Dans la musique comme dans l’industrie, on n’aime pas taper sur du plastique mou. Une raison qui explique certainement pourquoi tous les albums du troubadour dylanien sont régulièrement encensés quand bien même le folk-rock de Morby ressemble aux tapisseries trouées de l’Amérique des années 60, en couleurs Super 8. Une inquiétante et lente nostalgie, à peine plus rapide que Joe Biden lancé dans un 100 mètres, et qu’on retrouve parfaitement exprimée sur le septième album de l’endormeur, « This is a photograph ».

Comme dans toutes les histoires de crime – si tant est qu’avoir réussi à écrire un disque de somnolence post-repas en soit un – la vérité dépend toujours, un peu, de l’endroit où l’on se place. Kennedy a-t-il vraiment été assassiné à Dallas par Lee Harvey Oswald ? Question de point de vue. Le Keith Richards de 2022 joue-t-il encore de la guitare sur scène, ou bien est-ce une armée de scientifiques qui tire les ficelles du vieillard depuis les loges pour articuler un cadavre complètement rincé ? Là encore, la vérité dépend de là où le spectateur se trouve. Dans le cas de Kevin Morby, actif depuis presque 10 ans en solo, on ne trouvera pas deux camps féroces prêts à s’affronter pour discuter des faits ; chacun des albums de mou-folk de l’Américain provoquant autant de secousses géopolitiques qu’une insurrection au Luxembourg, mais on peut tout de même s’intéresser de près à la dernière sortie en date, « This is a photograph », qualifiée par le communiqué presse « d’œuvre la plus ambitieuse de sa carrière ». Une sacrée déclaration à propos d’un disque qui tombe des mains. Mais commençons par la version copié-collé de cette chronique, où l’on empruntera à la biographie des aspects factuels pour donner l’impression d’avoir fait notre boulot dans un esprit de bienveillance positive.

Kevin Morby: This Is a Photograph Album Review | Pitchfork

« This is a photograph », septième album de Kevin Morby, doit son nom à un incident personnel et tragique. Tout débute en janvier 2020, alors que le songwriter est attablé avec sa famille, lorsque son père s’effondre [on ne sait pas si c’était après le plat de résistance, au dessert ou au café, Ndr]. Il sera transporté d’urgence à l’hôpital [spoiler : il s’en est sorti] et pendant ces longues heures d’attente, son fils Kevin est descendu à la cave pour évacuer son angoisse en parcourant une vieille boite de photos sépia, où il tombera par hasard sur un cliché de son père, jeune, posant torse nu, fièrement. Un contraste entre les deux versions d’un même homme, à 40 ans d’intervalle, et qui va inspirer Morby pour son prochain disque, dédié au temps qui passe et qui peut éloigner, par la force des choses, les membres d’une même famille où tout le monde s’aime. Une belle histoire qui aurait aussi pu bien composer le pitch d’un épisode de Dawson Creek.

 

Dans la foulée, Kevin Morby entame un pèlerinage à travers cette Amérique qui n’existe plus, peuplée de fantômes, de voix gravées pour l’éternité : les rives du fleuve Mississippi où Jeff Buckley a bu la tasse, le quartier de Memphis où Jay Reatard a vécu ses dernières heures, puis un détour par le Graceland d’Elvis ou le chapiteau Stax. De cette visite touristique dans l’Amérique des « partis trop tôt », le songwriter a ramené des songes couchés sur papier, le soir venu, dans sa chambre avec, pour seules armes, un micro et une guitare. De spleen en spleen, et au fur et à mesure que son père recouvrait ses moyens, les squelettes de chansons ont gagné en chair et en muscles, jusqu’à composer « This Is A Photograph », un disque enregistré au mythique studio Sun de Sam Philips, désormais géré par le propre fils de celui qui découvrit Elvis. Une belle histoire agrémentée de souvenirs bien réels, avec des photos personnelles accompagnant un livre, hélas un peu trop long.

Peut être une image de 1 personne et intérieur
Car ce n’est pas qu’on ait une dent contre l’ami Morby, mais les belles mélodies de « This Is A Photograph », comme les coups de pedal steel et tout l’attirail folk, sonnent comme un anachronisme assourdissant. Alors qu’on pensait la vague folk-rock définitivement éteinte depuis l’enterrement des sœurs Cocorosie et de leur cousin débile Devendra Banhart, alors que les relevés comptables auraient dû inciter les gestionnaires de label à interdire l’exportation de tels albums en dehors du territoire américain depuis l’embourgeoisement de War on Drugs, et que Bob Dylan ferait mieux de faire des procès à tous ces chanteurs à voix de canard pour espionnage industriel, Kevin Morby persiste et signe avec des comptines pour quadragénaires blancs continuant de rêvasser sur la Highway 61 en s’imaginant comme autant de Jack Kerouac experts en nomadisme Airbnb ; et si vous l’impression que cette phrase dure depuis déjà trop longtemps, c’est volontaire tant on n’arrive pas à décrire autrement l’ennui poli généré par ce disque familial bourré de clichés sur le tempus fugit et ces instants Ricoré d’un autre âge qui rappelleront, dans le meilleur des cas, qu’il fut un temps où votre père ne votait pas encore pour Eric Zemmour en écoutant Townes Van Zandt. Ces good ol times, typiques de la culture américaine conservatrice, ont infusé chez de « jeunes » musiciens comme Morby (34 ans quand même), au point qu’il en est presque inquiétant d’y voir, disque après disque, se dessiner une vision archétypale de l’Amérique, combattant ses démons actuels avec, pour seule riposte, un banjo et un peu de poussière ; le tout servi sans aucune démonstration technique ; exception faite des titres This is a photograph et de Rock Bottom, vaguement rock – au sens où, folie, on y dépasse les 110 BPM. Pour le reste, cette tisane pour insomniaques du début de soirée devrait passer comme elle est venue, mais sans empêcher Morby de continuer à endormir son public qu’on préfèrerait voir tressauter sur des chaises plus électriques. N’est pas Gram Parsons qui veut. Et le magicien du tempo mou de conclure dans le communiqué presse accompagnant ce Lexomil sur pattes : « sur cet album j’aborde la bataille à laquelle chaque famille est confrontée, celle de courir après l’horloge, de vivre nos vies et de se serrer les coudes le plus longtemps possible ». OK Kevin. Le départ sur les EHPAD est ouvert. Et l’on conseillera à tous les résidents de couper d’urgence le robinet d’eau tiède.

Kevin Morby // This is a photograph // Dead Oceans

 

4 commentaires

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