De la Sirène, bloc festif installé sur la pointe rochelaise, Cyrano aurait certainement dit : « c’est une Scène des Musiques Actuelles, c’est un cap, que dis-je, c’est une péninsule ! ». Le héros au long nez aurait eu raison d’ailleurs : la Sirène, c’est bien plus qu’une SMAC. A l’occasion des cinq ans de cette salle atypique, portrait de David Fourrier, patron lui-même pas très conventionnel qui fait hurler le lieu soixante-dix jours par an.

Elles sont parfois comparées à des maisons closes où le rock serait subventionné depuis 1996 [1] ; à l’inverse d’autres y trouvent leur bonheur hebdomadaire dans des agglomérations régionales où la culture est parfois la seule bouée de secours pour une jeunesse qui a envie de se défouler. Ces nouvelles « maisons associatives pour les jeunes », pour paraphraser Cobra, ce sont les SMACS, pour Scène des Musiques Actuelles ; des lieux financés par l’argent public qui, en vingt ans, ont poussé partout en France comme des champignons. Comme eux, il y a les comestibles et les toxiques. D’un côté des lieux de résistance ultra-pointus où la musique est vue comme un bras d’honneur aux politiques fans de Johnny (relire l’interview de Rubin Steiner, ancien programmateur du Temps Machine à Tours), de l’autre des annexes du bon goût public où Louane et consorts font salles combles dans des bâtiments qui ont souvent coûté des millions d’euros aux contribuables. A mi-chemin entre les deux, posée depuis cinq ans sur les anciens docks de la Rochelle, La Sirène ; un ancien silos à grains de 3000 m2 sur trois étages qui fait figure d’OVNI sur la carte de France.

Pourquoi un OVNI, me direz-vous ? La première fois que j’y ai mis les pieds, c’était un dimanche soir pour la venue de Gallon Drunk ; pas précisément l’idée qu’on se fait d’une programmation estampillée SMAC. A l’entrée, le patron et programmateur de la salle, David Fourrier, vint m’accueillir avec sa boucle d’oreille de matelot et son look de loubard quadra-gominé pour me faire visiter un lieu tellement grand qu’il faut vingt minutes au pas de course pour en faire le tour ; et cette balade se finit par une partie de ping pong où l’on joua son poste en 21 points. Au terme d’une bataille féroce, David gagna et resta à la tête de son équipe (quinze personnes à temps plein) et moi je rentrai à Paris avec non seulement l’impression qu’un lieu comme celui-là manquait cruellement à la capitale, mais que si un jour je devais changer de boulot, alors oui, ce serait certainement pour gérer cette salle inaugurée le 1er avril 2011. Encore faudra-t-il travailler mon coup droit, mais c’est une autre histoire.

David1@MarieMonteiro
David Fourrier

Cinq ans plus tard, pas de sonnette d’alarme pour la Sirène (facile…), tout va bien, merci pour elle. Un budget à l’équilibre (et même un peu de bénéfice), environ 270 jours de musique et 70 dates programmées par an, et puis, bien sûr et parce que c’est le prétexte à l’interview qui suit, les cinq ans du lieu fêtés du 31 mars au 3 avril avec Didier Wampas, La Colonie de Vacances, The Legendary Tigerman, Sarraco (un excellent groupe local soutenu par La Sirène) ou encore Inspector Cluzo. Pour faire bref, et parce que le compteur tourne, voici donc une salle dédiée aux musiques actuelles qui sait faire la part des choses entre remplissage (trouver des têtes d’affiche populaires) et défrichage (proposer des créations comme le ciné-concert d’Aquaserge et Forever Pavot). Parce qu’un chien ressemble toujours à son maître, il me semblait intéressant, pour une fois, de brosser le portrait d’un lieu à travers le parcours de son fondateur. En l’occurrence, celui de David Fourrier, patron jovial qui s’estime davantage « généraliste que spécialiste » et dont le mentor se nomme Jean-Louis Brossard, l’indéboulonnable programmateur des Transmusicales de Rennes. La preuve par trois qu’on peut réussir dans le monde impitoyable sans obligatoirement passer par Paris, et rester curieux de tout même en étant affilié au terrible carcan de la culture subventionnée. Un éclairage intéressant, justement, sur l’état de la musique actuelle.

L’anniversaire des 5 ans de la Sirène est paradoxal ; on a l’impression que la salle est ouverte depuis toujours – ou très longtemps en tout cas.

Ouais, mais ce sont des années qui, humainement, comptent double quand même, ah ! ah !

Ce que je trouvais intéressant, dans l’idée de ce papier, c’était de retracer ton propre parcours, en parallèle de celui la salle, car les deux sont évidemment liés. D’où viens-tu, et comment es-tu arrivé à la Sirène ?

Moi je viens de la Vendée profonde, une petite ville nommée Fontenay-le-Comte. Très vite j’ai su que je voulais travailler dans le milieu de la musique ; très jeune, à l’âge où je passais mon bac, j’organise mes premiers concerts. Le premier ça devait être… les Thugs je crois, en 1986, à l’époque du premier 45t, bien avant que ça soit signé chez Sub Pop. Rapidement, même période, on décide de monter un festival et je vais frapper à la porte du patron de l’office social et culturel de la ville. Et c’est comme ça qu’on récupère la salle de sport de mon collège. On a loué un chapiteau et on est parti à l’aventure avec une première édition en 88 avec, de souvenir, les Fleshtones, Noir Désir, les Dogs, Blue Valentines…

Vous étiez plus jeune que les groupes que vous programmiez, non ?

Ah bah oui, j’avais 18 piges. Et tout cela avec l’argent du centre culturel. J’ai fait ça pendant trois ans bénévolement avec des plateaux qui tenaient bien la route, je crois. Noir Désir commençait à peine. Et puis on a enchaîné avec les Young Gods, The New Christs, les Thugs à nouveau, dEUS, Morphine, Shellac, Sloy… Je déteste la nostalgie mais c’est un festival qui a eu sa petite…

Je te coupe mais comment s’appelait-il, ce festival ?

C’était très intelligent et très réfléchi d’un point de vue marketing : c’était le Rock Festival, ah ! ah ! ah !

« Faire jouer les Stranglers au Leclerc, oui, ça peut être punk. »

Et donc dès le départ tu sais que tu veux, et vas, devenir programmateur.

Ouais. Très vite. Je bossais déjà dans le milieu culturel, et donc enchaîné des stages pour y arriver, que ce soit au Havre chez Closer Records – tenu alors par Stéphane Saunier – ou dans le centre social et culturel de Fontenay qui s’est scindé en deux structures distinctes ; j’ai tout de suite été embauché sur la partie culturelle, grâce à ce que nous avions réussi à créer avec le festival. C’est comme ça que j’ai tenu le centre culturel de la ville, pendant dix ans. Avant de claquer la porte du maire – on était politiquement plutôt… engagé – le jour où l’on m’a demandé d’installer nos bureaux à la mairie. Traduction : on nous demandait d’avoir à rendre des comptes aux « officiels », or devenir un ambassadeur des instances politiques c’était inacceptable – et ça l’est toujours. Après ça je suis passé à un tout autre univers, puisque j’ai géré la programmation de l’’Espace Culturel Leclerc à Niort, avec d’un côté un espace de vente classique avec tous les produits culturels classiques, et de l’autre une salle de concerts de 950 places ! Et tout ça à Niort ! On y a programmé les Stranglers, Improvisators Dub, High Tone… C’était à la fois inattendu, rigolo et passionnant. Mais à ce moment-là, j’ai effectivement eu le sentiment de trahir la « cause » [de la musique indépendante, NDR].

C’est-à-dire ? Au contraire, tu la servais encore mieux qu’un programmateur punk organisant des concerts punk dans un squat punk, non ? De l’extérieur ça semble plus subversif, moins ton sur ton…

Faire jouer les Stranglers au Leclerc, oui ça me semblait punk aussi. Mais au début j’ai quand même eu le sentiment d’abandonner un milieu associatif très militant au profit de la grande distribution, avec l’impression de faire le grand écart entre l’épicerie fine et le capitalisme… mais comme le patron nous laissait carte blanche, on a effectivement pu y produire des concerts de super bonne facture. C’était évidemment un peu complexe vis-à-vis des groupes, ça les questionnait énormément de jouer dans une salle comme ça. Et certains groupes ne regardant même pas leurs plans de tournées, ça m’arrivait régulièrement de me retrouver avec des mecs qui déboulaient sur le parking glauque du Leclerc avec les kilomètres de Kiabi sans comprendre ce qui se passait. Ca donnait des discussions interminables où j’étais obligé d’amener les mecs dans le magasin pour les menacer de retirer tous leurs disques des bacs. On ne peut pas accepter d’être distribué dans les magasins et de l’autre refuser d’y jouer. Forcément, ça posait des questions d’éthique mais ça les faisait réagir. Une éthique artistique d’ailleurs aujourd’hui vachement gommée, et un engagement politique des artistes quasi nul. Je me souviens d’une époque où mettre un logo sur le côté de la scène était, quand on venait de l’école Fugazi, absolument inconcevable. Aujourd’hui être associé à une marque pose beaucoup moins de problèmes ; tout s’est édulcoré.

David et Didier des Wampas sont sur un bateau...
David et Didier des Wampas sont sur un bateau…

Suite à cet improbable épisode Michel Edouard Leclerc, et si mon compte est bon, tu rejoins l’organisation de la Nef, autre salle de l’agglomération de La Rochelle, qui aboutira en 2006 à la naissance du festival de la Garden Nef Party.

Oui, j’y suis resté cinq ans avec une double casquette, à la fois missionné sur la promo mais aussi sur la co-programmation avec Jean-Louis [Menanteau, patron de la Cigale depuis janvier 2011, NDR]. Une aventure humaine passionnante avec de très belles années, jusqu’au projet de festival entamé main dans la main avec Doudou (patron respecté et très respectable de Radical Production, NDR). C’est dommage, c’était une sorte de joint entre la Route du Rock et Rock en Seine.

Pourquoi le festival a-t-il finalement capoté ? [la dernière édition aura lieu en 2009]

Pour des raisons économiques, aussi humaines. La troisième édition était légèrement déficitaire, mais les politiques en place n’ont pas souhaité suivre à la hauteur de l’investissement demandé. Au moment où le festival ferme ses portes, et malgré une forte mobilisation de protestation des Charentais, dans ma tête je suis déjà parti car dès 2009 j’écris et prépare le projet de la Sirène, qu’on remporte dans la foulée. Toute l’intelligence des politiques, à ce moment-là, a été de rapidement désigner le futur exploitant – donc moi et l’équipe montée – et de nous laisser travailler avec les architectes pour réaliser la salle que nous avions en tête au moment de l’écriture du projet. On a été jusqu’à choisir les couleurs, et on a réussi à faire modifier pas mal de choses en cours de route.

Quelles étaient tes salles françaises de références au moment de la construction de la Sirène ?

Il faut d’abord savoir que les architectes de la Sirène sont aussi ceux qui ont conçu le Lieu Unique de Nantes – une autre référence dans le monde des musiques actuelles, même s’il s’agit ici d’une scène nationale. On est donc dans un univers industriel, chaleureux, populaire ; on te donne la possibilité de boire un coup si la première partie te fait chier et l’espace fumeur est complètement intégré à la salle – c’était important car la moitié de notre public fume – des clopes.

Aujourd’hui, en étant aux manettes d’un gros bateau comme La Sirène (sic), à quel point es-tu dépendant des budgets publics alloués par l’Agglomération ?

Il faut savoir que nous sommes toujours en format associatif [l’Asso XLR, oui, comme les câbles], et plus précisément en délégation du service public, ce qui signifie que si, oui, nous sommes le bras armé de l’Agglomération pour toutes les questions liées aux Musiques Actuelles, nous avons pour cela remporté un appel d’offres à l’ouverture de la salle en 2011, sur la base d’un projet culturel de 54 pages qu’on a posé sur papier. J’avais pour cela l’expérience de tous les lieux par lesquels j’étais passé, et l’envie de faire quelque chose à La Rochelle – où j’avais vécu – était très forte. Il y avait une vraie attente, mais pas grand-chose jusque-là.

Tout ce que tu dis tend à contrecarrer l’idée qu’on se fait des SMACS, et d’équipes consanguines qui s’auto-éliraient sans aucune notion de gestion de l’argent public. Or tout ce que tu m’expliques prouve que ce serait en fait l’inverse.

Tout à fait. Nous sommes là pour un temps donné et pouvons nous faire débarquer comme tout le monde. Le 1er avril 2018, une autre équipe peut tout à faire récupérer la gestion de la Sirène. Là on dispose exceptionnellement d’un septennat [dû au fait que l’association a pris la salle dès l’ouverture] reconductible ; mais même sans parler de la suite, je suis très fier que nos comptes annuels (1,8 million d’euros par an] soient à l’équilibre : la Sirène ne perd pas d’argent.

« Populaire, c’est pas un vilain mot. »

Voilà quatre ans, la SMAC de Lille, l’Aéronef, avait visiblement claqué 100 000 € pour payer le cachet de Lou Reed [en fait c’est le spectateur qui avait payé le prix fort, 85 € la place, et pas un seul euro venu des fonds publics, NDR]. Tout cela pour dire qu’on imagine qu’il existe des dérives budgétaires dans les salles financées par l’Etat. Et du coup, question : quelle est la bonne mesure entre une programmation de défrichage (peu rentable) et populaire (qui coûte chère) ?

C’est une question quotidienne dans notre boulot : où est la marge de liberté ? Où place-t-on le curseur pour juger d’une compromission ? Même quand on programme des artistes connus ou médiatiques, je n’ai pas l’impression de trahir mes valeurs. Populaire, c’est pas un vilain mot. Tout dépend des propositions ; en ce qui nous concerne, on a mis en place un principe de gratuité pour les abonnés et les propositions ne sont jamais au rabais. Chaque adhérent a le choix, une fois par trimestre, à l’un des trois spectacles que nous avons pré-selectionné. Le trimestre dernier, on proposait Alpha Wann et Killason, les Nuits de l’Alligator avec Dirty Deeps, Daddy Long Legs et Jim Jones, ou encore Bachar Khalifé et Serge Teyssot-Gay en solo…

« Bon ok les mecs, ce soir on n’est pas là pour beurrer des tartines! »

Après cinq ans à la tête de la Sirène, quels sont les chantiers que tu aimerais mettre en œuvre ?

Transformer un hangar inutilisé de 1200 m2 pour en faire un lieu de création pure, un laboratoire, avec un grand studio et des bureaux et un projet autour de la formation aux métiers de la musique. Et aussi, petit scoop, l’envie de lancer un festival à la Sirène sur une jauge réduite, et sur une période creuse pour éviter d’être en conflit avec d’autres événements. L’une des références pourrait être les Transmusicales, pour l’esprit pluriel, ouvert. C’est une idée embryonnaire, mais on planche dessus pour 2017.

« Jean-Louis Brossard des Transmusicales, on ne se connaît pas, mais j’ai envie d’aller lui taper sur l’épaule pour lui dire : « merci mec ».

Les goûts du programmateur doivent-ils prévaloir sur ceux du public ?

Indéniablement oui. Ou alors ça devient une programmation au guichet et on devient loueur de salle. Sauf que la Sirène ce n’est pas un Zénith et que, je crois, se dessine une ligne éditoriale. […] La période est économiquement tellement compliquée que le simple fait d’arriver à amener le public dans des lieux tels que le nôtre, c’est une petite victoire. Même si seulement cinq personnes prennent la plaquette et reviennent à la Sirène, pour moi c’est gagné. Il faut se battre pour que le lieu soit fréquenté. C’est très triste une SMAC vide ; t’as beau être le meilleur groupe du monde, tu seras encore meilleur avec des gens en face de toi.

Tu parles de « meilleur groupe du monde ». Quel est le groupe après lequel tu continues de courir, et que tu n’as encore jamais réussi à programmer ?

On a couru pendant des années après les Swans. Etant un fan absolu, j’étais comme un gosse lorsqu’on a réussi à les faire venir l’année dernière [voir notre non-interview d’un Michael Gira tellement détestable qu’on a préféré poser les questions à une chaise vide]. Dans un registre plus grand public, idem pour les Kills. Pour les artistes après lesquels je cours encore, citons Thurston Moore, tous les projets des membres de Sonic Youth, Wilco, Heavy Trash… Là c’est une digression mais l’exemple à suivre en termes de programmation, c’est Jean-Louis Brossard [programmateur des Transmusicales]. On ne se connaît pas, mais ça fait des années que j’ai envie d’aller lui taper sur l’épaule pour lui dire « merci mec. Merci pour ton enthousiasme, ton flair ». Il est et reste partout, sur tous les coups.

Bon, c’est une question conne mais as-tu l’impression, après toutes ces années, de faire un vrai travail ?

Bah non. On a une chance inouïe. Si j’avais su à 18 piges que des lieux comme la Sirène verraient le jour, j’aurais signé tout de suite !

http://www.la-sirene.fr/
Anniversaire des 5 ans du 30 mars au 3 avril avec 5 jours, 15 lieux et 50 concerts : Didier Wampas, Arnaud Rebotini, La Colonie de Vacances, Miossec, Gaëtan Roussel (hi hi), Bachar Mar-Khalifé, etc..

LA SIRENE-5ANS

[1] Date de la création du programme SMAC (Scènes de Musiques Actuelles) visant à remplacer le programme Cafés-Musique de l’Etat, et dont l’objectif est de regrouper sous un même nom tous les lieux dédiés aux musiques amplifiées, musicaux généralistes et lieux spécifiques. On compte actuellement plus de 150 SMACS en France.

 

5 commentaires

  1. Gonzaï, un petit effort de relecture: l’article est super intéressant mais y’a plein de tournures de phrases lourdes ou qui veulent rien dire! J’en reviens pas. Il manque des mots, y’a de phrases mélangées… Ca rend la lecture fastidieuse.

    1. Coucou. Errare humanum est – après relecture, oui, manquaient deux mots. Mais je vous trouve bien dur tout de même, pas de quoi tirer la…

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