Pas facile de rentrer dans l’inconscient collectif quand votre nom est à coucher dehors. A l’heure du libre échange et des standardisations culturelles, les Allemands de Die Wild Jagd ont préféré rester de l’autre côté du mur de Berlin et leur deuxième album, « Uhrwald Orange » est tel un parpaing accroché au pied de l’auditeur ; impossible de ne pas plonger dans cette formidable envolée motorique.

BB_290_RZ_Cover_Presskit_CMYK« La chasse sauvage », c’est la traduction littérale de Die Wilde Jagd ; et comme personne ici n’a choisi l’Allemand en LV1, la précision permet de mieux cerner ce groupe dont le commun des mortels n’a jamais entendu parler. A peine sait-on que le premier album fut publié en 2015, et que le groupe remixa La visite d’Etienne Jaumet. Pour le reste, niveau argumentaire et fiche produit, c’est le désert ou presque. Et c’est donc la raison même de la grande chasse dont il est ici question : traquer cette bête sauvage au nom compliqué dont personne n’a jamais réellement parlé en France et qui pourtant signe un deuxième album si démentiel que même une bande d’handicapés moteur, à son écoute, pourrait décider de lancer un Kickstarter financé par RedBull pour ouvrir un ouvert 24/24 à la périphérie de Berlin et où l’on apprendrait à remarcher grâce à des versions surboostées de Tangerine Dream.

On parlait dans l’introduction d’acculturation progressive ; ou de comment la musique contemporaine, à force d’être influencée par à peu près tout (le passé, les courants, les habitudes de consommations frénétiques des internautes) avait fini par se perdre dans un grand tout, à la fois mou, impersonnel, interchangeable ; bref, l’équivalent d’une série de T-Shirts Primark aux couleurs tellement variées que tous finissent par se ressembler. « Uhrwald Orange », c’est l’exact inverse : Fasciné par l’eurodance des années 90, Sebastian Lee Philipp mélange en huit morceaux aux durées irrationnelles (de 6 à 15 minutes) le krautrock historique de son pays et l’électronique de transe, sans jamais perdre de vue la dimension européenne consistant à réunir les populations du vieux continent autour d’un groove transfrontalier. Dit comme ça, c’est un peu pompeux, alors reformulons : Flederboy, le titre d’ouverture, est une barre à mine métronomique qui se place entre Amon Düül II, Drame et le deuxième album de The Horrors (celui produit par Geoff Barrow, et après lequel les Anglais creusèrent leur cercueil doré). Pendant 15 longues minutes, un riff de basse agit comme un mantra dans la tête de l’auditeur qui, s’il n’a pas immédiatement envie de se lever pour tabasser tous ses voisins en criant comme un mec refoulé au Berghain, est soit fan de Phil Collins, soit probablement déjà mort.

Le problème, c’est qu’il serait possible de croire au hasard bienheureux ; il est après tout assez facile de placer le meilleur titre en piste 1 d’un album que personne n’attend au tournant. « Uhrwald Orange », pourtant, est tout du long passionnant ; zigzaguant entre les délires électroniques et nocturnes de Robert Görl, les reprises inconscientes et complètement tordues (Stangentanz ressemble au Cannonball de Breeders qui se seraient formés à Munich) et les longs délires planants qui firent la beauté de l’Allemagne quand ses musiciens à nuques longues tripotaient des claviers en shorts Adidas. La piste de clôture, Der Uhrwald (l’horloge en bois en VF), reste à ce titre ce grand moment où Die Wilde Jagde parvient à ressusciter ce vieux rêve d’ingénieurs de l’IRCAM tripant dans une immense frat party en écoutant Pink Floyd, Jarre et Soulwax.

Arrivé au bout de ce marathon, l’envie de reprendre la course depuis le départ est grande. C’est alors qu’on comprend que la chasse dont il est question ici est verticale, c’est en coulant avec Die Wilde Jagde qu’on évitera la noyade, à force d’avaler trop de disques sans respiration. Attention, chef d’œuvre.

Die Wilde Jagd // Uhrwald Orange // Bureau B
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