Plus rare qu’un ours polaire sur la banquise ou qu’une abeille au printemps, il y a les adeptes de cassettes. Ils existent. Ils ont même un festival, le « K7 store day » et une série de compilations sur K7. Il était donc temps de se demander ce qu’avait à dire cette espèce nommée TRUC avant qu’elle ne s’éteigne elle aussi.

À moins d’être digital naïve, les compiles sur cassette ça ressemble à un enregistrement plus qu’approximatif des morceaux, parfois écourtés ou parasités par la voix d’un présentateur de radio semblable à celui d’un animateur de fête foraine. Un truc pénible. Mais TRUC, c’est une série de 9 compilations à thèmes pilotée par les labels Inpolysons (Klimperei, Pierre Bastien…), Monster K7 (Kawaii, Michael Wookey et organisateur du festival Music For Toys), bricolée par Germain (organisateur des soirées Touche à ton doigt) et Pierre Chandeze (Carton Sonore, Monster Surprise). Pour la sortie du premier volume « cabinets de curiosité », Gonzaï est donc allé rencontré ces doux dingues.

Vos pouvez nous faire un récapitulatif sur l’histoire de vos labels respectifs ?

Denis : InPolySons, la première sortie c’est 1989. Mais je vais pas reprendre toute l’histoire. D’abord j’ai sorti des vinyles puis j’ai sorti des Cds. J’ai toujours sorti pas mal de compilation à thème que je proposais aux musiciens. Moi j’aime bien combiner d’autres goûts avec ce que j’aime bien en littérature, en cinéma, le faire partager avec les musiciens. Je pense que c’est intéressant de stimuler l’esprit créatif en demandant à un musicien de faire un morceau sur un thème qui lui parle. Dans le label, il y a beaucoup de compiles et il y a beaucoup d’albums de musicien sur des thèmes particuliers : sur Alice au pays des merveilles, sur Alfred Jarry, des trucs que j’aime bien.

Anne : On a fondé Monster K7 en 2007 et comme Denis, on aime bien les compilations aussi. On a lancé le label avec une compilation qui s’appelle « Une Ode au Toy Piano ». On a ce goût commun avec InPolySons, pour les musiques bizarres, un peu bricolées.

Gary : On a fait aussi des compilations à travers le festival Music For Toys avec le principe d’inviter des artistes qui utilisent des jouets pour faire de la musique.

Anne : Au fur et à mesure, on s’est retrouvé par avoir des artistes en commun avec InPolySons. D’où le rapprochement des deux labels.

Vous vous rencontrez comment?

D : On a dû se rencontrer sur un stand à la Villette Sonique ou un truc comme ça ?

G : Oui c’était à la Villette Sonique. Nous on connaissait déjà tes sorties. T’avais fait jouer Madame Patate dans ce truc-là…

D : Ah oui. Le cube transparent. Les musiciens jouaient dedans et les gens écoutaient au casque à l’extérieur. Il y avait Madame Patate et David Fenech. On a des goûts communs. Divergents aussi, mais on s’est retrouvés sur nos gouts communs.

L’idée de ce Truc ?

Denis : Récemment, j’avais envie de sortir une collection, un peu comme un couturier. Une collection à thèmes. Je ne voulais pas faire ça tout seul, parce que c’est moins marrant. Et puis j’avais aussi besoin de voir d’autres horizons. Surtout que faire une dizaine de compilations; ça veut dire contacter pleins de musiciens. Donc j’ai contacté Monster K7 pour que l’on fasse ça ensemble. Et puis petit à petit, de skype en skype… on a sorti un premier volume.

De gauche à droite, Germain, Gary, Anne et Denis dans l’écran

Y a une filiation entre les deux labels ?

Anne : Oui en tout cas, nous on le ressent. InPolySons c’est un peu comme le label papa de Monster K7. On n’a pas monté Monster K7 parce qu’InPolySons existait mais on a appris à se connaitre.

Denis :  On se recoupe sur pas mal de choses mais on fait des choses différentes aussi. J’ai produit des choses expérimentales, improvisées parfois, un peu plus intellos peut-être. Et vous des choses plus pop.

Germain : Au fil des années, Monster K7 s’est plus orienté vers les musiques expérimentales. Au début, il y avait pas mal de folk mais maintenant la direction que prend le label est vachement plus barrée. Ça tend à devenir comme Inpolysons.

Gary : C’est la conséquence de rencontre. La rencontre avec Denis, c’était quelque chose d’important. Même les artistes qu’on a pu inviter. C’est vrai. On a fait évolué la ligne.

Denis : C’est aussi parce que les musiciens communs sont variés dans leur goût et leur production. Par exemple, David Fenech se rejoint sur nos labels mais il fait plein de choses différentes avec d’autres gens.

Germain : Ce qui rapproche les deux labels, c’est le goût pour la musique non formatée mais bricolée à la maison. Ce qui a toujours été revendiqué par Monster K7 mais aussi par InPolySons et que l’on retrouve chez les artistes comme Klimperei, Pierre Bastien qui ont cette culture de faire de la musique avec des instruments un peu cheap ou de bricoler leur machine.

 Quand tu fais de la musique barrée, tu te positionnes dans la société. 

De la Toy à l’Art Brut, qu’est ce que vous défendez ? Il y a un manifeste dans vos choix esthétiques?

Germain : Je pense qu’il y a quelque chose de Dada. Surtout chez InPolySons mais un peu moins sur Monster K7. On est à l’ère d’internet, alors le texte (la présentation du projet sur KissKissBankBank; Ndlr) je l’avais pensé comme un manifeste. L’esprit du projet à la base c’était un peu cet esprit là. Un truc Dada.

Denis : Je te rejoins complètement. Moi j’ai fait d’autres projets avec cet esprit de manifeste. J’ai fait une compile sur la « Pecno Pop » pour contrecarrer la techno standardisée avec une musique plus ancrée sur le populaire, le DIY. J’ai fait aussi une compile sur l’utopie parce que justement c’est utopique. Alors oui, y a quelque chose d’un manifeste même si j’ai jamais milité pour quoique ce soit. Ce n’est pas que le plaisir d’écouter, c’est aussi de créer, avec des messages et une position dans la société. Quand tu fais de la musique barrée, tu te positionnes dans la société. A côté comme à part, c’est important.

Anne : Le label Monster K7 aussi était parti d’un manifeste. Quand on a créé le label, au début, on ne faisait que des cassettes. On avait créé un vrai-faux manifeste pour le retour de la cassette audio. C’était une manière d’interpeller tous les gens qui se séparaient des supports physiques de la musique pour écouter des mp3. On a pensé la blague jusqu’au bout, en disant « on ne sortira que des K7 ». Un support mort aujourd’hui mais qui revient au goût du jour

Gary : C’était une vraie blague à l’époque. On ne pensait pas que ça allait vraiment revenir.

Alors la cassette, c’est un geste politique ou un choix économique ?

Anne : Il y avait plusieurs raisons dans le choix de la cassette. Il y avait un côté économique, parce que le vinyle, les coûts sont trop importants. Et c’est un format qu’on aime tous. Donc il y avait du sens de le faire sur cassette. Au début il y avait cette logique économique.

Denis : Si on avait pu, on aurait fait des vinyles. Pour moi ce n’est pas une revendication que de compiler sur cassette. Mais faire une série de neuf vinyles à raison de 2 par an, c’était pas possible économiquement. Pour moi c’est la raison principale pour laquelle on a choisi de le faire en K7. Là où on était tous d’accord, c’est qu’on ne voulait pas faire de CD. Après le coffret c’est un coffret de CD. C’est pas un geste militant, mais c’est simplement plus pratique.

Germain : Ca correspond bien au nom de la compile et ça rejoint la numérotation bizarroïde, c’est un TRUC.

Justement, la numérotation, ça veut dire quoi ?

Denis : Je voulais faire une série, une collection. Mais je me suis dit que je n’allais pas l’appeler « 1, 2, 3 » ou « A, B, C ». Donc fallait trouver un moyen pour numéroter une collection. Donc j’ai cherché et j’ai trouvé une suite mathématique qui s’appelle la suite de Syracuse. Les numéros suivent cette suite. Pour commencer tu choisis un nombre. Le 6 puis tu le divises par 2 pour avoir le suivant. Le 3. Et les nombres impairs tu les multiplies par 2 et t’ajoutes 1. Etc… jusqu’à 1 donc t’obtiens 9 chiffres. Ça fait 9 étapes. Et dans la suite de Syracuse, ça s’appelle « un vol de 6 ». Et le numéro 16. C’est la hauteur maximale pour atteindre le vol. On fera un truc spécial au numéro 16.

On revient sur Dada… 

Denis : Alors plutôt que Dada. Parce que Dada c’est une révolution où on se permet de faire n’importe quoi sans aucune règle. Là ça se rapproche de l’Oulipo. On se donne des contraintes. C’est loufoque mais c’est balisé sur des contraintes. Quand tu fais une compile à thème. Un thème c’est une contrainte. Donc c’est plus proche de l’Oulipo que de Dada.

Alors qui pose la contrainte ? C’est qui l’esprit torturé de tout ça ?

Germain : On a fait des grosses séances de brainstorming jusqu’à trouver le thème qui ressortait le mieux pour la première compile. Enfin les deux premières puisqu’on en a une deuxième en cours. Et on a encore tous les autres à décider. Mais on a des listes. Et Denis avait cette idée de permettre à un artiste de prendre en main la compilation.

Denis : Oui c’est l’idée. Si c’était une revue ce serait comme avoir un rédacteur en chef invité. De proposer à quelqu’un et pas forcément un musicien, qui n’est pas dans le cercle de Monster K7 et de InPolySons, de diriger une compilation sur un thème sur lequel on se met d’accord ensemble. La personne invite les musiciens et chapeaute le truc. C’est lui le rédacteur en chef.

Gary : On a donné le deuxième thème à David Fenech. Il y a cette idée d’œil extérieur et le thème évolue avec ses propositions et surtout il choisit les artistes. Il essaye de réfléchir au meilleur mélange d’artistes.

Parce qu’il faut une certaine cohérence, comment vous coordonnez la création d’une compile avec les artistes ? Est-ce que vous faites les artistes se répondre entre eux ou est-ce que c’est l’inattendu qui fait le fil rouge ?

Germain : Ça va dépendre des compilations. Pour la première, on s’est dit que ce serait intéressant d’avoir pas mal d’artistes des deux labels comme un reflet. Mais on va retrouver aussi d’autres artistes qui sont dans la constellation et dans l’influence des labels. Et l’idée pour les prochaines compilations ce sera d’ouvrir à d’autres artistes, que peut-être on ne connait pas du tout. C’est justement l’idée de faire intervenir un artiste qui fera venir son propre réseau d’artistes. Sur la seconde compilation, par exemple David Fenech a commencé à nous faire des propositions et il y a des artistes dont on n’aurait jamais eu l’idée, d’autres qu’on ne connait pas et d’autres dont on se serait dit « ils ne voudront jamais faire une compilation pour nous ».

Germain : Sur la première compilation, parce que c’est la réunion de deux labels et un projet que l’on voulait ouvrir, on a contacté des artistes dont on aimait beaucoup la musique. C’était des types, je pensais qu’ils allaient nous dire « mais on s’en fout », mais en fait la plupart était intéressé par le projet. Parce que c’était l’occasion pour eux justement de sortir un morceau qu’il n’avait jamais sorti.

Denis : Ce dont il faut se rendre compte, c’est que 9 compiles ça représente environ 200 artistes. Ça veut dire qu’à la fin, on aura une panoplie d’artistes qui sont actifs, créateurs dans ces années 2017- 2022 ou 2023. C’est ça aussi l’idée de collection. Ça peut faire un flash sur une création musicale particulière en France mais pas que…

Eviter l’entre-soi, c’est ça ?

Denis : C’est exactement ça.

Tu parles d’une collection. Pourquoi une collection plutôt qu’une série ?

Denis : C’est une collection. Donc tu peux t’abonner. Il y a des bouquins d’abonnement dans le boitier donc tu peux t’abonner à la collection comme si tu t’abonnais à une revue. Et avec l’abonnement, les gens ont une cassette spéciale, que j’appelle « œuvre sans artiste ». C’est un peu compliqué mais j’ai toujours des raisonnements compliqués. Au départ c’est une sorte de sociologue français, Jean-Yves Jouannais qui a écrit un bouquin qui est assez connu qui s’appelait Artistes sans œuvres. En fait il a repéré dans l’histoire de l’art, plutôt contemporain du 20- 21ème siècle, des artistes qui ont très peu produit mais qui ont eu une aura très importante. Il y a Arthur Cravant, par exemple. C’est post dadaïste, une sorte de dandy, un personnage solaire. Un mec qui était boxeur et poète à la fois. Il distribuait ses poèmes dans les rues de paris. Il a créé une revue très provocatrice qui s’appelait Maintenant, où il se disait être le neveu d’Oscar Wilde. Enfin un mec complètement délirant. Qui a fait un combat de boxe dans les arènes de Barcelone face au champion du monde en titre, et qui a disparu mystérieusement à 27 ou 28 ans dans le golfe du Mexique. Il a très très peu produit mais il a extrêmement influencé André Breton. Dans ce bouquin, il y a aussi beaucoup de gens qui produisent et qui jettent, qui écrivent et qui jettent, qui peignent et qui brulent … des artistes sans œuvres. Même Marcel Duchamp. Il le considère comme un gros flemmard qui n’a pas fait grand chose, qui a mis 10 ans à faire son célèbre verre La mariée mise à nue par ses célibataires. Il jouait surtout aux échecs. Il produisait très peu. Donc moi j’ai pris à rebours ce truc-là et j’ai proposé de faire des œuvres sans artistes . En fait ce sont des œuvres anonymes. Donc cette cassette est faite des enregistrements que j’ai récupérés, d’artistes anonymes. Je les ai rencontrés mais ils sont anonymes.

Pourquoi ce nom : Truc ?

Gary : C’est le truc quand tu fais une compile ou une série de compile ou même quand tu montes un groupe. Faut trouver un nom. C’est toujours difficile.

Anne : On s’est rendu compte aussi que quand on parlait de la compile sans y mettre de nom, le mot truc ressortait déjà. Truc a mis tout le monde d’accord. Il y a quelque chose qui n’est pas défini qui veut dire tout et n’importe quoi.

Germain : Quelque chose de difforme, tu ne sais pas trop ce que c’est. Un peu comme les gens sur les compiles. C’est à l’image de la cassette, comment on l’a monté. C’est un truc protéiforme.

Denis : Le premier montage c’est Germain qui nous l’avait proposé. Dès le début il nous a proposé un enchaînement des morceaux. Ça donne une cohérence et comme c’est sur une cassette, quand tu l’as mets, tu ne sais plus si c’est la plage 5, la 8, tu ne sais plus qui c’est. Parce que ça s’enchaîne alors tu ne peux plus bien suivre.

Qu’est ce qu’il a de singulier, ce montage ?

Anne : Germain a fait un montage assez dynamique avec un enchaînement sans blanc entre les morceaux. Ça s’enchaine hyper bien. Tu commences à écouter la cassette et ça te porte jusqu’à la fin.

Germain : c’est juste un gros morceau. Et c’est Yan Hart-Lemonnier qui a fait le mastering. Ça te raconte une histoire qui part un peu dans tous les sens. D’autant qu’on demande des morceaux à des gens qui font de la musique un peu barrée à la base. A la fin t’as un gros morceau avec plein de petit bouts de trucs hyper bizarres. Et donc ça fait un…un… truc. C’est le pendant musical du nom.

Alors est ce que les gens seront aussi amenés à jouer ensemble ? La performance comme le montage, peut aussi être amenée à se décloisonner ?

Gary : Une année on avait fait ça dans le cadre de Music For Toys. Les instruments étaient justement la contrainte et on avait invité des artistes à se mélanger pour créer des choses. C’est un truc qui avait bien marché et qui nous avait bien plu. Et c’est un truc qu’on pourrait imaginer faire.

Denis : La deuxième compile justement, le thème sera … un mélange … avec des musiciens deux par deux. Avec un musicien qui va composer la fin d’un morceau qu’il va transmettre à un autre musicien qui devra composer le début. Ça pour une release party, ça pourrait être intéressant à faire. Ça pourrait faire un « marabout de ficelle ». Y a un groupe qui démarre, ensuite y en a d’autres qui viennent, ils jouent un peu ensemble ensuite le premier s’en va et le deuxième reste… puis un troisième arrive etc..

Germain : J’avais vu ça une fois à Berlin où il y avait Ravi Shardja qui jouait. Ils faisaient ça. Ils n’avaient pas fini leur concert que les seconds s’installaient. Ils essayaient de s’ajuster. Il s’étaient arrangés pendant les répétitions et en fait c’était génial comme idée.

Y aura une suite ? un changement de format peut-être ?

Denis : Tu sais, on a 2-3 ans devant nous.

Anne : Les 9 numéros vont nous porter jusqu’à 2023, peut-être.

Gary : Et puis j’ai l’impression que cette idée d’avoir un début et une fin, c’était quelque chose qui nous plaisait tous.

Denis : C’est comme un scénario. Tu connais la fin. Tu sais qui a tué qui. Et entre les deux, tu fais ce que tu veux.

2 commentaires

  1. depuis 1988 je suis un fou de K7 audio ,j’ai passé la plupart de mes apres midi dans les 90’s a faire des compilations en k7 ,pour moi d’abord puis pour en offrir a des amis ou des filles que je visé ,à l’epoque la k7 audio pour pecho des RAGAZZA c’etais mieux que tinder lol ,j’ai realisé une centaines de compilation en k7 audio que j’ai toujours en ma possession ,je vais progressivement les mètres en ligne sur mon blog 100 pour cent faute d’orthographe ,merci chère KARINE GROUHEL pour la peine je vous dédie ce film de Marco Ferreri lol 🙂 i love you un film de coeur de mr perseverance https://youtu.be/zKALefwdsuw

  2. les mecs de Monster Melodies à Boboland vendent des platines K7 d’occasion à minimum 150 euros pièces.Vous m’avez pris pour un Bobo ou un Hipsters bande de voleurs ?

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