Que faire, lorsqu’on a insulté l’année d’avant toute la programmation d’un festival historique et militant, qu’on s’est mis à dos une partie des bénévoles locaux à s’en faire clouter le visage sur des jeux de fléchettes et qu’on a défini la majeure partie des événements rocks français comme « comme une occasion pour tous les journalistes de se retrouver en famille consanguine à l’abri des regards, en tente VIP, pour chroniquer ensemble des concerts qu’ils ne verront pas[1] » ? Fermer sa gueule et bronzer à l’ombre, faire repentance en catimini ou prendre un train l’année suivante ?

17H15. Arrivée à Evreux, par le train de Paris, pour la 27ième édition du Rock dans tous ses états. Rapide coup d’œil sur la programmation du jour. Pete Doherty, Pony Pony Run Run, Les tambours du Bronx… je coche les cibles faciles de la soirée à venir. Trop facile. Je raye. Descente du wagon. Une coiffeuse et son Yorkshire attendent vraisemblablement un marin sur le retour ; j’écorne les mémoires de Pacadis, emportées pour l’occasion. Fantasme d’un seul homme contre tous les autres. Sueur. Chaleur et soleil en déclin. Bien évidemment, ça ne passera pas comme prévu. NB : Penser à acheter des post-it.

17H30. Evreux a des airs d’étape du Tour de France en plein mois d’aout. Rues désertes, silence des maisons à volets fermés. Le bruit des cigales pourrait bien être remplacé par le grésillement des harmonicas qu’on ne se rêverait pas plus en plein western. Arrivée à l’hôtel, dépôt des bagages. La réceptionniste (la quarantaine, deux enfants, décolleté de femme mariée) me fait du gringue. « Chambre 113, vous verrez c’est assez calme ». En bon journaliste, je vérifie que la connexion Internet ne bloque pas les streamings dits « sensibles ». Puis m’endors. Douche.

19H15. Visiblement, les navettes prévues pour accéder au festival sont aussi rares que les parasols, par ici. Interrogatoire d’un passant à marcel blanc : « C’est loin, à pied ? ». Visiblement, le jeune paraît surpris : « Le Rock dans tous ses états ? Ca fait une trotte, mon pote. T’en as pour trente minutes de marche. Tu ferais mieux d’attendre le prochain bus ». Ouais, ouais. Le souvenir d’anciens festivals (Les Trans’ de Rennes, Garorock) avec des youngsters défoncés au jerricane de rosé à quatre heures de l’après-midi, l’envie de faire le point en poussant les cailloux : c’est parti pour une demi-heure de marche. Le temps de repasser en revue toutes les conneries dites l’année d’avant et les quelques vérités aussi. « Le rock, c’est devenu un milieu de frustrés bourgeois qui vient poser son cul dans des salles subventionnées ou sur des terrains vagues pensés comme des parcs d’attraction ». Bande-son de la ballade, destination to festival : le générique de « Qui veut gagner des millions », mixé sur des images de porno amateur avec des écolières en cravates et jupes plissées. Etrange. A l’approche des barrières de sécurité, la moyenne d’âge est très sweet sixteen…..

19H45. Arrivée au Rock dans tous ses états. Le mien est liquide. « Allo, c’est Bester, je suis venu seul, me frappez pas ! ». Coup de fil à l’attachée de presse, Nadine S., pour faire amende honorable sur les débordements de l’année précédente. « Ton interview dans la dépêche, on l’avait collé dans la tente presse, tu es très connu ici ! ». « C’est vrai que ça avait fait un sacré barouf cette histoire » confirme son assistant, « cette année on attend 10.000 personnes les deux soirs, faut dire que le temps s’y prête bien ». Accolade, verre de champagne, on rigole tous ensemble. « C’est vrai que cette année, la programmation d’Evreux est plus rock, on a échappé à Olivia Ruiz[2] et Tryo ! ». La cinquantaine, une taille menue et l’insigne de Shérif placardée sur son badge d’attachée de presse historique, je l’aime bien Nadine. NB : Déblatérer un paquet de conneries misogynes sur un festival n’empêche pas l’année suivante de venir faire son enquête sur place.

20H00. Evaluation des forces en présence. Au Rock dans tous ses états, on peut croiser, en vrac : des adolescents, des enfants, leurs parents, des paires de seins vertigineuses, des handicapés moteurs et des casquettes renversées. Le tout sur une pelouse accueillante avec, en bonus, une « garderie rock » pour les enfants. Au loin, des cabanes à sandwiches avec du tatouage au Énée, pour les plus « alter ».

20H10. Je déboule en plein concert de Jeff Lang, australien en duo, du genre à être tombé dans le blues comme Stevie Ray trente ans plus tôt. La brise, l’air frais, le champagne, court moment d’abandon jouissif sur le duel dobro/guitare qui balaye le festival. Ce Jeff ne joue pas comme un manche et c’est même plutôt l’inverse, sorte de Ben Harper à qui on n’aurait coupé la langue pour éviter les prêchi-prêcha. La sono crache comme un tuberculeux mais tant pis ; un excellent premier concert entre tantrisme indien et folk version Pentangle. « We’ll be back this year, in Paris. Or I don’t know ».

20.35. Sur la grande scène, pantalons larges, chiqués au roulé et pères de familles attendent l’arrivée des Tambours du Bronx. Trois militants d’Amnesty International font patienter la foule avec un speech « contre l’abolition de la peine de mort » (?!) en incitant les pacifistes à s’allonger par terre pour manifester leur refus des injustices. Bah tiens. GIVE ME A GUN. Pour clôturer leur intervention, les trois mages lisent un poème de Boris Vian devant un parterre de jeunes convaincus que le monde sera meilleur demain. Où l’on comprend l’intérêt d’un viseur longue portée dans la manufacture des armes à feu.

20.45. « Bonsoir, nous sommes les No Records, on vient de Rouen ! » Syntaxe et conjugaison des verbes irréprochables, le rock du groupe tremplin de la Gonzomobile s’avère être une copie de sosies ayant trop percuté leurs organes en écoutant Editors et les Strokes. NEXT.

20.50. Une montgolfière s’élance dans le ciel.

20.55. Début du concert des bruxellois électriques de Black Box Revelation. Chauffé par le bordel des Tambours du Bronx, la foule s’amasse et lève du bras à l’écoute du blues trempé dans la bassine d’un groupe qu’on définira aux novices comme une version européenne des Black Keys. Après 40 minutes de rock entendu par le trou de la petite serrure, basé sur un seul et même riff décliné sur toutes les gammes, Black Box Revelation coupe le courant. Avec le sourire. La foule aussi. Je prends un air cool et décontract’ en conservant mes lunettes de soleil dans la pénombre qui s’avance. COOL.

22.05. La tête d’affiche de la soirée, c’est Pete Doherty, petit mannequin dépenaillé qui fête cette année ses dix ans de rock en forme de pointillés. Le roadie teste méticuleusement tous les micros, la foule s’amasse et commente (« Il est où Peter, aux toilettes ? ») avant le début d’un concert dopé aux œstrogènes. PETEEEEEEEEEEEEEEEEER ! Impression d’être face aux Beatles, en plein Shea Stadium 1965, avec de la groupie qui étouffe le souffle – déjà – court d’un trentenaire – déjà – culte. Des odes kinskiennes, un costume parfait et un public en délire, Pete Doherty travestit le rock en hymnes pour les hymens : Une voix sur l’à peu près, des hésitations toutes les deux mesures et des tubes que personne ne connaît, Doherty is definitely maybe, quelque part entre le fantôme en détox et le rockeur au formol. « Je suis, suis Libertine, je suis une… ». Doherty serait-il le Patrick Sébastien des grandes scènes ? Fatiguant.

22.37. Exit sur la bien nommée Gonzomobile, où trois gamins s’excitent sur leurs instruments devant une foule forcément éparse. Bang Bang Eche, New-Zeland ; une petite scène, de petits instruments mais une excellente teenage disco jouée avec trois fois rien, qui fait presque oublier que le look de son chanteur tout juste sorti de la maternité s’avère effrayant : Muni de longs cheveux sur la face ouest de son visage, T’Nealle Worsley ressemble sur l’autre versant à un Jim Morrison en apnée. Blague morbide. Très bon set joué à fond la Charley, synthétises moi les jambes, électrocutes moi.

22.45. Retour sur Pete Doherty, qui doit bien justifier son cachet. D’aspirine. Sur scène, deux danseuses accompagnent ses mélodies demi-molles en tutu, arborant des UK Flags du meilleur effet. Pete s’effrite et la foule dessoule.

23.00. Sandwich, pelouse. Gaufre. Pelouse. Cigarette. Je cherche des visages connus pour tromper l’ennui. Une bonne première soirée. Quand même. Malgré tout, malgré moi.

23.10. Arrivée à contrecœur sur le concert de Dan le Sac VS Scroobius Pip, duo hip-hop dont le nom me fait d’abord penser à Scooby Doo. Rapide coup d’œil à la suite des concerts (Pony Pony Run Run, Jamaica, etc) et sirotée de bière, on va finalement rester là, perdu dans les grappes de mineures venues trémousser leurs arrière-trains sur des beats. Armés d’un laptop et d’un micro, le duo anglais n’a pas l’avantage des armes, mais parvient, en moins de deux morceaux, à s’imposer comme le grand moment de la soirée, la surprise que je n’attends plus depuis, disons, 19H45. Un flow digne d’Eminem, des tenues empruntées au Mollah Omar, Dan le Sac (la barbe d’Ali G) et Scroobius PIp (le chauve qui ressemble à Nusrat fateh ali khan au régime), ça se résume à TWA : Talibans With Attitude. Des samples Monoprix porté par un débit de paroles ininterrompus, des prêches avec un Dan qui se rêve, bible sur le cœur, en président du parlement européen ; tout cela est du meilleur effet, sans être forcément du meilleur goût. GRANDE surprise.

00.00. Je n’ai plus que quatre cigarettes. J’enquille sur l’alcool.

00.30. La suite est un peu floue. Infectious Grooves qui ne me contamine pas, Monotonix qui s’échauffe sur la gonzomobile, vague souvenir de Pony Pony Run Run pour la jeunesse qui s’enfuit et retour dans la nuit, jusqu’à l’hôtel, en comptant les cailloux.

01.05. Je marche. Bref angoisse d’être kidnappé dans les rues désertes d’Evreux. Exile on main Streets, sound of silence. Bande-son du retour : « Rock off ». Une bonne première soirée, finalement. A demain pour la fuite.

http://www.lerock.org/


[1] Interview donnée à La Dépêche, vendredi 12 juin 2009.

[2] « La malchance ne touche pas tous les médiocres de la même façon », propos accordés à la Dépêche le 12 juin 2009. Je persiste. Et je signe.

12 commentaires

  1. Si tu ne les as pas déjà vus, j’avais été assez épatée par The Phantom Band aux Trans (ils passent ce soir à Evreux)(et quels beaux barbus) (et quelle descente sur le whisky en scène).
    Par contre FM Belfast : un peu l’impression d’écouter la même chanson des Doors en boucle…

  2. Et dis donc, faut réclamer des droits d’auteur pour la gonzomobile. C’est ça ou je leur envoie la jokermobile : un agent du chaos au volant d’un semi-remorque se taillant un chemin au milieu de la foule pour aller coller un sticker de gonzaï sur le front du premier frontman venu. Non mais oh !

  3. moi mon coup de coeur du vendredi est sans consteste les fabuleux infectious groove ou lorsque funkadelic rencontre tankard !!!

  4. Dommage, t’auras loupé une énorme soirée Born Bad dont un final de Reverend Beatman assez hallucinant avec des gens hypnotisés qui pogotent sur du blues prônant le Power of Jesus-Christ.

  5. pour moi, la révélation c’est Orchester, que des musiciens avec des instruments ( pas de tricheries ) et une chanteuse sortie de l’enfer. c’est tellurique.

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