-go-ler, je faisais un tour sur moi-même. La queue basse mais le front haut – ou l’inverse – je proclame : « La bédé d’humour, c’est super ! ». Que celui qui n’a jamais ri devant Joe Bar Team me jette la première bière. Alors bon, ce catalogue a-t-il été fait rien que pour me donner tort et me foutre la honte ? Probable ; ma prétention est sans limite. N’empêche que je me devais de rencontrer les (ir)responsables.

« Bonjour Hilaire. Mélanie, ayant pris une énorme cuite hier soir, se demande s’il serait possible de déplacer votre rendez-vous à lundi ? Cordialburp. »

Mise au point : la bédé est un microcosme dénué de pognon où tout le monde connaît tout le monde. Des éditeurs de cette taille – minuscule – il n’y en a que trop, dont quelques bons (La Cafetière, Charrette, Vraoum, Hoochie Coochie). Et si je me suis tourné vers Même Pas Mal, c’est aussi parce que j’avais rencontré ses deux têtes pensantes mais surtout buvantes au festival Rétine (remember Albi), et que l’une des deux – l’adorablement nommé Pierrick Fuckin’ Starsky – s’était depuis fait tatouer « John Fante » sur l’avant-bras. Sa tronche et les dernières lignes d’Ask the dust, osez me dire en face que cela ne mérite pas qu’on s’asseye deux minutes.

Trop occupé à enregistrer une démo punk ou à soudoyer Philippe Vuillemin pour une autre dédicace factice, c’est sa consoeur Mélanie Deneuve qui a surmonté la nausée post-cuitarde pour répondre à mes allégations. Au risque de terminer en dépression après que je lui ai fait remarquer 1°) qu’il était suicidaire de monter une maison d’édition BD quand de plus reluisantes boivent le bouillon, 2°) que tous ces recueils sentaient un peu la récupe réchauffée, et 3°) qu’utiliser des préfaces d’auteurs (qui lit encore des préfaces ?) et publier des amis d’amis fleurait bon le copinage éhonté. Et comme tous les téméraires ayant touché les étoiles avant de réaliser qu’ils ne savaient pas voler, aucune de ces méchancetés ne toucha sa cible. Même pas mal… En vrac : aucun grand plan, aucune étude de marché, une navigation au coup de cœur et des affinités avec le milieu alterno façon DIY. Pire : ils sont blindés de bons sentiments et lâchent des gros mots comme « faire de l’économie solidaire » (it’s sooo Marseille…) et « mieux payer nos auteurs ». Mince, je l’ai pas inventé ce contexte pourri… Après dix ans à rapiécer leurs chaussettes dans l’ombre de racoleurs à gros seins comme Delcourt et Soleil (tellement goulus, ces derniers se sont même unis dans un parfait mariage consanguin), les indés qui voulaient faire rire parce qu’ils avaient lu le Hara-Kiri de papa quand ils étaient petits, vont à présent nu-pieds, en saignant sous eux des biftons et des auteurs géniaux mais toujours inconnus au bout de dix piges (dont Besseron)…

Autant dire que dans ces conditions, nos Marseillais auraient dû rendre leur bail et recevoir leur identifiant Pôle Emploi il y a des mois. Mais non. Paf & Hencule en est à sa troisième réimpression (soit 6.000 exemplaires, relativisons) et au lieu de tourner du cul devant des blogueurs frustrés, nos Phocéens pas sceptiques se mettent plutôt à traduire un auteur flamand. Optimistes, aujourd’hui ils se resservent un Pernod sans craindre le camion des retours ni le comptable.

Cannibales au low-cost

Tentative de conclusion après le passage de l’été et des impôts. Prévoir une musique intimiste mais optimiste, un truc pianoté un peu lo-fi à la Daniel Johnston par exemple.
Amusant de penser qu’après Fluide Glacial ou Ferraille, c’est encore par la déconne qu’on impose aujourd’hui un catalogue. Qui aurait cru que l’humour périmait au point qu’on doive le réinventer chaque décennie ? Ou bien c’est moi qui ne ris plus assez… N’empêche qu’ils ont des bollocks, nos kékés. Outre un certain talent pour jongler avec la trésorerie quand il faut, ils ne doivent pas leur salut qu’à la Bonne Mère et aux subventions de Guérini : au lieu de commencer par du fanzine il y a deux ans, ils ont rameuté assez de monde en trois semaines pour sortir d’emblée un album de 160 pages.

Élargissons encore : qu’attend-on d’un éditeur « indé » aujourd’hui ? Après tout, récupérer les blogs qui marchent ou les planches éparses publiées chez Psikopat par des auteurs pour payer les traites de la 306 qui pourrit sur le parking, c’est exactement ce que font les majors. Jouer la sécurité pour ne pas paumer du fric, c’est encore plus évident quand on n’en a pas. La nuance, c’est peut-être que les éléphants préféreront toujours sortir des histoires d’amour naissant dans des piscines (suivez mon regard chloré) que des abominations zoophiles de pédobear. Il y a 20 ans des éditeurs se créaient pour combler au manque de choix (graphic novel, autobio, humour adulte) ; avec le web on déborde de choix et, paradoxalement, on ne peut toujours pas tout publier. Le jour où Terreur Graphique débattra à Angoulême avec Charles Burns de la prédominance du noir sur la hachure, il sera peut-être directeur de collection chez Casterman, mais je doute qu’on ait réédité sa Rupture Tranquille dans la même collec’ que Corto Maltese. MPM a eu ce cran-là. Et, ayant contacté certains des auteurs pour savoir ce qui a fait pencher leur cœur au moment de signer les contrats, c’est toujours ça qui ressort : « Je ne les connaissais pas mais ils m’ont approché pour me proposer de bosser ensemble, alors qu’on me refuse encore chez des éditeurs que je connais déjà ».

Désormais, on devrait voir débouler des têtes connues sur cette place marseillaise. Ceux qui ont inscrit un ISBN dans tous les catalogues obscurs de ce pays. Et cela m’a rappelé une discussion avec Pierre Ouin, que les plus vieux d’entre vous connaissent comme le papa du punk Bloodi, concernant le journal Psikopat. Carali, son dirlo fondateur, avait d’abord envisagé de mener de front l’édition et la presse avant de devoir lâcher du leste pour ne pas crever d’un ulcère, et ne conserver que le magazine. Ouin, qui a connu Métal Hurlant autant que les éditions du Square sous la férule furonculeuse de Choron, disait qu’il comprenait ce choix même si un tel éditeur manquait aujourd’hui à l’époque des blogs. Que demande le peuple, c’est chose faite.

http://meme-pas-mal.fr/

8 commentaires

  1. Si je me souviens bien tu as le droit à un pain au chocolat et une boisson chaude sur présentation de ton dossard. Comme à l’arrivée de tout marathon digne de ce nom.

  2. Cher Revenu-Solidarité des Invalides (ou qqc d’approchant),

    Le chapeau d’introduction, ou à défaut le mot gonzo, aurait dû
    vous mettre sur la voie quant aux rapports (salaces) que j’entretiens avec l’objectivité. Vous vous douterez du même coup de ce que j’aimerais infliger à votre avis et sa notion de ‘barbant’.

    Quant à l’incomplétude, je suis intéressé par ce que vous attendiez et n’avez pas trouvé dans cet article sur Même Pas Mal.

    Vous souhaitant la gangrène, veuillez agréer etcetera.
    H.

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