L’avenir de la musique, c’est la nostalgie de ce que l’on n’a pas vécu. Le constat glace le sang. Mais à l’heure où les bons groupes vivants doivent supplier les gérants de salles de concerts à genoux pour obtenir deux tickets-boisson qui n’ouvrent même pas droit aux alcools forts (ne parlons pas de rémunération, le concept est devenu anachronique), il y a des gens prêts à payer 90 euros pour assister au show d’un tribute band.

Il fut un temps où les tribute bands étaient avant tout des fans. Des potes qui avaient en commun l’amour immodéré du groupe qu’ils s’appliquaient à copier. Des gens qui avaient un boulot à côté, et qui s’éclataient à jouer dans les bars le répertoire de leur groupe préféré. Saine occupation[1].

Mais en ce sibérien soir du 1er février 2012, Letz Zep, groupe hommage à Led Zeppelin comme vous pouviez aisément le deviner, remplit L’Olympia. L’Olympia de Bruno Coquatrix, pas le bar L’Olympia qui est à côté de la mairie de Clichy. L’Olympia qui est boulevard des Capucines. Celui-là. Sold out. Les places assises, numérotées, se vendent entre 46 et 90 euros. Des ouvreuses munies de lampes de poche vous escortent jusqu’à votre fauteuil, en vous signalant qu’elles ne sont rémunérées qu’au pourboire – ça leur fait un truc en commun avec les groupes de rock. Le public, âgé de trente à soixante ans, est sagement assis. Veille à ne pas faire de bruit, pas déranger un tiers, ce ne serait guère citoyen. Ne bouge pas, yeux fixés sur la scène où gesticulent vaguement des types en pantalons patte d’eph’. Bat parfois des mains, entre deux morceaux de 10 minutes.

Et moi qui m’attendais à du rock. Moi qui imaginais du son lourd, des décibels dans la gueule, un public en transe, de la bière et de la sueur. Quelle naïveté. « Tellement pointus dans la reproduction du groupe original, ils laissent souvent les fans bluffés et troublés », proclamait la réclame. Bluffée je ne suis sûrement pas. Qu’est-ce qui était censé me bluffer, au juste ? Le petit son tout propre du pédalier numérique multi-effets du faux Jimmy Page ? Les vocalises de star-académicien du faux Robert Plant qui, s’il a pigé le principe de la permanente et de la décoloration capillaire, n’est pas foutu de mettre une once de sensualité dans sa voix ? Nom d’une pipe, la voix du vrai Robert est pourtant connue pour avoir humidifié les culottes de plusieurs générations de jeunes filles (à égalité avec Marc Bolan). Ses déhanchements qui se veulent sans doute lascifs, mais qui produisent l’effet inverse tant le gonze a le charisme d’un bulot ? Le volume sonore, qui ne dépasse pas 98 db ? Waow, trop bluffants les mecs.

Bon, je ne parlerai pas du batteur, dont la frappe n’a rien en commun avec celle de John Bonham, mais comment lui en tenir rigueur ? Personne ne tape comme Bonzo, impossible. Mais quand même, les ingés-son auraient pu faire un effort. On est à l’Olympia merde, pas à la Cantine de Belleville. Des muzicos, pros, gentillets, respectueux. En un mot : chiants.

« … and it makes me wonder »

Troublée, par contre… Ça oui. Troublée je suis, un peu. Quel est l’intérêt de faire un tribute band quand 1) on n’a manifestement rien compris à la musique du groupe qu’on copie, et 2) on ne prend aucun plaisir à jouer ensemble ? Les membres de Letz Zep ne semblent pas contents d’être là. Ne se regardent pas, n’échangent pas de blagues, ne bougent qu’à peine, pour la forme.

Plus troublant encore, le fait que les gens n’aient pas quitté la salle en hurlant à l’arnaque. Quand je les ai laissés, un peu avant l’entracte (un entracte, Sainte Merde !), ils avaient globalement l’air contents. La plupart n’avaient pas l’âge d’avoir vu le vrai Zeppelin en concert. Trentenaires ou quadragénaires, tous cadres ou employés, cheveux courts et vêtements proprets, venus avec leurs copines assistantes dans des boîtes de com’. Ils me rappellent mon tonton, qui a été, comme des millions d’ados, un fan monomaniaque du Zep. Et qui est devenu, comme tant d’anciens fans monomaniaques du Zep, commercial dans une entreprise. Joli pavillon, porte d’entrée en PVC, home-cinéma, canapé cuir, des mouflets qui jouent à la Nintendo DS à table.

Aimer Led Zeppelin n’est pas comme aimer le Velvet Underground. Ado, on a (presque) tous connu le bonheur de mettre un disque de Led Zep au volume maximum, en l’absence des parents. La casbah qui vibre sous les coups de troncs d’arbres du Bonzo, les murs qui tremblent, une bière chouravée dans la cave, une clope fumée dans le salon alors qu’on n’a pas le droit… Jouissif. Des moments inoubliables. Mais aimer Led Zeppelin ne change pas votre vie. Aimer Led Zep ne fait pas de vous un être à la marge. Led Zep vous atomise les oreilles et, si vous êtes une fille, peut vous pousser à vous équiper d’un protège-slip. Mais aimer Led Zeppelin ne change rien à votre philosophie de la vie. Aimer Led Zep ne vous pousse pas à acheter une Les Paul (trop compliqué, vous ne serez jamais à la hauteur). Aimer Led Zep ne fait que mettre une bonne bande-son sur votre adolescence.

Led Zep vous filera de bons souvenirs, pour quand vous serez grand et que vous aurez du pouvoir d’achat. Et comme vous aurez du pouvoir d’achat, que vous ne téléchargerez pas illégalement la musique (vous n’avez appris l’existence de Megaupload que récemment, dans les journaux), l’industrie du disque vous concoctera des coffrets anniversaire, des éditions deluxe mes couilles, des concerts de tribute bands qui sont au groupe original ce que la Minute Soupe Royco est à la délicieuse soupe de lentilles de votre grand-mère. Et vous cracherez votre thune, par nostalgie. Voire, pour les plus jeunes, par nostalgie de choses que vous n’avez pas vécues. Puis, ça vous fera une sortie, une fois n’est pas coutume (c’est qu’on n’a plus trop le temps, avec les enfants, le boulot…).

http://www.letzzep.com/ 


[1] Voir à ce sujet l’article « Appétit de reproduction » de Chuck Klosterman, dans lequel le journaliste relate ses aventures en tournée avec un tribute band de Guns N’ Roses. (Dans le bouquin Sexe, drogues & pop corn, paru chez Naïve)

14 commentaires

  1. Si je vais à l’opéra voir Das Rheingold de Wagner, ce que je ne ferai pas par conviction politique bien sûr, et bien je ne serai pas choqué d’apprendre que ce n’est pas comme à l’époque Wagner qui dirige.
    On assiste simplement à la mort clinique d’un certain nombre de groupes, mais la musique est éternelle, d’autres reprennent le flambeau et l’interpréteront à leur manière. La seule chose que l’on peut reprocher à Letz Zep, c’est d’être mauvais. Mais leur nom est assez terrible.

  2. Si tu vas à l’opéra, c’est pas pour entendre du rock’n’roll. Si tu vas voir Letz Zep, c’est pas pour entendre du rock’n’roll non plus.

  3. Et encore tout ceci n’est pas bien différent de la tournée The Wall de Roger Waters, avec un petit jeune qui joue les solos de Gilmour à la perfection à Bercy. Monté comme un grand spectacle, un vrai opéra rock, avec une fosse pour les encore jeunes et des sièges pour les vieux. Il y aura t il une prime à l’authenticité ?
    Lorsque Rachmaninov faisait ses tournées de concerto, il était boudé car on prétendait qu’il n’était même pas le meilleur interprète de ses propres oeuvres.

  4. Yes je vois tout à fait ton oncle, j’ai exactement le même sauf qu’il est fan des Eagles, tout de suite la vocation commerciale est plus évidente…

  5. – « Aimer Led Zeppelin n’est pas comme aimer le Velvet Underground ».
    – « Mais aimer Led Zeppelin ne change pas votre vie. Aimer Led Zep ne fait pas de vous un être à la marge. »

    Mmmmmmm… C’est beau l’innocence juvénile.

    Ah, le romantisme Rock’n roll… Au risque de vous décevoir, écouter le Velvet Underground ne fait pas forcément de vous un paumé magnifique, accro à l’héroïne qui se délecte de poésie et de jeux sexuels pervers. Un fan de led Zeppelin, tout comme un fan du Velvet underground à 99,99% de chance de finir avec la litanie « Joli pavillon, porte d’entrée en PVC, home-cinéma, canapé cuir, des mouflets qui jouent à la Nintendo DS à table ». C’est pourtant un peu notre lot à tous, et passé la trentaine on se rend vite compte qu’on aura malheureusement du mal à échappé à ce stéréotype. Les rêves de débauches adolescents restent le plus souvent des rêves. La mesquinerie de la vie quotidienne et banale, nous rappelle très vite à la réalité. A moins d’être un punk à chien mais ça c’est une autre histoire.

    De plus au risque de vous décevoir, je pense que malheureusement Céline Dion aura changé plus de vies que Led Zeppelin et le Velvet Underground réunis. C’est triste, oui je sais.

    Sinon tout a fait d’accord avec vous, un concert avec un entracte n’est pas un concert de rock.

  6. merde on a trouvé la descendance de Guy Michel Thor ! Donc après 30 ans stop fin des hostilités ou alors on est un punk à chien ? je vais sur mes 35 ans et c’est étrange mais je dois faire partie de 0,1 % de la population parce que je ne me sens vraiment pas concerné. Est ce que je fais les mêmes plans d’abrutis qu’étant gamins ? nein Est ce que je suis prêt à me foutre le cul dans une tente à l,arrache avec un mec qui vomit à côté après avoir fumé quatorze spliff et ingurgité des tonneaux ? nein
    Est ce que ça veut dire que je vais chez ikéa en famille le we ? nein
    Mais bon sang qu’est ce que la débauche ? vous avez trois heures

  7. Quand on réchauffe un bon plat au micro-ondes,forcément,ça se barre en couilles;dans la même optique,il est grand temps de réduire au silence les Stones,Les Pink Floyd, Bowie et Lou Reed!.

  8. Je suis fan de Led Zep. J’apprécie également les Velvet, Lou reed, Andy Warhol….ainsi que le concept de la factory ??? cela ne m’empêche pas d’avoir apprécier les Letz zep en concert… ok il n’y avait pas Robert Plant et Page… fan absolue des Led Zep j’ai tout de même passé un bon moment en attendant de pouvoir voir les « VRAIS’.

    Sylvia laisse toi aller, oublie tes préceptes d’intellectuel qui te brident et tu trouveras peut-être des ressentis au travers de la musique…
    Pour ma part j’ai revécu de bons moments que j’ai pu vivre sur les morceaux de Led Zep… moments très forts de ma vie.. c’est bien la preuve qu’ils ne sont pas si mauvais que çà… j’espère bien que dans les siècles à venir les générations futures iront à l’opéra écouter aussi bien un concert de Mozart comme un concert de Led Zep mais sans Page et Plant … seront ils aussi forts que les Letz zep???

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