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C’était il y a un mois, et on n’a pas vu le temps passer… La septième édition du petit festival qui n’en finit pas de rendre les gens heureux, à Lourmarin dans le Lubéron, s’est une fois de plus acquittée de sa singulière mission : réunir tout un chacun dans un espace qui relève à la fois du joyeux bordel et du havre de paix. Cette année encore, nous sommes donc venus, nous avons bu, nous avons vécu. Et pas qu’à moityeah.

Lui : « UN MOIS POUR PONDRE CETTE MERDE !!! Non mais tu te fiches de qui ?! »
Moi : « Euh, comment dire… »
Lui : « Tu comptes justifier ton pass 3 jours comme ça ? Allo la Terre ? »
Moi : « Bah tu sais, entre la canicule, mes rendez-vous et… »
Lui : « Trouve autre chose ! »
Moi : « Le Yeah m’a mis sur les rotules. »
Lui : « Pas crédible. »
Moi : « Je t’assure, j’ai réussi à trouver des afters ! »
Lui : « Encore moins. »
Moi : « Un mammifère s’est écrasé sur mon clavier il y a trois semaines et… »
Lui : « T’es un comique, toi ? »
Moi : « … c’était un éléphant qui pesait son poids ! »
Lui : « Tu la veux vraiment cette torgnole ?? »
Moi : « Ok d’ac, t’as gagné… J’Y RETOURNE. »
Lui : « HEIN ? Eh ben tu vois quand tu veux ! Je prends. »

Inutile de le préciser : cette discussion n’a jamais eu lieu. C’est juste une accroche comme une autre. Couvrir un festival pour Gonzaï ? Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais c’est casse-gueule… Au dernier soir de cette édition 2019, marchant paisiblement sur la route de campagne qui nous ramenait vers le camping, une amie me demanda longuement pourquoi je trouvais l’exercice si délicat. Un retour sur l’événement ? Simple travail de journaliste, non ? Pas tout à fait. Pourquoi ? A peu de choses près, je lui répondis ceci : « Parce que c’est Gonzaï. Parce que c’est le Yeah. Et aussi un peu parce que c’est moi. »

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Le gonzo journalisme est une expérience littéraire qui a donné au rock des lettres de noblesse couchées sur papier brut. Mais s’il subsiste encore de nombreuses plumes qui s’en réclament, et ce n’est pas mon cas, le gonz journalisme n’est plus vraiment ce qu’il a été… Les temps ont changé, ils en ont décidé autrement : c’est tout. Hier, les journalistes rock parcouraient le monde avec les artistes et vivaient à fond le truc avec eux. Aujourd’hui, les journalistes rock n’en font plus un métier durable et ont globalement une hygiène de vie très saine. Ils vont toujours dans des festivals de rock et continuent de raconter ce qu’ils y voient : plus grand chose. L’esprit s’est barré ailleurs depuis un bail, dans d’autres poches de résistance… Ce média en est une, tout simplement parce qu’il a décidé de ne pas rendre de comptes – enfin disons le moins possible… Le Yeah ? Il y a des points d’accroches, manifestes : un esprit (savant mélange de déconne et de pugnacité), une ligne artistique assez intransigeante, une histoire à taille humaine qui grandit et dispose déjà d’une aura… et tout cela suffit à légitimer que l’on s’y rende désormais comme en pèlerinage – c’est acté. Mais il reste cette différence notable, et ce n’est pas seulement propre à lui… le danger. Couvrir ce festival, c’est comme couvrir le Hellfest ou Villette Sonique : c’est très cool (et même bien mieux que ça) mais c’est sans danger. Aujourd’hui, les gens ne veulent plus de danger : ils veulent de l’espoir. Et on ne saurait leur en vouloir : à bien y réfléchir, ils ont raison. Dans ce petit coin du Lubéron, il y a quelque chose dans l’air qui relève de l’été indien – une humeur, une quiétude, un parfum d’éternité – alors que celui-ci n’a pas même encore commencé. Quelque chose qui nous fait dire que les choses perdureront – et il le faut, c’est nécessaire. La raison doit l’emporter. Alors va t’amuser à faire le mariole quand tout autour de toi, tout n’est que bienveillance, copains qui se retrouvent et marmots qui gambadent…

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Il y a deux ans, nous avions déjà fait un premier report sur « la fête de village la plus cool de France ». Depuis, nous y sommes retournés deux fois. Et rien n’a changé… rien, nada. Ah, si ! La programmation : ce n’est plus la même. Chaque année, va savoir pourquoi, ils invitent de nouveaux groupes… Totalement con comme idée. Il y a deux ans, super programmation : ils blindent. Tout le monde passe un chouette moment, du coup on y retourne en se disant que… et là, surprise : les groupes n’ont plus rien à voir. Le doute s’installe : que se passe-t-il dans la tête de ces mecs-là ? Même topo cette année, pas de tête d’affiche ou presque… et vous savez quoi ? Ils blindent de plus en plus vite. C’est à n’y rien comprendre… Bien, trêve de plaisanterie : si ce que l’on a écrit hier n’était pas assez clair, alors on va la refaire, mais en accéléré. Le « Yeah! » a pris ses marques il y a sept ans dans un coin tout mignon du Lubéron – Lourmarin – sous l’impulsion d’Arthur Durigon, Nicolas Galina et Laurent Garnier, dont le nom vous dira sans doute vaguement quelque chose même si, ne nous y trompons pas, c’est juste une tête parmi les trois.
Son atout à lui, c’est d’avoir eu très tôt une vocation, d’avoir ensuite été là au bon endroit et au bon moment, et enfin d’avoir sublimé tout cela en donnant toujours plus de sa personne, en ouvrant les vannes, ce qu’a bien fini par lui rendre la Patrie reconnaissante… et aujourd’hui, à échelle plus réduite, ceux qui peuplent les environs de Lourmarin, petits vieux et bambins compris : c’est palpable.

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Pour autant, dire cela, c’est déjà rester un peu à la surface des choses. Le « Yeah! », et on le mesure chaque année un peu plus, est une aventure collective à plus d’un titre. Pour moi, pour vous, ça dure trois jours, trois jours à temps plein – mais nous avons le beau rôle. Pour eux, ça dure beaucoup plus que ça, car tout commence bien en amont et pas seulement à trois, mais avec qui voudra… et il y a un paquet de monde : ça s’appelle le bénévolat. Ils sont partout. Pas forcément visibles d’ailleurs – même si beaucoup portent le t-shirt estampillé du logo – mais leur présence se fait ressentir dans les moindres recoins du bled, puisqu’une foultitude de choses y est organisée gracieusement en journée, pour tous les publics, en marge de la programmation « officielle » (ce vilain mot) du Château. Voilà, il fallait juste le rappeler : ce festival est organisé par plein de petites mains bienveillantes, au four, au bar et au moulin, dont certaines n’ont d’ailleurs pas encore passé leur Bac – et c’est une spécificité importante. Alors ? Ouais, c’est vrai, Lourmarin n’est pas à proprement parler une zone d’éducation prioritaire (ou assimilé), c’est peu de le dire. Les enfants qui grandissent ici ont beaucoup de chance. Mais ce sont des enfants, et on leur en donne une de grandir ici au vert avec des étoiles plein les yeux, certaines valeurs, peut-être même une vocation – et la musique est au centre de tout cela. D’autres enfants de forains, peut-être.

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Revenons à nos moutons, ou plutôt les vôtres. Vous voulez en être l’an prochain ? Il va falloir mettre les bouchées triples. Pour avoir un billet, d’abord. Pour vous loger, ensuite. Et pas forcément dans cet ordre… Cette année, mes amis et moi sommes parvenus à venir à… quinze (c’est une bonne estimation, mais ça changeait tous les soirs). Soyons francs : c’est une putain de performance. Notre organisation a été quasi paramilitaire. Et évidemment, je n’en dirai pas plus car ce serait vous simplifier la tâche et compliquer la nôtre, mais voilà, la première tendance de fond qui se dessine en trois éditions successives est la suivante : venir au Yeah! est toujours possible, si-si, je vous assure, mais ça se mérite. Pour le logement, la meilleure option reste le camping, et celui des Hautes Prairies est affilié au festival. Chacun d’entre nous a pu s’y caser comme il le souhaitait : tente, camping-car, bungalow. Malgré l’affluence touristique en cette saison, on y respire, c’est très calme, le personnel est adorable, il y a une méga piscine, des sanitaires impeccables et… on s’en branle, oui c’est juste. Ok ok, alors revenons à la priorité du jour : l’apéro. Jour 1, jour 2, jour 3, vous verrez ça marche dans tous les cas de figure : l’apéro.

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Généralement ça se passe le soir vers 19h, mais il arrive que ce soit plus tôt, voire même un peu plus tard à ma connaissance, ça dépend de la piscine (« Tu viens à l’apéro ? » – « Je peux pas, j’ai piscine ») ou alors de qui va passer en premier à la douche, ce genre, mais si j’étais à votre place, afin d’être sûr(e) de ne pas rater les premiers concerts et j’en sais quelque chose, je n’irai pas à la piscine ou me sécher les cheveux à la dernière minute, c’est tout. Ou encore : je n’irai tout simplement pas commencer l’apéro avec les copains sur la camping, et vas-y que tu me prends une bière dans le frigo, et vas-y que je te coupe du saucisson ou que j’ouvre les rillettes parce qu’elles viennent de Cahors, une autre bière s’il te plait et n’oublie pas tant qu’on y est les chips ondulées à ta gauche et… sauf que ça, ce n’est clairement PAS envisageable. Non. Et voilà ce moment tant attendu où nous en arrivons donc, cher futur festivalyeah que tu es peut-être, à la question quintessentielle qui résume toute l’affaire, attention roulements de tambour : « Si tu as à choisir entre tes potes et le concert qui est en train de se dérouler pendant que tu t’enfiles un taboulé sur fond de Sauternes, QUE CHOISIS-TU ??? » Diantre ! En voilà une question qu’elle est bonne ! Entre les deux mon cœur balance ! Hésitation, perplexité, voulez-vous bien sortir de cette tête ? Satané dilemme, hein ?! Ooooh, oui, satané ! Fouette-moi encore ! Bien. On respire… Tout doux, tout doux… Tu vas aller voir ce concert, hein ?! Promis ? Tu as fais ton choix, c’est bien… tu as fait le bon choix. Promis, après les apéricubes.

JOUR 1 : VENDREDI 7 JUIN

Le Yeah a beau se dérouler pendant tout un week-end sur trois jours, c’est toujours le premier des trois qui en pâtit le plus. Du côté de l’équipe du festival, il y a les derniers réglages à effectuer, tout n’est pas encore prêt pour le soir, ça s’agite, mais « tout sera prêt à temps » comme on l’a entendu quelque part.

« Regardez ! Il a mordu mon téléphone… »

Du côté des festivalyeahs, même combat : d’où que tu viennes, tu viens de loin puisque tu viens à Lourmarin, et ce n’est pas rien. Beaucoup bossent le vendredi, et puis bien sûr c’est la fin de semaine, y’a des bouchons sur les routes, donc tu rames pour venir à Lourmarin – double peine. Dès lors, quand tu arrives enfin, tu as déjà raté des trucs gratuits en centre-ville mais ce n’est pas grave puisque tu yeah arrivé ! Nous inaugurons ici les premières blagounettes de la saison via WhatsApp : « Ça Yeah ! On y Yeah ! » C’est rigolo, non ? Mes amis et moi aimons bien le comique troupyeah. C’est surtout une façon judicieuse pour patienter en restant connectés, puisque vous en êtes encore à ramer sur l’A7 alors que vos amis ont déjà débouché le rosé… Bon, nous y sommes enfin tous : c’est l’essentiel.

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Cette année, j’ai décidé de voyager léger. En général, je viens chargé comme une mule, mais l’un de mes potes m’a suggéré de ne pas m’encombrer du superflu : il s’en occuperait. Au final, il ne s’est pas encombré du superflu mais a juste pris l’essentiel… le bienveillant. Ne perdons plus de temps (cf. plus haut) : toi mon frère, oui toi qui est le roi du rhum, peux-tu me faire un quatrième ti-punch ? C’est pour emporter cette fois-ci. Eh oui ! Nous avons encore un peu de route à faire pour rejoindre le site du Château : quinze minutes à pied ! C’est rien, je sais, mais nous nous apprêtons à faire ce trajet au moins quatre fois par jour pendant tout le week-end – parce que le Yeah! en journée, parce que le Yeah! en soirée – et si je compte bien ça fait déjà trois heures de marche à minima, j’ai soif. Qu’est-ce que c’est joli… Les meules de foin, toute cette verdure, le bleu irisé du ciel et puis ensuite les lumières du Château qui se découpe dans la nuit tombante… Nous entrons enfin dans la cour de ce monument du Patrimoine : tout se déroule à ciel ouvert. Il y a du monde mais juste ce qu’il faut, trentenaires, quadras et quinquas majoritairement, donc des enfants (et c’est encore une fois charmant de les voir avec leurs petits casques anti-bruit). On boit bio (cuvée locale), on mange bio (mais quand même bien gras parce qu’on est des bons vivants) et je note que le poulpe a cette année fait son apparition sur un stand – Marseille est dans la place. Quelques marches encore et nous atteignons l’esplanade où ont lieu les concerts. Une amie chère, sévèrement accro à son smartphone, sort encore une fois de son sac cet objet du démon pour y tapoter je-ne-sais-quoi. Y’a pas assez de monde autour de toi ? Saisi d’une fulgurance et déjà fort imbibé, je croque alors dedans et… laisse la marque d’une mâchoire sur l’écran. Blasée : « Regardez ! Il a mordu mon téléphone… ». Quelle punchline, non vraiment, je ne pouvais pas rêver mieux. Cette marque indélébile ? Je viens de la graver dans l’inconscient collectif.

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C’est pas tout ça mais il y a des groupes qui jouent sur scène. Quatre par soir. Enfin trois en ce qui me concerne, si vous avez bien suivi… Aussi je tiens à présenter mes excuses les plus plates aux musiciens de Mermonte, dont je n’ai absolument rien vu de la prestation inaugurale au Château. Ah, et quitte à faire les choses correctement afin qu’il n’y ait aucun malentendu sur mes supposées inclinaisons pour tel ou untel, je tiens également à présenter mes tout aussi plates excuses à Léonie Pernet et Yachtclub, qui ont eu la lourde tâche – eu égard au boulet que je suis – d’introduire les festivités les deux soirs suivants au même endroit. Oui, je n’étais pas encore sur place, la faute à un déficit de gestion de mon timing ou un excès de quiche lorraine au camping, que vous dire, mais soyez indulgents, de grâce… Bon, reprends tes esprits mon garçon : trois groupes vont maintenant se succéder sous tes yeux. Il y a d’abord 1/ Bryan’s Magic Tears puis 2/ les Flamingods et enfin 3/ cette satanée Cuvée de La Vieille Ferme… ah, satanée, tu finiras par avoir raison de ma mémoire… Alors : Bryan’s Magic Tears, je vous VOIS, vous êtes devant mes yeux. Et je sais que vous êtes affiliés à l’écurie Born Bad que je vénère… et je vous écoute. Et je n’ai rien à dire, mais alors : rien. C’est bien ce que vous faites, non c’est vrai ! En fait le truc, là, c’est que le rock indé en droite ligne des 90’s, j’en ai tellement écouté que je sature complètement depuis des lustres. Sinon allez-y, les gens ont l’air contents… c’est juste moi ! Rien de grave. Ensuiiiiite… ah oui, les Flamingods : nettement plus ma came car à la croisée des chemins, entre leurs origines moyen-orientales et un rock psyché tel qu’on le pratiquait à Londres dans les late 60’s. Je distingue des toques, des dreadlocks, des guitares, mandolines et autres instruments traditionnels électrifiés, tout cela me plait beaucoup : très chouette…

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Mais ciel, que le temps passe vite ! C’est déjà fini pour ce concert et le dernier se profile – enfin pour ce soir. Les gens déambulent, il fait bon, chacun est heureux et profite du moment… quand soudain une chose terrible se produit : un inconnu vient me rouler une pelle à pleine bouche. Ouf ! C’est un pote… mais lui je ne l’ai pas vu depuis longtemps. Donc oui, c’est « une chose terrible » car il n’est pas seul, il est avec d’autres potes, ce qui veut dire d’autres bières, et vas-y qu’on se tombe dans les bras et qu’on se raconte nos vies et… et putain, moi je suis venu voir Nova Materia les mecs ! C’est pas le moment, là ! Nova Materia est un duo franco-chilien né des cendres de Panico, pétillante formation post-punk hébergée en son temps par le label Tigersushi (one point). Nova Materia a ensuite été l’un des derniers projets à avoir été signé par l’équipe de Kill The DJ (two points), ce qui situe un peu la singularité du truc, minimaliste, barré, électronique et naturellement post-punk dans l’âme. Je VEUX les voir. Or en cet instant précis, je suis dans un état proche de l’Ohio. Enfin non, je suis encore plus à l’ouest… dans un état proche de l’Iowa. C’est le degré au-dessus en quelque sorte : n’essayez pas. Les trombines de mes nouveaux convives occupent tout l’espace, je parle, je parle… et j’écoute, mais je ne vois rien ! Le concert a l’air super bien, tout le monde va me le confirmer dans une demi-heure. Il sera alors temps de quitter les lieux puis de rentrer au camping où, passablement ivre – pour ne pas dire fait comme un rat – tu boiras deux derniers verres, trébuchera et manquera de t’affaler dans le… jacuzzi privatif du bungalow. PARDON ? Transgression, sors de ce corps ! Et va dormir.

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JOUR 2 : SAMEDI 8 JUIN

Eux : « Alors tu yeahtais yeahsterday ? »
Moi : « Yeah pas pu y avait piscine… Enfin à moityeah, quoi. »

Inutile de le préciser : cette blagounette n’a jamais été faite. C’est juste une accroche comme une autre. Grasse matinée, soleil au beau fixe, petit dej’ entre nous et… et il est déjà l’heure d’aller déjeuner sur la place du Village ! Une animation y a lieu. L’avantage d’être déjà venus au Yeah!, c’est que nous savons désormais comment organiser au mieux nos journées du week-end. Et là ça commence par réserver une table dans l’un des restos à terrasses (où les places se font chères). La « Place des Bars » est toute petite, et c’est un rituel en chaque samedi midi du festival : des DJs ambiancent. Alors que nous nous installons, deux mecs vaguement déguisés poussent gentiment des disques. Il y a pour l’instant peu de monde, on commande une première bouteille (…) et moi un plat de pâtes. Pour la musique, deux façons de voir les choses : 1/ Les sélections sont sympa, des bénévoles haut en couleurs débarquent et, franchement, j’aimerais que ce soit la fête comme ça tous les jours en bas de chez moi. 2/ Putain l’an dernier j’avais pris une entrecôte ! Et les Sheitan Brothers (programmés ce soir en inter-plateaux) avaient foutu le feu en ces lieux, balançant des edits rares ou des bombinettes arabisantes, faisant guincher des septuagénaires aux côtés de plein de jolies filles, et moi de faire chauffer mon appli Shazam toutes les cinq minutes… Alors ça tient à quoi ? Finis de manger tes pâtes : Moustic t’attends et les copains ont pris leurs boules de pétanque.

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Je décide de prendre le maquis pour aller voir ce qu’il se trame à la Fruitière Numérique. C’est à deux pas, je passe par le marché des artisans et j’en profite pour aller dans un bar où je récupère des éventails tricolores destinés à soutenir l’équipe de France de Football féminine en plein championnat faire le plein de cadeaux pour mes copines car il fait chaud. La Fruitière Numérique est un grand bâtiment mobilisé avec beaucoup d’à-propos : elle abrite d’abord une salle de conférences toute équipée (une amie s’est rendue ce matin à celle de Nelly Darmon, « neuropsychologue du dancefloor », et un certain Jean-Claude Vannier sera invité ce dimanche pour évoquer son œuvre). Ensuite, elle bénéficie d’un large espace d’exposition : ce week-end, chacun peut s’initier à tout un tas de machines hi-tech pour faire de la musique (certaines sont assez bluffantes), revenir en enfance avec des bornes géantes de jeux d’arcade (modèles vintage ou rénovés), s’initier à la réalité virtuelle (des gamins aux anges n’en croient pas leurs yeux)… Néanmoins je suis vite happé par l’espace principal, consacré à une gigantesque bourse aux vinyles. Evidemment, c’est un piège. De nombreux exposants rivalisent de bacs tous aussi fournis les uns que les autres en disques souvent incroyables… Tu n’as pas le temps. Tu n’as pas de thune. Alors ressaisis-toi : fais ton travail… Je choisis d’interpeller un exposant dont l’un des bacs à attiré mon regard : il me sort d’emblée des albums brésiliens de malade, rééditions ou vinyles d’époque, Ok, on va discuter. Il m’explique qu’il a été directement contacté par l’équipe de ces « Skeuds Days » pour être aujourd’hui présent ici, c’est un professionnel qui a sa propre boutique, il n’habite pas à côté… Voilà qui donne une idée de la chose : c’est pas la foire au troc, c’est la caverne d’Ali Baba. FUIS tant qu’il est temps !

Moustic is the new Garnyeah.

Je quitte les lieux, passe devant l’école communale où Les Filles de l’Air proposent une sauterie aquatique pour les minots, rate malheureusement l’expo d’Elzo Durt (graphiste bruxellois ancré dans l’underground – on lui doit notamment une flopée de pochettes de disques pour les labels Born Bad ou Teenage Menopause, dont il est le co-fondateur) et finalement j’arrive au… Boulodrome ! Où un tournoi de pétanque est organisé comme chaque année. Spécialistes et festivaliers s’y côtoient dans la bonne humeur, je rejoins mes amis qui font boule à part en enquillant tranquillement des bières (chacun sa spécialité). Pas de pétanque sans Moustic !

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Présent depuis la toute première édition du festival, le présentateur emblématique de Groland est devenu une sorte d’égérie au sein de l’équipe – et dans le cœur du public. Cette année, il s’est habillé en crémière, laitière, nonne ou va savoir encore quoi, mais comme toujours, ça lui sied à merveille. Et il est aux platines, donc… J’arrive au moment où il envoie un imparable mashup entre Katerine et Nirvana (comme l’an dernier) et reste évidemment jusqu’à la fin, où il joue les gros tubes de Laurent Garnier (comme l’an dernier). Qui s’en plaindrait ? Personne : tout le monde fait la fête, crie, danse, à quelques verres à peine des boulistes. La technique ? Mais qui s’en préoccupe en 2019 ? Je suis sérieux, là. Les sets linéaires de spécialistes de la spécialité ? Chiant comme la pluie. Les mecs aux platines en général ? Circulez, y’a rien à voir… Alors voilà ma vision des choses : Moustic donne du plaisir aux gens, Moustic joue de tout mais pas n’importe quoi, Moustic a le sens du spectacle et ça nous change un peu, et enfin, et surtout, Moustic incarne un idéal – je vais pas vous faire un dessin, vous connaissez tous le mec. Bref : sans même y penser une seule seconde, Moustic a tout compris de ce que doit être, idéalement, un DJ… Ben ouais. Moustic is the new Garnyeah. Ça le fera sans doute rire, ça les fera sans doute rire, ça vous fera sans doute rire… et c’est bien tout ce qui compte, non ? Je voudrais rajouter une babiole. A un moment, je tente de m’approcher au plus près du DJ booth afin de prendre un cliché de mon héros (comme un vulgaire touriste d’ailleurs… ça me fait toujours un peu honte). Pour attirer son attention, et surtout parce que le cœur y est, je lui envoie un baiser. Surpris mais présent, Moustic me le rend aussitôt, comme ça, au débotté, dans la seconde. Je capte alors visuellement quelque chose que je ne n’oublierai pas : il y a dans le regard de Moustic une tendresse infinie pour cette jeunesse qu’il n’a jamais quittée, et qu’il ne quittera jamais. Moustic ne lâchera rien, il sera debout jusqu’à la fin. Allez, à la douche, y’a des concerts qui t’attendent.

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Retour au Château, et dans de meilleures dispositions qu’hier : cette fois, je me suis fait un cocktail de citrate de bétaïne et d’aspirine coupée à la vitamine C, que je prends avant et après les concerts… Ais-je bien dit cette phrase ? C’est quand même fou d’en arriver à ces extrémités pour… oh merde : je me rends compte que j’ai oublié les deux concerts organisés dans les caves du Château. Il y avait Red et surtout Bruit Noir, défendu avec vigueur dans ces colonnes il y a peu. Pascal Bouaziz et Jean-Michel Pirès étaient là pour « défendre » leur nouvel album, suicide commercial assumé, d’un courage et d’une lucidité rarement atteints dans le métier. Fais chier : je voulais les écouter, les saluer, les remercier ne serait-ce que pour avoir taclé Philippe Manœuvre (entre autres), leur confirmer que celui-ci n’avait pas fait son boulot de rédacteur en chef dans les 90’s, ou alors à contre-sens, et puis aussi leur dire qu’ils n’avaient pas gueulé dans le vide, mais pour plein d’autres que je vois toujours ramer malgré leur talent alors que l’on nous sert du soda de merde par tous les robinets. Bref : merci à vous messieurs, merci. Alors que l’esplanade se remplit, quatre types semblent en train de faire leurs balances en direct : visiblement, ils sont à l’arrache. Et puis soudain ils enfilent des masques pour se transformer en Snapped Ankles, démarrant leur set avec une sorte de dub tribal qui m’interpelle direct. Je sens qu’il va se passer un truc, le deuxième morceau confirme : ça vire post-punk avec un certain sens de la déglingue, des claviers qui déraillent. Deux potes choisissent de prendre la tangente : « Ça casse pas trois pattes à un canard, et puis le batteur est totalement à côté. » Ah ouais ? Ben moi je le trouve formidable le batteur, il sait faire plein de choses sur un plan rythmique, et puis les mecs assurent le spectacle avec leurs instruments trafiqués, vont dans la fosse… Plus le concert avance, plus je maintiens : c’est bancal, délibérément primitif, mais il y a chez ces Anglais un supplément de vie, comme du Devo qui aurait troqué ses déguisements pour des peaux de bêtes, du CAN qui essaierait d’apprendre à jouer plutôt que de désapprendre… et ça me fait le même effet que Tshegue lors de l’édition précédente : en plein dans le mille. C’est bon, j’ai eu ma dose d’excitation, qu’importe la suite. Vraiment ?

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Cette année, j’ai décidé de me laisser porter par la programmation, de ne rien lire concernant les groupes au préalable… Les Psychotic Monks déboulent. A priori, ce n’est pas pour moi : ils naviguent quelque part entre hardcore, noise et cold-wave – enfin ça envoie sévère et pas pour toutes les oreilles, ils vont en faire la démonstration. C’est le mot qui convient, tiens : démonstration. Mes deux potes sont revenus et nous allons accorder nos violons, envers et contre tous (ou presque) : la moitié du public se barre au bout d’un quart d’heure. Non mais vraiment : les gens fuient. C’est que personne ne s’attendait ici à ça… Or ce concert est absolument terrassant – de noirceur, de rectitude et d’intensité. Ces tueurs à gages sont en train de maîtriser le chaos sous nos yeux, et ça n’est pas du goût de tout le monde… Certains parlent d’une erreur de programmation. Je plaide davantage pour le génie : fallait oser. En guise de final, ils se permettent le luxe inouï de jouer un long morceau qui s’interdit d’exploser, tendu, lent au possible, et c’est comme un manifeste, une manière de dire : les compromis, ce sera sans nous. The Psychotic Monks est un groupe français, il n’a rien à envier à ses homologues américains et il faut que ça se sache. Place au dernier concert : Underground System. Malgré leur nom un peu tarte, ces New-Yorkais méconnus en France (pour le moment) clôturent sans surprise : à l’image de leur ville d’origine, leur formule très fédératrice fait la jonction entre différentes cultures, c’est un peu noir (afro), c’est un peu blanc (no-wave) et globalement très coloré. Une prestation qui rappelle celle de Chk Chk Chk il y a deux ans au même endroit, sentiment renforcé par la présence indéniable de la chanteuse, à l’énergie et au déhanché contagieux. Le public est ravi : après le passage des Psychotic Monkeys, il le fallait…

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JOUR 3 : DIMANCHE 9 JUIN

A la piscine du camping est organisé, ce midi pour les festivaliers, un « brunch detox ». Nous choisissons de rester au bungalow pour inaugurer un autre concept : le brunch de tox. En gros, c’est à peu près le même principe à un petit détail près (la formule est plus intimiste) mais seul le détail compte. Les dimanches du Yeah sont comme une sorte de bouquet final : ils sont davantage placés sous le signe de la danse. Rendez-vous est donc pris cette après-midi au tennis-club du village, où se déroule pour commencer le traditionnel concours de « Air DJ ». Le jury est composé de Moustic et des programmateurs, et l’un des gars de Radio Meuh (partenaire du festival avec des quotidiennes radio en direct) anime la chose comme personne : sa dégaine, son panache et son impayable accent anglais font mouche. L’ambiance est familiale au possible, détendue du string, comme toujours. Puis vient le moment tant attendu : celui où tout le monde se retrouve pour tortiller des fesses à l’heure du goûter. Si certains d’entre nous se reposent au camping, nous sommes un bon nombre à être venus pour la révélation Camion Bazar : un sound-system mobile niché dans une estafette bariolée où l’on a le sens de la fête. Aux platines, elle et lui connaissent leur affaire, jouent des percussions sur leurs sélections, avec une première heure très groovy et une seconde plus linéaire dans un registre « club », mais ça fonctionne. Dans notre petit cercle formé pour l’occasion, les filles dansent comme jamais (confirmation de leur supériorité historique sur les mâles) et l’une d’entre elles a planqué du gin dans sa bouteille d’eau, donc je vais me fournir en tonic au bar où l’on m’imagine sobre, toujours ça de gagné. Chacun se fait des câlins, prend des photos, croise du monde… et le DJ termine son set avec un vieux tube de Green Day qui fait son effet (truc de dingue). La pluie ne s’est pas invitée, il aura fait beau tout le week-end : une chance… Retour au camping, re-douche, re-apéro, retour au Château.

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Qu’est-ce que le temps passe vite. On a beau se dire qu’il s’est arrêté ici l’espace de trois jours, rien n’y fait. Côté scène, ce troisième soir est marqué par les retrouvailles de Phoebe Killdeer & The Short Straws qui n’avaient plus joué ensemble depuis six ans. Celles-ci font plaisir à voir : l’osmose est intacte entre la chanteuse australienne et ses musiciens (français), notamment avec les deux excellents guitaristes originaires de la région (de vieux complices des organisateurs, ayant chacun sévi dans divers projets d’obédience « indie »). Ce sera le dernier concert de cette édition et un certain DJ Jean Bon, qui gagne à être connu, fait ensuite monter la température avant que n’arrive la principale tête d’affiche du festival : 2 Many DJ’s.

Crédit @Cauboyz

Evidemment, ils sont très attendus, parce que chacun sait que ça va être la fête en clôture du festival, que les deux hommes sont tout à fait raccord avec sa ligne artistique et qu’ils vont forcément se lâcher pour la poignée de privilégiés que nous sommes… Que dire sur les frères Dewaele que vous ne sachiez déjà ? Peut-être ceci : leur label (DEEWEE) sort régulièrement des maxis fantastiques, leur site internet regorge de mixes thématiques à découvrir absolument, la dernière mouture de leur projet « live » – Soulwax – est carrément hallucinante (comme du LCD Soundsystem en plus pointu)… Total respect, donc, évidemment. L’esplanade du Château est pleine à craquer, chauffée à blanc, et nous voilà partis pour deux heures de fiesta en mode collé-serré, bras en l’air etc… oui mais voilà messieurs, sans vouloir jouer les trouble-fête, ce soir, vous n’y êtes pas. Tout le monde danse, oui (le contraire eût été impensable) mais vous n’y êtes pas : c’est quoi ces « blancs » entre les morceaux ? Vous êtes venus en touristes, comme moi ? Non parce qu’en général, vos sets sont ultra-préparés et il n’y a rien de mal à ça – tant que ça pète. Or là il ne se passe rien ou si peu, pas de fil directeur, pas de montagnes russes et pire encore : pas une once de rock en deux heures ! Putain, c’est pourtant pas faute d’avoir pas pris la bonne drogue, et ce en quantités suffisantes sinon chevaleresques, je m’étais préparé ! On s’était tous préparés. Et nos jambes ont fait le job, et mes jambes ont fait le job comme dix au bas mot, il est toujours facile de les duper… pour ce qui est des oreilles en revanche, c’est mission impossible. Vous n’y étiez pas et ce n’est pas grave : c’était quand même la fête pour tout le monde. Alors les lumières se sont rallumées, les gens ont applaudi avec tout leur cœur, se sont embrassés… parce qu’il faut bien que la fête se termine, et puis quand c’est l’heure… On voudrait tellement que ça dure encore un peu, qu’il y ait une issue autre que la porte de sortie, une tournée générale à rallonge, une autre partie de pétanque avec Moustic, en nocturne ! Quelque chose, quoi, mais donnez-nous encore… Encore ?

Tout a déjà été donné – et au centuple. Il faut à ce titre et une fois de plus saluer les bénévoles, car ils sont nombreux à avoir donné de leur temps pour contribuer à faire du Yeah ce qu’il est aujourd’hui. Saluer les programmateurs, aussi, sauf que ce sont eux qui saluent et font la bise à chacun lorsque nous quittons les lieux. Le Yeah est une affaire de famille, et il n’est pas interdit de penser que le public fasse aussi partie de la famille… Continuer la fête ? Nom de nom, le principe est pourtant simple à comprendre : pour que la fête puisse continuer, il faut avant tout qu’elle s’arrête ! Ainsi, quand la fête est finie, et seulement quand la fête est finie, émerge alors enfin la perspective d’une nouvelle fête… Ah ! Et j’en profite pour saluer la mémoire de Joao Gilberto puisqu’il vient de s’en aller, et parce que c’est lui qui a allumé la mèche. Hein ? Ce sera mon dernyeah mot.

festivalyeah.fr

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