Certaines personnes traversent leur propre vie comme un fil à couper le beurre. Au bout du compte ils se retrouvent coupés en deux. Deux parts, identiques. L'une regarde l'autre, l'autre regarde l'une. Tout ploie et se déroule devant eux. Le travail, la discipline, on aimerait y croire, on se méfie. La grâce, ça laisse sceptique. A l'occasion d'un nouvel album sobrement nommé "Kiss",, la Marianne de l'underground livre toutes ses vérités.

Un effort, un seul. Imagination. Un adolescent quitte l’Algérie, la tapisserie de l’histoire coloniale française se déchire, Marie-France tire la pelote. Entre Alger et Marseille, elle fait semblant de pleurer la Casbah et le folklore Pépé le Moko, Marie-France, elle, rêve à Paris. Leur exil : son voyage. Paris, Paris, Paris. La guerre et la solitude de l’enfance, à jeter, noyées dans la Méditerranée. L’indépendance de l’Algérie et c’est la sienne qu’elle gagne, un raccourci. Paris, Paris, Paris, le genre de mot qu’il faut prononcer trois fois. Libre. Libre d’aller danser. Danser et rire, toujours. On s’installe à Saint-Germain des prés, on sort toutes les nuits. Chez Régine, elle devient la coqueluche. Un bond vers la Coupole, un autre vers la Pergola. On croise Anita Pallenberg, les Stones dans la foulée. Chez Castel, Jimi Hendrix, toute la bande.

Puis l’envie de travailler, d’être en scène. Il suffit de pousser la porte de L’Alcazar, de taper dans l’œil de Jean-Marie Rivière qui vous propose de chanter « Parlez-moi d’amour », de revenir le lendemain, de commencer le soir même. La bonne école, mon inaccessible étoile, mon sacerdoce. Le music-hall, le cabaret, quasiment mineure elle partage sa loge avec Alain Kan. Apprentissage. Marie-France reste mystérieuse car Alain l’était. Du cabaret au théâtre avec Marguerite Duras et Frédéric Mitterrand, dans une pièce sur Marilyn Monroe. Rester en mouvement, encore la seule preuve contre la mort.

Années New wave, Jacques Duvall (devenu depuis le complice éternel) et Jay Alanski frappent à sa porte, des textes en poches. Entrez il fait si froid dehors. Ils lui proposent Daisy et Marie-Francoise se suicide. On casse sa tirelire, on sort un 45. Le punk. Daisy, le Velvet Underground en français. C’est parfait, bien servi. Mieux c’était Kan ou Gainsbourg. Serge, Marie-France l’a croisé plus tôt:  « Je lui ai rendu quelques visites…Pas rue de Verneuil, mais Cité des artistes, c’est quand même plus smart. C’était pas Gainsbarre, mais Gainsbourg. Raffiné. Un homme charmant et séducteur ». On n’en doute pas.

Le vent souffle et le blé se couche, impossible de ne pas être troublée par elle disait Duras.

Tout tombe autour de moi. Quelle effet ça doit faire de se sentir broyer le monde. Moi je ne sais pas. Je suis assis dans une maison de poupée qui griffe le dos de la butte Montmartre, Marie-France à le ventre collé contre le dossier de sa chaise, comme Darc il n’y a pas si longtemps, une technique touchante d’intimidation, une simulation d’interrogatoire. Son œil brille, sourire ouvert comme un piano de concert. Dans la bibliothèque on aperçoit Querelle de Brest, puis du papier peint rose pastel sur fond blanc représentant des scènes de chasse du 18ème siècle, des lustres de cristal, des assiettes peintes, du mobilier empire sur roulettes, beaucoup de glaces. Ici, c’est de la mise en scène. Le soir tout bouge. Dans mon dos, collé au mur comme Querelle dans son caban en laine dure serrant contre lui son paquet d’opium, un lit valise. Un lit dans un mur, de ceux qu’ on tire car le sommeil est une réalité, pas l’amour. Il est capitonné. En cuir? Non. Non. Ce ne serait pas confortable. En tissus. « J’ai beaucoup arrangé ici, abattu des cloisons » dit-elle, « vingt ans que je suis ici, Paris Première est venu pour une émission de déco… »

Le Chihuaha (il y’a un ou deux chihuahas dans l’appartement, Rosemary’s Baby oblige) me saute directement sur la queue, cherche la caresse. Instant politesse : Scritch ! Scritch ! Résultat des poils sur le futal et les doigts gras. Après tout, il pleut dehors. On pousse la bestiole, pas plus grosse qu’une caille, mais sacrément agressive. Marie-France a-t-elle une obsession? Une quête ? Un Graal ? Qu’est ce qui vous fait lever le matin ? « Non, pas d’obsession. Tenir le coup. Une cause peut-être, la cause animale, oui, la souffrance des bêtes. Sinon j’aime la nature ». Un cœur simple.

La Marianne des Gazolines, égérie du FHAR est une âme claire. On pose pour 13 milliards de pervers, on joue pour Adolfo Arrieta, on interprète une des plus belles chansons française dans Barroco de Techiné (On se voit se voir), on donne un peu de classe à Bijou, exploit, on pose pour Pierre et Gilles, bon ok, j’en passe, j’en passe. Une fonceuse Marie-France. Mais plus rare, sublime. La distance, la provo et l’ironie. La surenchère outrancière des queens des Gazolines a été un peu ravalée, l’humour radical du j’aime les queues ça m’empêchera pas de te casser le gueule, dégradée. Un peu marxiste, un peu situationniste, un peu jouisseur, tout ça c’est un peu mou ces derniers temps, pas de mémoire chez les homos ? Chez les hétéros on n’en parle pas, ils n’en n’ont jamais eu. Point de vue biaisée pour Marie-France; « pas une interview où on ne m’en parle pas ». Désolé. Et puis il y a la gay pride. Legacy ! Sourire. On s’en fout non ? Oui, on s’en fout. Okay, je crois que c’était pas du chiqué.

Marie-France sort un disque avec les Phantom belges de Freaksville Records, un duo avec Chrissie Hynde, la plus grande des performeuses selon elle. Une copine, une sœur. « On se connaissait avant qu’elle rencontre les Pretenders. On est voisine. J’ai de la chance. Elle est revenue me voir. Je lui ai proposé la chanson, ça a collé. J’ai de la chance ». Moi je repense à un texte de Lou Reed. « Some people work very hard, but still never get it right ». Et ouais, c’est comme ça mon coco. Le diable probablement. Bientôt sur scène, mais on n’en saura pas plus. Le temps de me souvenir que je ne suis jamais allé au cabaret, j’ai bien vu les Damnés, je crois que c’est un peu triste. Fin 2013 je me rattraperai.

Derrière ma nuque, les dorsaux tendus contre la brique se tient Querelle, le lit valise avec ses capitons en tissus, le chihuaha dort sur le tapis. Dehors la butte fait le le gros dos, Paris le chat n’aime pas le pluie. Dehors, sale concept et quand je pense à tous les mouvements qu’il va me falloir encore accomplir, respirer, respirer à nouveau, coiffer des cheveux couleur de pluie, encore. Tiens. Quel est l’amant parfait pour Marie-France? « Celui qu’on a perdu ». Le Diable probablement.

Marie France // Kiss // Freaksville
http://www.myspace.com/mariefrancedeparis

Photos: François Grivelet
En concert au Réservoir le 9 mai 

Marie France et les Fantômes  » Le Détecteur De Mensonges » by Freaksville records

4 commentaires

  1. Superbe album même s’il y a quelques temps faibles. Un Garçon qui Pleure est un chef d’oeuvre même si j’ai lu dans une critique dans un autre webzine que la diction de Chrissie ne permet pas de bien comprendre les paroles (pauvre chou de la chronique inutile).

  2. superbe live a Liége ce week end de Marie France et ses fant^mes..batterie et riffs étaient au rendez vous ..rendez nous encore cette voix qui nous clac bien le tympan..

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