Entre certains doigts agiles, intelligents et expérimentés, la basse rock peut être magique et lumineuse, portant l’auditeur vers des cimes de délectations que la guitare ne saurait délivrer avec autant de panache. A la base, bien sur, la basse, c’est plus le credo du funk, voir du jazz, avec ses branleurs de Pastorius, Marcus Miller & co. Chez papa Rock, la basse passe généralement pour le frère trisomique et sans charisme de la sacro sainte guitare. Mais en y regardant de pas si près que ça, on peut distinguer dans la purée de pois de braves héros de la 4 corde s’aventurant dans des zones sonores impraticables guitaristiquement parlant. Tim Bogert, Scott Reeder, Mike Watt, Jack Bruce… Des noms qui ont sans doute joué un rôle non négligeable dans la naissance de tous ces combos basse batterie…

Death From Above

Cette fausse et minuscule mouvance prit forme en 1985 à Tokyo. Deux intello bridés désireux de monter un groupe aux antipodes des formules casses-bonbons – parce qu’éculées – du rock brisent les conventions et donne vie au premier duo basse batterie. J’entends la plèbe hurler son mécontentement, « groupe d’intello! », « musique chiante! ». Je te l’accorde Plèbe, Ruins n’a jamais excité mes deux trous latéraux. Et ruer dans les brancards n’a jamais été mon sport favori, je ne m’étendrai donc pas sur ce groupe majeur historiquement mais mineur musicalement.
Leur fiston légitime, Lightning Bolt, deux mecs de Providence, les surpasse de plusieurs têtes en proposant à l’auditeur médusé une non musique qui lui chie dessus, littéralement. Même les Godheadsilo, autre duo basse batterie qui déchaînait pourtant une poignée de noise boys 90s éclairés, ne peuvent tenir la comparaison. Du haut de nos toutes neuves années 2000, le duo de Fargo ressemble à un simple grain de sable grunge crado de la décennie Clinton coincé entre du Black Flag sans testostérones et du Unsane dépourvu de groove de hooligans suicidaires.

Là où la musique de Godheadsilo sonne comme du sous rock, celle de Lightning bolt brille – sans que le duo ait l’envie d’en avoir conscience – comme de l’anti-rock. Ces abysses de batteries qui tapent comme trois gueules de bois carnivores et ses basses phalliques qui vrombissent comme 300 spartiates sous LSD résonnent moins comme un enfant rock perturbé que comme un monstre de free transe technoïde sauvage et épileptique. Pourtant, Brian Chippendale, le batteur sympa du duo, m’avouait il y a 2 ans – à la suite d’un furieux concert qui ne manqua pas de lui trouer le genou – que leur plus grand rêve était de réussir une généreuse rock song efficace à la AC/DC. Mais même avec de telles phrases, Chippendale ne trompe personne, car en voyant ces deux hommes jouant et luttant au centre même de la foule, refusant humblement l’estrade qui leur est offerte, vous assistez à une révolution qui anime le badaud, agite ses poings dans l’estomac du voisin et exalte l’homme suant au premier rang.

Peu de duos basse batterie usent de la formule comme Lightning Bolt.

En règle générale, ce choix découle d’un certain pragmatisme punk refusant les concessions qu’affectionne le rocker lambda. Par exemple, si, jusqu’à leur troisième album, Big Business refusèrent l’ajout d’un guitariste ça n’est pas par dédain arty mais par pur autisme crypto gay. A la base, Big Business ce sont juste deux types de Seattle, Jared Warren et Coady Willis qui tentent lors de leur rencontre de monter un power trio classique, sans succès…  Contrairement à un grand nombre de musiciens effrayés par le risque et tentés par la vie tranquille du looser rangé des amplis, Jared et Coady poursuivent l’aventure sans guitariste. Jusqu’au jour miraculeux où, fort de plusieurs années de gloire underground (membres des Melvins depuis 2006), les deux gaillards dénichent le messie. Toshi Kasai est son nom. Ses faits d’armes? Des apparitions courtes mais éclatantes sur quelques albums des Melvins et sur la perle de Zu, trio italien basse/batterie/saxo bizzaroïde, Carboniferous. Sur Mind The Drift, troisième galette de Big Business, le discret japonais dévoile l’éclatante supercherie: non, Big Business ne fonctionne pas à deux. Certes, plusieurs pistes du duo relevaient presque du génie, particulièrement sur le deuxième album, mais il manquait toujours ce petit quelque chose qui rend l’œuvre immortel en cognant Mozart et Beethoven en plein dans la gueule. Big Business n’a donc jamais été un véritable duo basse batterie, en répondant à l’appel de la six corde, le duo Warren & Willis avouent ses faiblesses tout en offrant à l’auditeur leur meilleur disque à ce jour, à placer aux côtés des plus lourds et des plus beaux, entre un éléphant raffiné et un vase ming pantagruélique.
Lullabye Arkestra, gentil couple de Toronto ont malheureusement emprunté le chemin inverse. Le groupe fut conçu sous les draps par Justin Small et Kat Taylor (Small depuis 2001) puis placé très vite au beau milieu d’une partouze d’instruments incongrus. 3 cuivres, un orgue Hammond, un violon, une basse et une batterie pour une belle performance où Ella Fitzgerald pétée à la Maximator cherche querelle à Neurosis, le disque se nomme Ampgrave. Les deux canadiens – par souci d’harmonie conjugale sans doute –  reviennent ainsi à la formule minimale sans pour autant offrir le même degré d’intensité que lors de leur folle expérience échangiste. Pas mauvais mais pas flamboyant non plus, Threats/Worship patauge dans une formule punk rock/metal qui ne fait qu’amuser le post metalleux blasé que je suis.

Peu de groupes basse batterie atteignent la cohérence ultime en répondant correctement à la réponse franche et profonde: « Nan mais franchement les gars, pourquoi une basse et une batterie? »        

Trois groupes seulement y parviennent: Lightning Bolt (déjà cité), Death from Above 1979, leur pendant sexy et accessible, auteur d’un unique album disco mini metal et Om, ovni tantrique de la jeune galaxie basse batterie. En 2003, après avoir fumé les dernières cendres de Sleep, trio black sabbien et shité des 90s, Cisneros et Hakius percutent Dieu. Défoncé à la purple haze, Dieu leur ordonne de jouer la musique la plus chiante, la plus religieuse et la plus lourde du monde. Une fois la quête digérée et acceptée, Cisneros, tête pensante embrumée du groupe, souffle Variations on a Theme, soit trois pistes pour presque 50 minutes d’hypnose bouddhiste. Usant de la formule drum ans bass comme d’un instrument de transe shamanique, Cisneros continue de prêcher la bonne parole du grand fumeur céleste de Marie Jeanne en compagnie d’un autre batteur issu de Grails, Emil Amos. Chris Hakius, foudroyé par le conseil des anciens – celui que Cisneros entend tous les soirs avant de se coucher – à Jerusalem, durant leur concert mythique de 5 heures, ne pouvait poursuivre la mission divine. Son corps vit toujours mais son âme s’est éteinte. Merde.

On peut être allergique à ce trio infernal mais on ne peut décemment occulter leur pouvoir divinatoire. Majestueusement, ces trois duos phares refusent le cliché Wayne’s Worldien du post ado fasciné par cet objet suranné qui fait mouiller les filles et qui impressionne les copains. De la musique de ces prophètes s’échappe un message, un seul: « Le rock n’est pas mort mais le rock mourra ». Ces oracles annoncent l’apocalypse du non-rock, celui qui brûlera Bono et Liam Gallagher dans un torrent de flammes noires éructées par une chimère monstrueuse comme la tête de Brice Hortefeux greffé sur le corps de Valérie Damidot.

Lightning Bolt : http://www.myspace.com/lightningboltbrians
Om : http://www.myspace.com/variationsontheme
Death From Above1979 : http://www.myspace.com/lightningboltbrians

16 commentaires

  1. En effet mea culpa.
    J’en ai zappé pas mal aussi, des bons (gâtechien, Sabot..) comme des mauvais (Beehoover)
    Pour les duos que je connais pas, hésitez pas à les rajouter ou à m’insulter ou les deux.

  2. Sino dans les 90’s, alors que les robots ménagers devenaient de plus en plus intelligents et qu’en contre partie les dessins animés devenaient de plus en plus cons, y’avait un duo ‘drum and bass’ français du nom de Belly Button. Les robots dansaient mieux pour râper les carottes, les kids dansaient mieux autour de leur télé.

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