Tu as peut-être pu le croiser en train de faire du pole dance en Santiags, tressant les fils de son masque ou encore se faisant tatouer un bébé poney sur la fesse gauche. Son tout premier album « Pony », sorti en mars dernier t’a peut-être fait voyager dans les plaines d’Arizona (ou de Fontainebleau) sur un air de country pas piqué des hannetons. Mais ne mettons pas la charrue avant les bus. Qui est donc Orville Peck ?

Bonne question. Est-ce un king du rodéo ?
Un zorro des idéaux ?
Un Lucky Luke pas si solo ?

Eh bien, un peu de tout ça, et bien plus encore. Personnellement je pense qu’Orville Peck est un prophète avec un chapeau et bel et bien le cowboy du renouveau. Alors, en direct des campagnes pas si profondes d’une Amérique pas si Peck-eunaude : à vos marques, en selle… « Yeeeehaaaaaaaw ! ».

Résultat de recherche d'images pour "orville peck"Commençons par le commencement. Qui es-tu ?

Je m’appelle Orville Peck, je suis un artiste de country.

C’est quoi le délire avec le masque ? Est-ce que tu joues un personnage ?

Non, pas vraiment un personnage. Le masque fait juste partie de qui je suis et de ma façon de m’exprimer en tant qu’artiste, mais je n’essaye pas de créer un personnage à proprement parler. Disons que le masque fait juste partie d’Orville Peck.

Donc il n’y a pas de raison sous-jacente derrière, tu n’essayes pas de faire passer un quelconque message avec cette démarche ?

Non, je ne crois pas qu’il y ait un message à proprement parler. Je veux dire, ça transmet quelque chose dans le sens où je trouve que c’est cool et esthétique. Tu sais, Dolly Parton a dit un jour cette phrase assez connue : « d’abord tu dois te démarquer, puis après tu leur donnes la substance ». Donc je pense que pour moi le masque est d’une part esthétique, et d’autre part c’est un truc qui je pense m’aide à être plus « intime » en fait, et capable d’interpréter les sujets parfois difficiles et très personnels de mes chansons ou de mes paroles. Si je le ne le portais pas, ça serait beaucoup moins facile pour moi. Donc d’une certaine manière, au lieu d’être un truc qui met un mur entre le public et moi, je pense que c’est plutôt quelque chose qui me permet de m’ouvrir aux gens pour me rapprocher d’eux.

J’ai entendu dire que tu en possédais beaucoup.

Oui, je dois en avoir une quinzaine maintenant.

Faits par tes propres soins, c’est ça ?

Tout à fait, je les ai cousus à la main.

Et beh, beau travail !

Haha merci, ma mère m’a appris à coudre quand j’étais très petit.

« Tout au long de l’histoire, que ça soit dans la culture country, dans la culture cowboy, dans les westerns au cinéma, dans les chansons, il y a eu de nombreuses références gay, queer ou homo-érotiques. »

Et dis-moi, de quoi tu parles dans tes chansons ?

Je crois que je parle de ce dont ont parlé de nombreux chanteurs de country avant moi, à savoir principalement de chagrin. Mais je crois que la différence, en fait, c’est que dans mon album « Pony » il y a beaucoup de chansons qui parlent de chagrin que j’ai pu vivre vis à vis de moi-même. Beaucoup de mes chansons parlent du fait de grandir en essayant d’intégrer et de comprendre qui je suis en tant qu’être humain, mes relations avec les autres et comment elles sont affectées par qui je suis, comment je perçois le monde, etc. Donc je pense que comme beaucoup d’albums de country c’est un album sur le chagrin. Mais un chagrin différent.

Pas que des histoires d’amour quoi.

Exactement. Enfin, je pense qu’il y en a forcément dans le mix. Mais tu vois il y a des chansons sur le deuil, et puis il y a une chanson en particulier qui s’appelle Nothing Fades Like The Light, c’est une chanson sur le fait de ne plus rien ressentir du tout, ce qui est parfois le truc le plus dur à vivre je pense.

Changement de sujet, tu joues de la country, certes, mais j’imagine qu’il y a d’autres influences dans ta musique. Comment tu la décrirais toi ?

C’est évident que je joue de la country, mais avec des influences de new wave, ou de de synthpop un peu. Des influences de punk, d’alternatif… Je pense qu’il y a des influences de shoegaze aussi, de gospel, de folk, de berceuses, de comptines… De comédies musicales ! J’ai écouté tellement de styles de musique différents en grandissant, et aujourd’hui encore je suis fan de tellement de choses différentes, je n’aime pas me restreindre dans ce que j’écoute. C’est parce que je suis si fan de musique en général que je pense que tous ces genres différents parviennent d’une manière ou d’une autre à se faufiler dans la musique que je fais aujourd’hui. Donc même si je joue principalement de la country, je pense que mes influences s’étendent bien plus loin.

« La country plus mainstream et plus populaire qui passe à la radio de nos jours se rapproche davantage de la pop. »

Mais donc pourquoi as-tu choisi la country en premier lieu ? N’est-ce pas un genre qui est un peu en train de « mourir » ?

Je ne sais pas. Je crois que ce qui est parfois appelé « l’âge d’or » de la country c’était dans les années soixante ou soixante-dix, et c’est probablement principalement la country que vous connaissez vous en Europe : Dolly Parton, Willie Nelson, Johnny Cash… La « western country » en somme. Ce style là existe encore aujourd’hui et il y a encore plein d’artistes qui font ce genre de musique, mais je dirais que la country plus mainstream et plus populaire qui passe à la radio de nos jours se rapproche davantage de la pop. Tu vois c’est souvent rattaché à des mecs blancs, hétérosexuels, qui parlent de voitures, de barbecues ou du drapeau américain. Ça fait également partie de la musique country tout ça, et je respecte vraiment la musique country, mais je pense qu’aujourd’hui il y a aussi ce genre plus mineur que les gens appellent l’Americana, qui se rapproche probablement davantage de l’ancienne country. Et je pense que c’est vraiment en train de « renaître » en ce moment.

« La country dite mainstream est en train de mourir ».

Si on regarde Kacey Musgraves par exemple, qui vient tout juste de gagner un Grammy avec son album « Golden Hour », tu peux voir qu’elle fait vraiment partie de cette country dite mainstream mais elle inclut aussi des influences de l’âge d’or dans sa musique, aussi bien que d’autres influences plus subversives. Donc je pense qu’au contraire, c’est en pleine expansion plutôt que sur le déclin. A l’inverse, la country dite mainstream, celle qui passe à la radio, elle dont même les grands fans de country semblent se lasser, celle-là elle est en train de mourir. Mais ça à mon avis, c’est plutôt du fait des gros labels qui « poussent » le truc et qui ne parviennent plus vraiment à saisir ce que les gens veulent vraiment écouter de nos jours… Enfin je crois.

Permets-moi de rebondir sur ce que tu disais, sur cette notion de « mecs blancs hétérosexuels qui chantent des chansons sur les voitures et le drapeau américain ». Pour moi Orville Peck c’est un cowboy queer qui fait des chansons country dans lesquelles il parle notamment de ses relations homosexuelles. Et c’est super hein. Mais ce n’est pas du tout l’image qu’on peut avoir de l’Amérique profonde, souvent perçue comme hyper conservatrice, puritaine, voire homophobe.

Oui, je vois ce que tu veux dire, mais je pense que ce stéréotype existe vraiment. Je ne pense pas que tous les fans de country soient conservateurs… Mais il est fort probable que les conservateurs soient des fans de country j’imagine. Tout au long de l’histoire, que ça soit dans la culture country, dans la culture cowboy, dans les westerns au cinéma, dans les chansons, il y a eu de nombreuses références gay, queer ou homo-érotiques. En ce qui me concerne, la culture cowboy en elle-même, je la trouve vachement (ndlr : c’est le cas de le dire) homo-érotique. Il y a indéniablement une supériorité numéraire masculine au sein de la population qui travaille dans les ranchs, qui aspire beaucoup à l’homo-érotisme Je ne suis pas le premier chanteur de country à parler de relations homosexuelles dans mes chansons, il y en a qui ont abordé le sujet bien avant moi – même si je suppose qu’ils ne doivent pas être nombreux.

 

J’ai vu que tu as travaillé avec des prostituées d’un bordel licite au Nevada pour un de tes clips. J’imagine aussi que je perçois une certaine ouverture d’esprit dans ce que tu fais, notamment sur la question du genre, de l’énergie masculine et féminine et caetera. Sont-ce des thématiques qui te tiennent à coeur ? 

C’est inconscient, ça fait juste partie de qui je suis encore une fois. Il s’avère que les gens qu’on peut voir dans mes clips font partie des gens que je côtoie quotidiennement, ou que j’ai pu côtoyer. Donc j’imagine que dans un sens la réponse est oui, mais seulement du fait que c’est la seule manière de faire que je connaisse. Je crois que j’ai grandi sans avoir la sensation d’appartenir à la communauté hétérosexuelle. Mais j’avais pas l’impression d’appartenir à la communauté homosexuelle non plus. Donc jouer avec les stéréotypes de genres, ou jouer avec l’énergie masculine et féminine, tout ça… Ça a toujours fait partie de ma vie d’une certaine manière. C’est pas quelque chose que je me retrouve à faire intentionnellement, je pense que ça fait juste partie de qui je suis. Et je pense très fortement aussi que c’est une partie de qui on est tous en fait. Tu vois je connais beaucoup de filles qui ont une énergie masculine intense, comme je connais également beaucoup d’hommes qui ont une énergie féminine intense. Et je sais que ces énergies changent et évoluent constamment… Je pense que c’est juste un truc qui est naturellement en nous tous, et en donc en moi aussi tu vois.

Et y’a pas des gens que ça agace, ça, aux États-Unis ?

Probablement. En même temps tout peut potentiellement agacer quelqu’un… Mais tu vois, peu importe le style de musique, j’arrive pas à concevoir le fait qu’un artiste fasse un clip et ne montre pas des corps aux formes différentes, ou des gens d’origines différentes. Y’a vraiment un truc que je comprends pas quand je vois des vidéos où tous ces gens ne sont pas représentés, et je pense que c’est ça qui est davantage agaçant, voire perturbant même, à vrai dire. On est presque en 2020 maintenant… Je pense pas que ça soit moi en chantant mes relations avec des hommes, ou en montrant de la diversité dans mes clips qui devrait… Enfin… Je sais pas… Ça devrait être hyper standard tout ça aujourd’hui. C’est même pas un truc que je fais exprès de véhiculer, il s’avère juste que les gens qu’on peut voir dans mes clips sont véritablement des gens que je côtoie régulièrement ! Donc c’est plutôt facile en fait pour moi en fait…

Dans tes paroles tu mentionnes pas mal de lieux. Est-ce que je peux te demander d’où tu viens ?

Disons que j’ai vécu dans énormément d’endroits différents. Un peu partout vraiment… J’ai vécu dans cinq pays différents, et avant d’avoir vingt ans j’avais déjà vécu dans quatre pays différents. Je ne suis pas originaire d’Amérique du Nord en fait, j’ai grandi dans l’hémisphère Sud… C’est tout ce que je peux dire…

Peut-être que tu peux nous en dire un peu plus sur les paysages que tu décris dans tes chansons en revanche. Pour ceux qui n’ont jamais mis un pieds aux États-Unis, comment tu les décrirais ?

Mes histoires ne se déroulent pas toutes aux États-Unis. Il y a une de mes chansons qui parle du désert du Sud-Ouest américain, un truc très pittoresque style « cowboy » tu vois, les canyons, les cactus… D’autres chansons se déroulent dans la région Nord-Ouest de l’Amérique du Nord, un endroit très pluvieux, plus « morose », très humide, au coeur de la forêt. Une autre chanson que j’ai écrite quand je vivais à Londres en Angleterre a encore une autre ambiance. Il y a aussi des histoires qui datent de quand je vivais en Afrique… Je pense que le paysage est vraiment varié sur l’album. C’est vrai que je nomme pas mal de lieux dans mes chansons, mais la raison pour laquelle je ne vais pas trop dans les détails descriptifs c’est parce que j’ai envie que les gens puissent replacer les histoires dans un contexte spatial qui leur est propre, qui leur parle personnellement, pour pouvoir davantage se retrouver dans ce que je raconte. Comme tu dis, pour quelqu’un qui ne serait jamais allé dans le Sud des États-Unis par exemple, je pourrais très bien voir Dead Of Night se dérouler dans une petite ville un peu étrange près de Calais… pourquoi pas. Donc les lieux sont importants dans le sens où ils font partie intégrante de mes histoires, mais ils ne sont pas si importants que ça dans le sens où ils sont interchangeables et peuvent résonner différemment à l’intérieur de chacun.

« N’importe qui peut être un cowboy ».

Et en ce qui concerne la « culture cowboy » au fait, on n’a pas ça non plus en France. C’est quoi un cowboy ? Surtout de nos jours. Qu’est-ce que ça implique ?

C’est marrant parce que je pense que ça c’est une autre idée reçue. Certes, il y a la définition littérale du cowboy qui correspond à celui qui travaille dans les fermes, qui s’occupe du bétail, qui monte à cheval… Alors oui je suis un cowboy, parce que je porte un chapeau de cowboy, des bottes de cowboy et caetera, mais je pense que n’importe qui peut être un cowboy. Être un cowboy c’est pas juste porter un chapeau. Je pense qu’être un cowboy c’est davantage relié au fait d’avoir le sentiment d’être un outsider, ou le sentiment de pas réussir à s’intégrer. Ou peut-être à ce sentiment de solitude qu’on peut avoir en soi. Et plutôt que de laisser ce sentiment nous stopper, c’est y trouver du courage, de la fierté, de l’aventure… Trouver là-dedans une sorte de force. C’est une rebellion dans un sens. L’un de mes cowboys préférés c’était Nina Simone. Elle n’était pas chanteuse de country, et personnellement je l’ai jamais vue porter de chapeau, mais je la considère comme un cowboy. Ma mère aussi, elle est ultra déterminée, et elle a jamais peur de dire ce qu’elle pense tout fort. Elle aussi c’est un cowboy. Je crois que je connais un très grand nombre de cowboys en fait, et je pense pas qu’il faille porter un chapeau ou être originaire d’Amérique pour en être un.

Ca fait combien de temps que tu fais de la musique ?

Je fais de la musique depuis que je suis vraiment tout petit. J’ai du commencer à jouer professionnellement probablement aux alentours de mes dix-huit ans. J’ai été dans beaucoup de groupes différents avant de faire cet album en projet solo. J’ai joué dans des groupes de punk où j’étais batteur, j’ai aussi été guitariste, claviériste, pianiste… Pour le reste, disons que je suis fan de Sub Pop depuis un moment. Comme je t’ai dit, je jouais dans des de punk, et j’ai écouté beaucoup de groupes de musique alternative quand j’étais plus jeune, genre des groupes comme Nirvana, Mudhoney, Soundgarden (ndlr : groupes signés chez Sub Pop). C’était vraiment des groupes que j’admirais, et j’ai toujours rangé Sub Pop avec les labels les plus cool, donc quand j’ai découvert qu’ils étaient intéressé j’étais hyper flatté. Ils ont vraiment un héritage incroyable, et faire partie du label c’est vraiment, vraiment un truc exceptionnel. […] En fait j’ai fait une pause dans la musique pendant environ cinq ans entre mon dernier groupe et ce projet là actuel. Je me suis concentré sur la comédie pendant quelques temps, je jouais dans une pièce de western au théâtre à Londres pour tout te dire. À ce moment là donc, je vivais en Angleterre, et la musique a commencé à vraiment me manquer.

Tu as l’air d’accorder beaucoup d’attention également à ton univers visuel : clips, photos, stylisme…

Oui, du moins j’essaye. J’aime tout ce qui touche à l’art en général, et j’adore les artistes comme David Bowie ou Grace Jones, ces artistes qui ne s’arrêtent pas seulement à l’écriture d’une chanson. Que ce soit le costume, l’apparence, la couverture de l’album… Il y a énormément d’autres choses qui gravitent autour de la musique, et j’ai du mal à concevoir que ça puisse être perçu autrement que comme un truc hyper stimulant et excitant. Pour moi c’est super important d’être consciencieux et précis dans tout ce que mes projets peuvent englober. Enfin c’est vers cette catégorie là d’artistes que je tends.

Résultat de recherche d'images pour "orville peck"Donc pour le moment c’est toi qui t’occupes de tous les visuels ?

Oui, la plupart du temps. J’ai une super équipe de gens avec lesquels je travaille régulièrement. Il y a deux photographes qui prennent mes photos et qui sont hyper talentueux, j’ai aussi quelqu’un qui m’aide avec ma direction artistique, puis il y a des stylistes avec lesquels j’aime bien travailler… Tu vois, un autre truc que j’adore faire, et surtout que j’ai la chance de pouvoir faire, c’est de collaborer avec des amis et des artistes que j’admire. D’impliquer d’autres gens pour faire en sorte de créer quelque chose de complet et de cohérent. Ça c’est un truc que j’adore faire. Je pense aussi que c’est super important de créer une vraie connexion avec les gens, et j’ai beaucoup de chance d’avoir déjà des fans qui semblent touchés par ce que je fais. Personnellement, après mes concerts j’adore aller au stand de vente pour discuter avec les gens. C’est un truc que je fais beaucoup, et je pense que c’est tout simplement un autre aspect de ma personnalité : j’ai eu une enfance un peu isolée, et beaucoup de mes chansons parlent du fait d’être un « esprit solitaire », donc je pense qu’au final j’aime me sentir entouré.

Ah oui, dernière question : est-ce que tu penses que le masque va tomber à un moment ?

Je sais pas, il semblerait qu’il soit collé. J’arrive pas à le décoller !

Orville Peck // Pony // Sub Pop
https://www.orvillepeck.com/

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