Il y a plusieurs fausses pistes dans le film de Robert Rodriguez, des pistes qui montrent combien le cinéma bis s’est complexifié à force de recyclage post-moderniste. C’est bien entendu Tarantino qui est le premier responsable de cette complexification. Toute sa filmographie est un travail de raffinage de la série Z, un travail d’auteur qui reprend la forme à son compte, mais contrôle chaque centimètre de pellicule. Robert Rodriguez est un peu le mister Hyde de Tarantino, plus brut, moins brillant, moins mental, mais avec de plus grosse cojones.

Rodriguez approche le Z par un autre versant. Il recherche d’abord l’effet brut, l’approximation, le jump-cut involontaire (voir, dans Planet Terror, cette coupe au milieu du film qui ampute un pan entier d’un scénario déjà maigre). Rodriguez ne transforme pas les forces et les faiblesses du cinéma bis, il en porte au contraire les espoirs et les ratages. L’erreur serait donc d’attendre de Machete qu’il soit un bon film, un film qui tienne seul quand il est avant tout une juxtaposition d’objets hétéroclites. On voudrait retourner voir Vampires de Carpenter en écoutant les compositions rock-FM de Rodriguez, on voudrait revoir du Peckinpah pour voir filmer la corruption… Une autre erreur serait de s’attendre à un vrai film de bonhomme, ce qui était le cas de Desperado, sinon de Planet Terror. Machete est situé un pas plus avant dans la déconstruction du genre.

La clé de Machete pourrait se trouver dans un film réalisé en 1994 par Steven Seagal. Terrain Miné, avec Michael Caine dans le rôle du méchant, est l’un des derniers films de l’âge d’or de Steven Seagal. Une compagnie pétrolière décide de faire des forages en territoire inuit, c’est le début d’une guerre sans merci entre des méchants sans scrupules et Steven Seagal (on y trouve cette fameuse réplique : « Ce mec-là, tu le largues au Pôle Nord sur la banquise, avec un slip de bain pour tout vêtement, sans une brosse à dent, et demain tu le vois débarquer au bord de ta piscine, avec un sourire jusqu’aux oreilles et les poches bourrées de pesos. »). On voit se dessiner dans Terrain miné ce qui fait la profondeur de la persona de Steven Seagal, la force tranquille (sinon immobile), une distance ironique, un message écologique. Le film se termine d’ailleurs sur un laïus environnementaliste de Seagal qui porte pour l’occasion une superbe veste à frange.

On retrouve cette longueur d’onde dans Machete, un patchwork de considérations politiques, de baston un peu gore et d’un humour très Seagalien. Rodriguez raconte, à propos de Desperado, comment il a réalisé avec vingt mille dollars un film à un million, comment les seconds rôles sont joués par les techniciens du film, comment il fait mourir vingt fois les deux mêmes cascadeurs pour une scène de fusillade… C’est dans cette opération économique que se situe le cinéma de Rodriguez, une croyance en l’illusion fondamentale qu’il constitue, une illusion qui n’est jamais si jouissive que lorsque elle est visible, sensible. A cet égard, la mort dans Machete du personnage joué par Steven Seagal est sublime, je m’en voudrais de vous en gâcher le plaisir.

Robert Rodriguez // Machete // En salles
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13 commentaires

  1. machete c’est la classe atomique, c’est une cascade au gros intestin, c’est du z sous amphets. De Niro est aussi fantastique que Don Johnson et la critique du système américain n’a jamais été si présent chez rodriguez

    william je retrouve votre passion inéaltérable de steven Seagal, mais écoutez vous aussi sa musique ?

  2. Et Danny Trejo, quel bonhomme quand même. Depuis « Heat », c’est mon mexicain préféré. On ne le dit pas assez, mais c’est finalement le Lee Van Cleef de l’époque.

  3. Ce film est jouissif…c’est un beau boxon où Machete, le bisounours tatoué (eh oui sous cette carapace il y a un coeur, un peu congestionné tout de même..) fait voler des têtes et envoie des textos.

  4. Super film. Perso, je trouve Rodriguez plus fin que Tarantino. Tarantino utilise de grosses ficelles commerciales enrobées d’un air de ne pas y toucher, avec des références aux séries Z. Quand Rodriguez met clairement ses clins d’oeil sur la table, sans frime, en exhibant ostensiblement ses ficelles commerciales (bombes sexuelles, burnes, explosions) pour mieux s’en moquer. Prendre un Danny Trejo avec une machette en guise d’héros, est plus inventif que de prendre une Uma thurman en jogging jaune à la mode, armée d’un noble sabre.

  5. Euh, Ratata, Rodriguez doit à près près TOUT à Tarantino. Et Sin City, c’était franchement pas top et très flemmard. Maintenant, je suis fan d’à peu près tous ces films, mais le bonhomme peut dire merci à Tarantino, franchement. Le scénario d’une nuit en enfer, qui est son chef d’oeuvre, c’est Tarantino, et ça tient tout le film. Bon voilà. Ceci dit, pas encore vu ce Machette et j’en salive d’avance.

  6. Sin City c’est pour moi les plus belles images d’un film de super héros.
    Machete est une blague géniale, j’attends vraiment la suite qui devrait s’appeler « Machete Kills » et « Machete Kills Again ».

  7. Faut se calmer la sur Rodriguez, ces films sont sympatoches (en meme temps j ai pas vu toutes ses daubes pour les gamins en 3 D)mais le mec est pas super talentueux. Surtout le comparer a Tarentino est une bonne blague.Rodriguez prend tres peu de risques, son meilleure film et de loin, une nuit en enfer tient surtout parce qu’il a su s entourer.
    (Big up Tom Savini)

  8. « Make no mistake, we are at war » éructe De Niro, formidable politocard : c’est du Georges W. Bush post 9/11, cité dans le texte. je voulais juste le dire, j’ai l’impression que ça a échappé à pas mal de gens.
    Moi aussi je me suis marré comme une baleine.
    Cela étant c’est esthétiquement très inférieur au (sublime) Sin City et déconnatoirement, un tantinet moins foufou que Planet Terror.
    Cela étant le jeu d’acteurs, surtout le trio des bad guys, est fabuleux… Bien dommage d’avoir buté tout le monde, ça va être dûr d’avoir un tel casting pour les suivants !
    Au fait, rien à voir, Machete a un tout petit rôle dans Breaking Bad, saison 2 (basiquement, on lui coupe la tête, on la piège et on la fait sauter à la gueule de la police).
    quelle carrière non ?

  9. « je trouve Rodriguez plus fin que Tarantino. » ah ah ah sans déconner, on parle bien du mec de Spy kids, Shark boy lava et desperado 2? Ce mec est le roi pour flinguer des concepts ultrabandant sur le papier ou en trailer (voir Sin City ou même ce Machette).
    Sinon, Machette c’est sympa mais le ventre mou du film casse un peu tout et le réal’ a dû mal à maintenir le charisme de Trejo intact sur la longueur. Et Steven Seagal apparaît moins de dix minutes donc merci pour la branlette théorique critique régressive mes cojones…

  10. Je rappellerais simplement que dans « Death Proof » de Tarantino aussi il y a une bobine manquante…c’était, il me semble, une des base de l’exercice de style.

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